Comment sommes-nous devenus si cons ?
Abasourdi devant toutes les idioties déversées par la sphère médiatique, frappé devant l’inconsistance du savoir délivré par l’Ecole, le linguiste Alain Bentolila sonne la charge contre ce qu’il appelle le délitement de l’intelligence collective. Lorsque les médias accordent, sur le même sujet, plus de poids aux propos d’un joueur de football qu’à ceux d’un professeur au Collège de France, alors oui, il faut se faire du souci devant cette perte de la raison. D’emblée l’auteur pointe un danger majeur : l’extinction du goût de la découverte, de la volonté de questionnement, du désir de comprendre et d’apprendre : « Une telle perspective me terrifie, car elle marquerait la rupture avec l’aventure des hommes, engagés depuis toujours dans une quête obstinée du savoir » (p. 9). Alain Bentolila pointe d’un doigt accusateur la télévision, arme d’abrutissement massive, Internet, qui accorde plus d’importance à la forme qu’au fond, les politiques, qui n’ont de cesse de suivre les modes et qui imaginent que doter les élèves d’outils technologiques à haute dose remplacera avantageusement la mémorisation et l’intelligence critique. Comme vient de le rappeler fort justement le philosophe Michel Onfray, l’école est d’abord là pour apprendre à lire, écrire, compter et penser. Or, ces missions fondamentales sont en passe d’être liquidées au profit d’une modernité qui pousse à papillonner, à passer d’un sujet à l’autre, à ne jamais approfondir un objet d’études. Autre cible d’Alain Bentolila, ce qu’il nomme les « années d’errance éducative », à savoir ces réformes décrétées d’en-haut qui s’empilent sans qu’une véritable ligne directrice apparaisse, une recherche pédagogique aventureuse qui fait des enfants des cobayes et dont on voit chaque jour les effets destructeurs. Que penser également d’une politique qui vise à substituer pour partie l’école aux familles ? Devant l’impéritie éducative de beaucoup de famille, on a voulu donner à l’Education nationale un rôle qui la dépasse. Or, rappelle l’auteur, c’est aux familles d’éduquer et à l’école d’instruire. La défaite de la pensée et de l’esprit critique dont on constate tous les jours les effets pervers peuvent engendrer des risques gravissimes : en faisant de l’individu un usager et un consommateur à moitié lobotomisé, que deviendra la démocratie ? Ce cri de colère d’Alain Bentolila contre l’abêtissement généralisé, il devient urgent de l’entendre.
Alain Bentolila, Comment sommes-nous devenus si cons ?, First Editions, 2014, 190 pages, 14.95 €