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Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail

Broché: 266 pages
Editeur : TALLANDIER (9 janvier 2014)
Collection : CONTEMPO.
Langue : Français
ISBN-13: 979-1021004306
ASIN: B00EU77CMS
Dimensions : 21,4 x 14,6 x 2,6 cm

 Sous le feu

Ancien officier d’active de l’Armée française, Michel Goya est devenu un spécialiste reconnu des armées d’aujourd’hui. Fort de son expérience de terrain, s’appuyant aussi bien sur le témoignage des Poilus de 1914-1918 que sur celui de soldats venant de vivre des conflits contemporains (Irak, Afghanistan…), il se penche sur le comportement du simple soldat. Les guerres modernes peuvent être considérées comme des sortes de laboratoire à visée anthropologique. « Le but de ce livre, écrit l’auteur (p. 19), est d’accompagner le combattant dans cet univers afin d’essayer de comprendre les phénomènes qui s’y déroulent ». L’étude de Michel Goya rejoint celles dont les historiens anglo-saxons se sont fait une spécialité à l’instar de John Keegan qui, dans Anatomie de la bataille, décrit l’univers du soldat au sein de la mêlée : un monde clos à tel point que le combattant ignore pratiquement tout du déroulement de la bataille. La plume alerte de Michel Goya et la densité de son propos donnent au sujet une perspective nouvelle. Le lecteur apprendra ainsi qu’à la guerre l’énorme majorité des hommes ne fait rien d’autre que suivre. Beaucoup ne font même pas le coup de feu ; seule une poignée, ceux dont l’esprit se conforme le plus facilement à l’atmosphère du combat, se bat véritablement. Ainsi, durant la guerre de Corée (1950-1953), la moitié des pilotes américains n’a jamais ouvert le feu sur un appareil ennemi. De même les pertes et dommages occasionnés à l’ennemi sont généralement le fait d’une minorité d’individus. Sur les 20 000 pilotes d’avions de chasse du III° Reich, seul un groupe de 500 d’entre eux a obtenu la moitié des victoires aériennes. En revanche, si la peur de tuer est un puissant inhibiteur, « l’expérience de la guerre réduit la peur de mourir alors que cette d’être mutilé physiquement et psychologiquement augmente » (p. 52). Cela dit, l’énorme majorité de la troupe, si elle n’adopte pas une conduite héroïque, obéit aux ordres et tient à faire son devoir. Le fait de se comporter honorablement et de ne pas laisser tomber les camarades est un puissant facteur de cohésion parmi la troupe. En revanche, la ferveur patriotique n’apparaît pas fondamentale.

Comment les hommes se comportent-ils devant l’extrême danger ? Plus qu’un énième ouvrage sur la guerre, Sous le feu est à considérer comme un ouvrage d’ethnologie. En quelques pages bien senties, l’étude de Michel Goya dit beaucoup de la façon dont l’individu appréhende la guerre, temps souvent banalement ennuyeux et rarement héroïque. Aujourd’hui, alors que les armées sont devenues professionnelles, la mort est bel et bien devenue une « hypothèse de travail » (sous-titre du livre).

Michel Goya, Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail, Tallandier, 2014, 267 pages, 20.90 €

 

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Dictionnaire amoureux de la Rome antique

Broché: 756 pages
Editeur : Plon (22 septembre 2011)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 225921245X
ISBN-13: 978-2259212458
Dimensions : 20 x 13 x 4,4 cm

