Vies ordinaires en Corée du Nord
Correspondante du Los Angeles Time en Corée du Sud, Barbara Demick connaît suffisamment la vie quotidienne en Corée du Nord pour y consacrer un ouvrage. Non pas qu’elle y ait fréquemment séjourné, mais elle a eu l’opportunité de rencontrer des transfuges, des Coréens du Nord qui n’en pouvaient plus du totalitarisme imposé par la dynastie initiée par Kim Il Sung. Aujourd’hui ces anciens réfugiés sont installés en Corée du Sud, heureux d’être libres tout en culpabilisant d’avoir laissé derrière eux des familiers et amis qui n’ont pas eu leur chance. Les informations relatives à la Corée du Nord sont très parcellaires tant le pays vit dans une opacité totale. Il n’existe pas d’endroit où la surveillance de la population est ainsi érigée en système de gouvernement. Dans ce régime policier où les mouchards sont nombreux et la propagande omniprésente, gare à celui qui prétendrait s’affranchir des directives du « Grand Leader », dictateur, chef de l’Etat et du Parti, généralissime, détenteur d’un pouvoir prétendu omnipotent et omniscient. A l’instar des anciens pays du Bloc communiste, il se trouve que la Corée du Nord vit dans un état chronique de pénurie. Des infrastructures antédiluviennes peinent à faire tourner des usines à bout de souffle. Avec une économie anémiée, le moindre dérèglement climatique peut générer une catastrophe. C’est ce qui s’est passé à la fin des années 1990 où des famines sévères ont touché de plein fouet un pays déjà moribond. Un à deux millions de victimes, dues autant à l’imprévoyance du régime qu’aux aléas climatiques. Pour beaucoup la coupe était pleine qui, tentant le tout pour le tout, passèrent en Chine pour rejoindre la liberté.
Parmi les quelques photos du livre, il en est une particulièrement saisissante : les deux Corées photographiées de nuit par un satellite. Alors que la Corée du sud scintille de mille feux, à l’instar de l’Europe occidentale ou du Japon, la Corée du Nord est plongée dans un noir absolu. C’est que dans ce pays de misère l’électricité est rationnée à quelques heures par jour. A la clarté d’une faible ampoule de 40 watts, les malheureux Coréens du Nord ont tout loisir pour ruminer sur l’état de privation dans lequel les a plongés un régime criminel. Le livre de B. Demick est une plongée dans la plus criminelle des absurdités.
Barbara Demick, Vies ordinaires en Corée du Nord, Albin Michel, 2010, 327 pages, 23.30 €