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Bérézina

Broché : 199 pages
Editeur : Guérin (22 janvier 2015)
Collection : Démarches
Langue : Français
ISBN-10 : 2352210895
ISBN-13 : 978-2352210894
Dimensions : 21 x 1,5 x 13,2 cm

 Bérézina

Les débuts de siècle sont l’occasion de célébrer de maintes façons l’épopée napoléonienne. De 2004 (sacre de Napoléon à Notre-Dame) à 2021 (mort de l’Empereur à Sainte-Hélène), chaque année donne l’idée de se plonger dans la geste impériale. L’écrivain-voyageur Sylvain Tesson n’a pas attendu une quelconque célébration officielle pour prendre les devants. En 2012, avec quelques potes, dont des Russes, il a effectué à moto – un vieux side-car soviétique de marque Oural – le trajet qu’avaient réalisé, depuis Moscou, les survivants de la Campagne de Russie. En octobre 1812, dans une ville complètement détruite, l’Empereur Napoléon, navré du rejet de ses offres de paix par le tsar Alexandre I°, ne voyait plus d’autre recours que de regagner la France au plus tôt. C’était jouer gros car la neige, qui tomba d’abondance dès octobre, annonçait un hiver rigoureux. Deux siècles après, on demeure stupéfait devant les efforts surhumains déployés par des soldats marchant dans le froid sans nourriture. Encore ébahi par les exploits de la Grande Armée, Sylvain Tesson a effectué en une douzaine d’étapes les 2 500 kilomètres séparant Moscou de Paris. Il les a faits à sa façon : bravache et décalée. Bérézina offre le mélange des souvenirs du motocycliste contemporain et des pensées que lui procure cette équipée sauvage car, n’est-ce pas, « le mouvement encourage la méditation. La preuve : les voyageurs ont toujours davantage d’idées au retour qu’au départ. » (p. 177) Pour le reste, les habitués de la verve « tessonienne » ne seront pas dépaysés : l’auteur et ses acolytes ne se prennent jamais trop au sérieux, balançant entre souvenirs mélancoliques et rasades de vodka.

Il y a toujours de l’intérêt à lire Tesson : pour les histoires qu’il raconte, les souvenirs qu’il livre ainsi que son regard sur le monde qui tourne, un regard souvent impertinent et critique. Alors que notre monde porte au pinacle modes, consommation et réussite individuelle, voilà longtemps que Tesson s’est rallié à l’enthousiasme des soldats de l’Empire qui, eux, combattaient pour la gloire et l’honneur. La destinée du grognard, c’était la gloire ; l’horizon de l’individu d’aujourd’hui, c’est le shopping.

 

Sylvain Tesson, Bérézina, Editions Guérin, 2015, 199 pages, 19.50 €

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Waterloo 1815

Broché : 315 pages
Editeur : Perrin (15 janvier 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262039402
ISBN-13 : 978-2262039400
Dimensions : 22 x 2,4 x 17,1 cm

 Waterloo 1815

Faute d’avoir commémoré à sa juste mesure l’éclatante victoire d’Auterlitz (1805 – 2005), peut-être la République cherchera-t-elle à « équilibrer la balance » en fêtant la défaite de Waterloo dont, en juin prochain, sera célébré le deuxième centenaire. Ainsi va la vie : nos dirigeants semblent préférer les raclées que se rappeler les triomphes de nos armées. D’ailleurs, si la délégation envoyée en Moravie en 2005 était des plus squelettiques, celle qui accompagnait les Britanniques se rappelant l’éclatant souvenir de Trafalgar était davantage étoffée. Curieuse nation qui préfère oublier ses victoires pour mieux se souvenir de celles de ses ennemis…