 Dictionnaire amoureux de la Rome antique

La collection des Dictionnaires amoureux continue son petit bonhomme de chemin. Rien n’ayant été publié sur la Rome antique, il était assez naturel que Xavier Darcos, membre de l’Institut, s’y collât. Le résultat, il faut le dire, est plutôt probant. En un peu plus de sept cents pages, l’ancien ministre de l’Education Nationale, offre un tableau passionné de la civilisation romaine, soit la bagatelle de dix millénaires. Comme dans beaucoup d’autres opus de la même série, les entrées sont toujours originales : par exemple « Caligula, l’Ubu romain ? » ou encore « Alix au pays des merveilles ». Le lecteur met peu de temps pour découvrir à quel point l’auteur place haut sa passion pour la civilisation romaine. Cet amour vrai et profond pour ce monde disparu, mais à qui l’Europe doit tant, est surtout présent dans les articles consacrés à la poésie, à la philosophie ou à la vie quotidienne. Xavier Darcos dit toute sa reconnaissance et sa passion à ces phares qu’étaient Cicéron et Virgile. Il ne cache pas leurs limites, mais il a raison d’insister sur ce que la civilisation contemporaine leur doit : « Virgile a montré la voie dans des genres variés qui servirent de matrices à l’art occidental » (p. 719). Quant à Cicéron, l’auteur le voit comme un « môle, un brise-lames, largué dans le grand chambardement général du dernier siècle avant Jésus-Christ » (p. 181). La passion de l’auteur pour la civilisation romaine met avant tout l’accent sur le bon sens romain, sur les prodigieux bâtisseurs qu’ils ont été… La filiation entre notre époque et la Rome antique ressort ici avec évidence.

Cela dit, ce Dictionnaire amoureux n’est pas sans défauts. Il suppose, comme du reste beaucoup de ses congénères, une connaissance au moins chronologique de l’objet étudié. Entre un Jules César et un grand empereur comme Marc-Aurèle, il y a deux cents ans d’écart, ce qui n’est pas rien ! On s’arrêtera guère sur ce qui paraît être d’énormes impasses – Marius, Sylla pour n’en rester qu’aux noms propres… – mais il est vrai que le genre de la collection a ses limites. Plus dommageable en revanche nous paraît la légèreté avec laquelle le christianisme est introduit. L’article Constantin est par exemple truffé d’erreurs et d’approximations (la question du filioque n’est pas ce qu’en dit l’auteur et le mariage n’est pas et n’a jamais été un article du Credo) (pages 236 et 237). On passera vite sur ces détails pour mieux apprécier toute l’empathie de l’auteur à l’égard un monde à qui l’Européen doit tant.

 

Xavier Darcos, Dictionnaire amoureux de la Rome antique, 2011, 756 pages, 26 €

 

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14-18 La première guerre mondiale

Relié : 605 pages
Editeur : Acropole Belfond (6 octobre 2011)
Langue : Français
ISBN-10: 2735703592
ISBN-13: 978-2735703593
Dimensions : 29,2 x 21 x 3,8 cm

 14-18 La première guerre mondiale

A l’orée du centenaire de la grande boucherie de 1914-1918, les publications de tout acabit ne vont pas tarder à envahir librairies et kiosques. Certains, dont Pierre Vallaud, auteur de cette Première Guerre mondiale, n’ont pas attendu la date phare de 2014 pour livrer leur version d’un conflit qui a tant compté pour l’histoire du XX° siècle. Pour beaucoup en effet, ce siècle commence le 2 août 1914 pour s’achever en 1989, chute du Mur de Berlin. Soixante-quinze ans pour un siècle, cela peut sembler court mais, à y regarder de plus près, la densité des événements est telle que l’on peut, pour une fois, mettre de côté les rigidités chronologiques.

Sans être révolutionnaire, le livre de Pierre Vallaud fournit une magnifique synthèse de ce conflit dantesque. Le lecteur sera indulgent sur quelques défauts mineurs. On pardonnera volontiers la désinvolture avec laquelle l’auteur traite la grande bataille navale du Jutland tant les qualités générales de l’ouvrage sautent aux yeux. Parmi celles-ci, retenons-en trois. Le texte est agrémenté de plusieurs centaines de photos et de dessins inédits ou rarement publiés. Pour la première fois dans l’histoire des guerres l’utilisation de la photo permettait de rendre encore plus proche la vie et la souffrance du soldat. Ce que la Guerre de Sécession avait permis d’entrevoir trouvait ici un couronnement. Les vues de ces cadavres rassemblés après la bataille disent plus de l’ampleur du carnage que tous les savants traités. L’auteur a eu également l’excellente idée d’enrichir l’ouvrage de lettres envoyées par les combattants à leurs proches. Il en ressort une émotion palpable, des moments d’humanité saisis sur le vif ; par exemple l’état d’esprit du soldat qui attend la permission désirée ou de celui qui s’apprête à monter en ligne. L’ouvrage est enfin remarquable par la place qu’il donne à des théâtres d’opération dont une certaine historiographie a minoré l’importance : Balkans, Proche-Orient, Caucase… Il y a même une photographie représentant des Tahitiens, encadrés de soldats français, prêts à faire le coup de feu contre quelque navire corsaire allemand ! Par son ampleur même, cette guerre fut vraiment un conflit mondial. L’auteur a su saisir la dimension planétaire d’un conflit qui n’avait pas de précédent.

S’il ne s’agit pas du livre le plus fouillé relatif à la Première Guerre mondiale, le livre de Pierre Vallaud devrait figurer en bonne place parmi les livres qu’il faut avoir lu sur cette période. Une synthèse agréable, simple sans jamais tomber dans le simplisme.

 

Pierre Vallaud, 14-18 La première guerre mondiale, Acropole, 2008, 605 pages, 36 €

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De la guerre en Amérique

Broché: 350 pages
Editeur : PERRIN (22 août 2013)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262042721
ISBN-13: 978-2262042721
Dimensions : 17,2 x 10,8 x 4,2 cm

 De la guerre en Amérique

Il existe bien une exception américaine ! Thomas Rabino, dans cet éclairant essai, en donne d’éclatantes preuves. L’ouvrage, dont le titre est un clin d’œil à Tocqueville et à sa Démocratie en Amérique, postule l’idée que la culture de guerre fait partie de l’identité des Etats-Unis. Ceux-ci constituent l’exemple rare, voire unique, d’un pays libre et démocratique qui a élevé la culture des armes à un niveau rarement atteint. Que les Américains aient pris les armes pour acquérir leur indépendance lors de la seconde moitié du XVIII° siècle, soit ! Qu’ils se soient constitués en « arsenal des démocraties » pour abattre le nazisme et le fascisme, cela se conçoit aussi. Par contre, qu’après la Seconde Guerre mondiale ils aient été impliqués dans autant de guerres est plus surprenant. Mieux, c’est la seule démocratie à faire de la force militaire le fondement essentiel de sa puissance. Alors que l’Europe désarme, les Etats-Unis ne cessent d’augmenter leur budget militaire. Ce sont leurs bases et leurs porte-avions qui leur permettent de peser d’un tel poids dans les affaires du monde. Cette force est alimentée par des lobbies, un appareil militaro-industriel énorme et un patriotisme farouche. Les attentats du 11-Septembre ont permis de voir à quel point ce pays était atteint de fièvre guerrière. Dans cet essai percutant, Thomas Rabino dissèque les fondements de la culture de guerre propre à cette belliqueuse nation. Les multiples guerres dans lesquelles le pays a été engagé ainsi que la crainte de la menace terroriste ont sanctuarisé le territoire. Des médias peu objectifs créent une psychose propre à maintenir en armes un pays déjà envahi par quelque 300 millions d’armes individuels. Un patriotisme exacerbé tait toute tentative de s’opposer à cette sacralisation de la guerre. Quant aux opposants, comme le rappelle à satiété l’auteur, ils sont contraints à faire profil bas. L’inclination pour la guerre, et c’est le plus inquiétant, tient pour une grande part à une esthétisation de la violence, à un culte des engins de mort qui, parfois, n’est pas sans rappeler ce qui se passait dans les totalitarismes du XX° siècle. Mais, en l’occurrence, c’est l’appareil démocratique, vocabulaire et structures en tête, qui mène le bal des faux derches.

Toutefois, la conclusion de Thomas Rabino soulève quelque espoir de détente. Les avanies subies à l’extérieur (Irak) et sur son propre sol (la mauvaise gestion de l’ouragan Katrina) imposent de la modération. Il ne faudrait pas que, par un malsain retour de balancier, qu’interventionnistes à tout prix les USA redeviennent ce qu’ils ont été à un moment donné, des isolationnistes frileux.