Thierry Lentz, l’actuel directeur de la Fondation Napoléon, a choisi de ne pas entrer dans cette polémique. Son livre figure parmi les premiers de la longue théorie des histoires de la bataille de Waterloo qui ne manquera pas de ponctuer l’année 2015. Nombreux sont les ouvrages de qualité à décrire par le menu les diverses phases de la batailles ; citons pour mémoire les Waterloo de Jacques Logie, Jean-Claude Damamme ou Alessandro Barbero, tous excellents. Habitué à des travaux de niveau universitaire et fort de connaissances encyclopédiques sur la période, Thierry Lentz a préféré écrire un livre pour Monsieur tout le monde. Facile à lire, doté d’une mise en page aérée, agrémenté d’illustrations de qualité, le livre de Thierry Lentz se place d’emblée parmi ces livres grand public qui, sans faire de bruit, en peu de pages, donnent l’essentiel. Phase après phase, c’est l’ensemble de la campagne de Belgique de ce mois de juin 1815 qui vaut l’objet de chapitres clairs et éclairants. Le lecteur averti n’attendra pas de révélations de ces pages ; peut-être même trouvera-t-il certaines phases de la bataille trop rapidement expédiées, cas, par exemple, de l’attaque mal montée du Ier Corps de Drouet d’Erlon. Mais l’intention de Thierry Lentz, l’un des meilleurs spécialistes de la période, n’était pas de raconter dans le détail ces jours funestes pour nos armes. Il s’agissait de donner un récit simple et circonstancié, compréhensible par tous et d’abord par les lecteurs peu au fait de la geste impériale. Dans ce cadre, le pari est pleinement réussi.

 

Thierry Lentz, Waterloo 1815, Perrin, 2015, 316 pages, 24.90 €

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Hitler et la France

Broché : 429 pages
Editeur : PERRIN (4 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262039631
ISBN-13 : 978-2262039639
Dimensions : 24 x 2,9 x 15,5 cm

 Hitler et la France

Dans Mein Kampf, Adolf Hitler n’a jamais fait mystère de ce qu’il pensait de la France et du sort qu’il lui réservait si un jour elle devait finir vaincue par la puissance germanique. De la France Hitler admire l’architecture du Grand Siècle et le génie militaire de Napoléon. En tant qu’ancien combattant du front des Flandres durant la Première Guerre mondiale, il conserve de la considération pour ceux qui ont vécu dans les tranchées, de quelque bord qu’ils fussent. Pour le reste, s’agissant de la France, il n’a jamais fait mystère de son mépris d’une puissance qu’il tient pour dégénérée. Voilà la pensée que l’auteur prête à Hitler : « La France, par sa tradition coloniale, est la pourvoyeuse des « races inférieures » en Europe. » (p. 24). Avec son esprit mégalomaniaque, il la juge « enjuivée », soumise à des politiciens véreux, envahie par des hordes d’apatrides qu’il appelle « métèques ». Bref, en plus d’être un ennemi héréditaire, la France est aux yeux du maître du III° Reich un pays qui compte pour presque rien et qui doit son prestige à sa seule renommée passée. Il est vrai que la monumentale défaite de mai-juin 1940 donne raison à Hitler : en un mois, l’armée que l’on croyait la plus puissante de la coalition alliée est rayée de la carte, le pays envahi, l’Etat annihilé. Plusieurs considérations retiennent Hitler quant à sa volonté d’occuper totalement le pays : le sort de la flotte, la quatrième du monde, et le désir de faire de la France soumise un partenaire de choix dans la carte de l’Europe nouvelle que ses armées dessinent. L’entrevue de Montoire, entre Hitler et Pétain, laisse deviner l’Europe souhaitée par le premier : un ensemble de peuples et de gouvernements asservis devant apporter leur contribution à la lutte implacable menée à l’est contre l’Union Soviétique. La collaboration s’avéra au final un jeu de dupes, un pillage monumental qui, s’il avait duré, aurait ramené la France au rang d’une puissance de second ordre.

Spécialiste reconnu de la Seconde Guerre mondiale, Jean-Paul Cointet donne un récit remarquablement étayé, une évocation sobre et suggestive de ce qu’aurait été l’Europe si l’Allemagne nazie avait gagné la guerre.

 

Jean-Paul Cointet, Hitler et la France, Perrin, 2014, 429 pages, 23.90 €

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Une histoire du III° Reich

Broché: 527 pages
Editeur : Perrin (6 novembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 226203642X
ISBN-13 : 978-2262036423
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Une histoire du III° Reich

Il existe déjà tellement d’ouvrages consacrés au nazisme et au III° Reich que l’on se demande bien ce que peut apporter de nouveau le livre de François Delpla.