 

Thomas Rabino, De la guerre en Amérique, Tempus, 2013, 751 pages, 12€

 

 

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La guerre Iran-Irak (1980-1988) : Première guerre du Golfe

Broché: 604 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (12 septembre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262041954
ISBN-13: 978-2262041953
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 4,4 cm

 La guerre Iran-Irak (1980-1988) : Première guerre du Golfe

Dernière grande guerre du XX° siècle, la Première guerre du Golfe (1980-1988) a causé la mort d’environ 700 000 personnes, des soldats pour la plupart. Il était donc plus que bienvenu qu’un spécialiste s’empare de ce sujet. C’est désormais chose faite ! Pierre Razoux, déjà auteur d’un ouvrage remarquable consacré à l’Armée israélienne, éclaire ce conflit avec un luxe de détails assez impressionnant, surtout au plan militaire. A ce titre, cette guerre apparaît bien pour ce qu’elle fut, une guerre totale, une guerre du XX° siècle où chacun compte ses troupes : nombre de divisions, de chars, d’avions et de navires. Sommaire au début, la stratégie s’affine avec les années. L’armée irakienne, souvent sur la défensive, se professionnalise alors que l’iranienne, plus chichement dotée en armes, fait peser sur son ennemi un potentiel humain nettement supérieur. Dans cette lutte à mort il ne pouvait y avoir de vainqueur net et si l’Irak fut, à la fin, déclaré gagnant, il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus. L’auteur ne pouvait taire les conséquences économiques d’un conflit qui a pesé lourdement sur l’économie mondiale, sept ans après le brusque renchérissement du prix du pétrole décidé par l’OPEP. Autour d’une guerre totale l’auteur donne un livre s’intéressant à tous les aspects de cet affrontement. Il n’oublie pas de relater les affaires qui empoisonnèrent la vie démocratique en Occident comme l’affaire Gordji en France ou l’aide aux contras nicaraguayens tirée de la vente d’armes à l’Iran par des firmes américaines. L’argent n’ayant pas d’odeur, il est stupéfiant de voir combien un nombre impressionnant de pays, attiré par l’appât du gain, ont commercé à qui mieux mieux avec l’Iran et l’Irak qui n’étaient pas, c’est le moins qu’on puisse dire, des parangons de vertus.

Tout en donnant un luxe de détails, surtout s’agissant des armements utilisés, Pierre Razoux place ce conflit dans une perspective plus générale qui est la configuration du Proche et du Moyen-Orient, minés par les conflits nationaux et religieux. Pierre Razoux n’oublie pas, évidemment, de s’emparer des conséquences que le conflit a générées sur les économies régionales et l’économie mondiale, notamment en matière de prix pétrolier. Tout en convenant que l’ouvrage s’intéresse d’abord à l’aspect militaire du conflit, c’est probablement ce que l’on a fait de mieux en France à ce jour.

 

Pierre Razoux, La guerre Iran – Irak, Perrin, 2013, 604 pages, 27 €

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1915 : L’enlisement

Broché: 388 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (17 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262030359
ISBN-13: 978-2262030353
Dimensions : 21 x 14,2 x 3,6 cm

 1915 : L’enlisement

Des cinq années que couvre la Première Guerre mondiale, l’année 1915 est probablement la moins connue. 1914, c’est la bataille de la Marne ; 1916, Verdun ; 1917, le Chemin de Dames ; 1918, l’année de la victoire. Dans l’imaginaire collectif, la deuxième année de la guerre ne fait référence à aucun épisode majeur, comme si le front s’était totalement figé dans la boue des tranchées. Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique, si 1915 est synonyme d’enlisement, ce n’est pas que rien ne se soit passé ; au contraire, le Front de l’Ouest a connu deux offensives françaises majeures, en Artois et en Champagne. L’Etat-Major n’envisage qu’une guerre courte. Il faut donc forcer la décision. Celle-ci se fera par des poussées partielles sur telle ou telle partie du front et par des offensives de grand style. Dans l’esprit de Joffre, le généralissime des Armées françaises, cette stratégie vise à grignoter l’ennemi, lui infliger des pertes telles qu’il se résolve à la paix. N’étaient justement ces pertes, on pourrait rire de ces manœuvres de gribouille qui affaiblissaient infiniment plus l’attaquant que le défenseur. Face aux mitrailleuses allemande, le sacrifice de l’infanterie française fut totalement vain : plus de 300 000 morts pour récupérer quelques kilomètres carrés, gain dérisoire au regard des pertes. Ces échecs attestaient la faillite d’états-majors ineptes parce qu’adeptes d’offensives à outrance tournant toujours à la boucherie. Dès lors, on ne pouvait plus l’ignorer : la guerre allait durer.

Servi par un remarquable esprit de synthèse, Jean-Yves Le Naour décrit tous les aspects d’un temps indissociable de la guerre : la vie aux armées et à l’arrière, le jeu politique, les luttes de faction entre militaires, la mutation industrielle, la guerre à l’Est et en Orient… Dans cette vaste fresque, l’auteur pointe particulièrement la médiocrité de généraux – Joffre le tout premier – qui ne comprennent pas que le courage ne vaut rien face à la mitraille. Le malheur est que les militaires imposent leurs vues criminelles à une classe politique atone de laquelle se sont retranchés les plus lucides comme Clemenceau. Quant à l’Union Sacrée, Jean-Yves Le Naour la décrit davantage comme un pis-aller que comme un choix mûrement accompli et ardemment désiré.

Couvrant tous les aspects du conflit, 1915 éclaire de façon convaincante une année triste et méconnue.

 
Jean-Yves Le Naour, 1915, L’enlisement, Perrin, 2013, 388 pages, 23 €

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Joukov : L’homme qui a vaincu Hitler

Broché: 732 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (5 septembre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262039224
ISBN-13: 978-2262039226
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 2,8 cm

 Joukov : L’homme qui a vaincu Hitler

Jean Lopez est à l’heure actuelle, en France, le spécialiste incontestable du front de l’Est, c’est-à-dire de l’implacable conflit qui opposa l’Allemagne hitlérienne à l’Urss de Staline. Féroce et impitoyable affrontement car c’est là, bien plus que sur les plages de Normandie, que s’est joué le sort de la guerre. Ce conflit géant qui a opposé des millions d’hommes et une masse colossale de matériel a constitué le théâtre d’opérations majeur du second conflit mondial. Car cette guerre fut vraiment terrible et dévastatrice : des millions de victimes, des destructions sans fin, une somme d’atrocités jamais dépassée au XX° siècle. C’est dans ce contexte apocalyptique que Georgi Joukov vit grandi son étoile. Rien ne prédisposait cet enfant de condition modeste et à la scolarité minimale de se voir confier les rênes de l’Armée Rouge, si ce n’est un amour de l’art guerrier vitaminé par un courage et une obstination de tous les instants. Au travers d’opérations militaires longuement disséquées, l’auteur ne nie pas les limites d’un homme orgueilleux et brutal. Néanmoins, il lui reconnaît les qualités qui lui ont permis de triompher d’adversaires multiples, et pas seulement l’Armée allemande. En effet, en plus d’avoir à mener des batailles contre cet adversaire redoutable qu’est la Wehrmacht, Joukov doit calculer avec la jalousie des autres grands chefs soviétiques et la duplicité d’un Staline qui n’hésite pas, afin de mieux assurer son pouvoir total, de faire jouer les rivalités.

La guerre à l’Est fut vraiment une guerre totale. Pas seulement par des batailles que l’expertise des auteurs décrit avec un grand luxe de précisions, mais aussi dans les rivalités qui déchiraient états-majors et chefs militaires. Avec un art consommé du « diviser pour régner », jusqu’au bout Staline a joué ses généraux les uns contre les autres. Il trouvait plaisir à les mettre en compétition car c’était, pensait-il, une assurance de poids contre le surgissement éventuel d’un nouveau Bonaparte, c’est-à-dire d’un soldat populaire suffisamment audacieux pour fomenter un coup d’Etat.

Pour apprécier pleinement le livre comme il convient, mieux vaut s’intéresser de près à l’histoire militaire. Ouvrage de passionné puisant aux meilleures sources, ce Joukov est ce que l’on fait de mieux en matière de biographie. Un somptueux et grandiose livre d’Histoire.

Jean Lopez & Lasha Otkhmezuri, Joukov, l’homme qui a vaincu Hitler, Perrin, 2013, 729 pages, 28 €

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La montagne refuge : Accueil et sauvetage des juifs autour du Chambon-sur Lignon

Broché: 400 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (17 avril 2013)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226245472
ISBN-13: 978-2226245472
Dimensions : 24,2 x 17,4 x 3,2 cm

 La montagne refuge : Accueil et sauvetage des juifs autour du Chambon-sur Lignon

L’accueil et le sauvetage des juifs autour de la commune du Chambon-du-Lignon constituent une aventure de mieux en mieux connue. Cet ouvrage se montre digne de l’intérêt suscité par cette petite communauté rurale qui n’a pas voulu se rendre à l’inacceptable, à savoir ne rien faire pour protéger des juifs persécutés. La Montagne refuge met une sourdine aux propos tendant à faire des Français de cette époque des collabos en puissance. Cet ouvrage collectif montre les risques pris par certaines communautés pour accueillir et défendre des juifs de France. Donnant tour à tour la parole à des historiens locaux et professionnels, La Montagne refuge se situe toujours à hauteur d’hommes, ce qui lui donne un reflet particulier. Ne risquent-ils pas de finir dans un camp de la mort ces enfants que l’on voit courir et jouer dans des photos couleur sépia, ces femmes et ces hommes qui connaissent le prix à payer en cas de capture ? La région du Chambon-sur-Lignon était-elle prédestinée à un tel sauvetage ? C’est très probable quand on connaît son histoire, elle qui fut un laboratoire du christianisme social dans sa version protestante. Les élus, pasteurs et instituteurs de la région étaient d’emblée qualifier pour devenir de superbes figures de la résistance civile et spirituelle. Les auteurs ont eu raison de mettre l’accent sur le christianisme social, lequel n’a pas été pour rien dans la préparation des esprits à l’accueil et au sauvetage des juifs.

Tout se passe comme si cette résistance non-violente gagnait tous les cœurs. Dans le concours apporté vaille que vaille aux autorités d’Occupation la gendarmerie se montre d’une inefficacité redoutable. Les Allemands eux-mêmes semblent gagnés par l’atmosphère de paix qui règne en ces lieux. Le major Schmähling, commandant de la Feldkommandantur au Puy, n’est pas un nazi virulent, loin de là. Il fait partie de ces Allemands contraints à la guerre et qui n’attendent rien d’autre que sa fin.

La qualité du travail de l’éditeur, les photographies nombreuses et la qualité des articles constituent un superbe témoignage en faveur des sauveteurs et de leurs protégés. Un livre qui rend honneur à l’homme.

Collectif, La Montagne refuge, Albin Michel, 2013, 379 pages, 25 €

 

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Le Siècle de 1914

Broché: 408 pages
Editeur : Pygmalion Editions (21 avril 2006)
Collection : HISTOIRE
Langue : Français
ISBN-10: 2857048327
ISBN-13: 978-2857048329
Dimensions : 24 x 15,4 x 3 cm

 Le Siècle de 1914

En même temps que Le Siècle de 1914 offre une synthèse accomplie du XX° siècle, siècle des totalitarismes et des utopies révolutionnaires, ce livre de Dominique Venner se veut une réflexion sur l’histoire de l’Europe, de sa grandeur passée à son effacement actuel. Ce siècle dernier, si important car fondateur des temps qui s’ouvrent, est né avec la Grande Guerre. C’est le siècle des utopies, des guerres et des révolutions, le siècle qui vit s’affronter les grandes idéologies : capitalisme, fascisme, nazisme et communisme. L’essentiel du livre se veut la narration d’une époque qui s’ouvre en août 1914 et s’achève en 1989.

L’érudition de l’auteur, son style limpide et sa capacité à saisir l’essentiel offrent une démonstration de ce qui se fait de mieux dans le genre, la synthèse accomplie d’un siècle qui vit se cumuler les idéologies mortifères. Mais D. Venner fait mieux que raconter l’histoire de l’Europe. La pointe de son propos porte sur le destin de la civilisation européenne. La Première Guerre Mondiale, « matrice du siècle », est fondatrice car elle a permis « l’intrusion des Etats-Unis dans les affaires européennes, la brutalisation des mentalités qui sévira au moins jusqu’en 1945, la révolution bolchevique de 1917, la révolution fasciste en Italie […] » (p. 10) Comment ne pas voir qu’en quelques décennies c’est une civilisation millénaire qui s’est effondrée ? Longtemps centre du monde, l’Europe s’aperçoit brusquement qu’elle n’est plus qu’un acteur parmi d’autres. Le traumatisme qu’ont vécu les Européens n’est pas qu’économique : le mal est plus profond. Les ancrages anciens ont explosé. « L’effondrement des références nationales, idéologiques et religieuses, l’explosion des égoïsmes individuels, l’implosion des couples et des familles, la disparition des finalités collectives… » (p.11) offrent l’image d’un paradigme nouveau dans lequel l’Europe ne possède plus les clés de son destin. Le suicide collectif de deux conflits mondiaux l’a épuisé, saigné à blanc. Désenchanté, livré au diktat du divertissement et de la consommation à tout prix, l’Européen n’est plus maître de sa vie. Centré sur la recherche exclusive du bonheur individuel, hébété par le discours ambiant, le voilà livré, pieds et mains liés, au triomphe de l’universalisme. Après la fin des terroirs d’Eugen Weber, voici la fin des ambitions collectives.

Le pessimisme angoissé de D. Venner n’est pas désespéré. Son souhait : que les Européens redeviennent les acteurs de leur propre vie, comme ils le furent depuis des siècles ; qu’ils redécouvrent le génial patrimoine qui leur a été légué par une civilisation qui trouve son origine à Athènes, Rome et Jérusalem.
Une superbe leçon d’histoire !

Dominique Venner, Le Siècle de 1914, Pygmalion, 2006, 409 pages, 22.90€

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Histoire de la Russie des tsars

Broché: 456 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (28 mars 2013)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2262039925
ISBN-13: 978-2262039929
Dimensions : 24 x 15,4 x 3,8 cm

  Histoire de la Russie des tsars

Attention, ce livre de Richard Pipes est l’archétype du livre universitaire. Il suppose la connaissance préalable de l’histoire russe, savoir s’appuyant sur une chronologie solide. Car les événements et l’histoire commentée des grandes dates qui ont fait la Russie n’intéressent que médiocrement l’universitaire américain.
L’Histoire de la Russie des tsars de Richard Pipes analyse un système, rend compte de phénomènes de grande durée sans grand souci chronologique. Il faut le souligner d’emblée : le livre de Richard Pipes est un livre à thèse. A travers une lecture qu’il faut bien qualifier d’aride, l’auteur s’emploie à disséquer la nature de l’état patrimonial russe, une terre et un peuple qui étaient la propriété exclusive du tsar. En effet, contrairement à l’Occident médiéval, il n’y eut jamais en Russie de noblesse capable de défendre une quelconque autonomie face à l’Etat. L’administration, le fisc, la propriété, l’armée… tout était concentré entre les mains d’un seul, successeur des empereurs byzantins ayant élu pouvoir à Moscou – avant la création de Saint-Pétersbourg -, la troisième Rome. Alors qu’en France et dans l’Empire germanique, l’Eglise entend défendre ses privilèges face au pouvoir royal (gallicanisme), en Russie l’Eglise orthodoxe se met, pieds et mains liés, au service de l’Etat. Par excellence la Russie était la terre de l’autocratie, c’est-à-dire un Etat dans lequel un seul individu détenait la totalité du pouvoir. Le problème, c’est qu’au XIX° siècle, face à la menace que constituent le marxisme et le nihilisme, les serviteurs fidèles et désintéressés de l’Etat son peu nombreux. Cela expliquera en partie la facilité avec laquelle l’Etat des Romanov, puissance séculaire, tomba et se disloqua. La force du fatalisme slave, la faiblesse de la classe moyenne, l’étendue du pays, la médiocrité des administrations militaire et civile et la nature même d’un pouvoir qui était devenu policier – afin de lutter contre les forces montantes – facilitèrent la prise du pouvoir par les bolcheviks. Résultat : l’héritage historique a rendu la rupture avec le despotisme très difficile. Cela explique, encore aujourd’hui, certains traits d’un pouvoir peu à l’aise, c’est le moins qu’on puisse dire, avec les conquêtes démocratiques.
Un livre difficile mais essentiel pour qui veut comprendre la nature profonde de la nation russe.

Richard Pipes, Histoire de la Russie des tsars, Perrin, 2013, 460 pages, 24.50 €