Une histoire du III° Reich et non L’histoire du III° Reich… Beaucoup est dit dans le choix de ce titre. Le but de l’auteur n’était pas d’écrire l’histoire exhaustive du III° Reich mais d’en donner une perspective différence de ce qui s’écrit généralement sur le sujet. L’arrivée d’Hitler au pouvoir, la constitution de l’Etat totalitaire, les luttes d’influence au sein de l’appareil nazi, l’administration des territoires occupés constituent les chapitres les plus marquants de l’ouvrage. Si l’on suit bien l’auteur, sa thèse est que le rôle d’Adolf Hitler apparaît absolument central. Il n’est pas le personnage médiocre dont une certaine historiographie a consacré l’image. Parti de rien, ce peintre amateur, lecteur boulimique et inachevé, politicien sans scrupules ayant forgé la plus implacable des idéologies, a réussi à mettre dans sa poche et à écraser sous sa botte des millions d’Européens. Si l’on considère ce seul résultat, l’ « exploit » n’est pas mince. Cette simple constatation ne doit en rien cacher le côté diabolique et impitoyable du régime. Comment le peuple allemand, sans doute le plus éduqué d’Europe à l’époque, s’est livré corps et âme à un tel dictateur demeure pour partie une énigme que l’ouvrage de F. Delpla s’emploie à éclairer ? Avec l’auteur, sans doute faut-il croire que « les Allemands ordinaires, dans leur majorité, s’étaient laissés prendre à la mise en scène hitlérienne, d’autant plus efficace qu’elle tirait parti d’une forme de sincérité et même d’ingénuité. » (p. 508) N’est-ce pas Rivarol qui disait que les peuples changeaient volontiers de maîtres, pensant trouver mieux ? Avec Hitler, le peuple allemand avait trouvé son mauvais génie.

Le livre de François Delpla n’est pas un livre facile. Il est davantage une analyse s’inscrivant dans la chronologie qu’une histoire classique ; il suppose donc une connaissance assez fine de la période. Cela dit, et en dépit de quelques maladresses au sujet des opérations militaires qui signent l’apogée de la chute du « Reich millénaire » voulu par Hitler, cette Histoire du III° Reich tient toutes ses promesses.

 

François Delpla, Une histoire du III° Reich, Perrin, 2014, 527 pages, 24.90 €

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1715 : la France et le monde

Broché: 400 pages Editeur : Perrin (13 novembre 2014)
Collection : Synthèses Historiques
Langue : Français
ISBN-10 : 2262033315
ISBN-13 : 978-2262033316
Dimensions : 23,9 x 2,9 x 15,2 cm

 1715 – la France et le monde

Comme l’Américain Charles C. Mann l’a fait en publiant 1491 et 1493, Thierry Sarmant donne l’état du monde en l’année 1715, année de la mort du Roi-Soleil. Cette date est plus qu’un symbole : elle annonce la fin de la prépondérance française et le début de la domination de l’Angleterre dans un monde de plus en plus sous la coupe des puissances européennes. Dans un premier temps, l’auteur dresse l’état de l’Europe, pays par pays, ne retenant que ceux qui comptent : France, Angleterre, Espagne, Saint-Empire, Russie, etc. Mais il n’oublie pas de jeter son regard au-delà des confins européens. Alors que l’Europe sort à peine des longues guerres du règne de Louis XIV, qu’elle s’apprête à entrer dans une période de paix d’une quarantaine d’année – presque un record en ce temps-là ! -, d’autres régions du globe connaissent des activités frénétiques. C’est le cas de l’Inde qui, après avoir connu la domination musulmane du Grand Moghol, s’apprête à revenir à ses fondements hindous. Malgré des réformes, l’Empire ottoman entame son long déclin qui le conduira, en 1918, dans le camp des perdants. La Perse de la dynastie des séfévides connaît un relatif âge d’or malgré des révoltes venues de sa périphérie. Quant à la Chine de l’empereur Kangxi, elle constitue, selon l’auteur, le pays du monde le plus peuplé et le mieux organisé. A propos de la Chine, Thierry Sarmant ne pouvait pas ne pas évoquer la querelle des rites chinois qui vit cet immense pays échapper à l’emprise spirituelle du catholicisme à cause de l’incapacité de la cour romaine à saisir l’enjeu de l’inculturation : impossible d’espérer convertir une civilisation aussi vieille et aussi brillante sans concéder quelque souplesse et des accommodements bien sentis. Quant à la Russie de Pierre le Grand, après avoir vaincu le roi de Suède Charles XII, elle s’apprête, elle aussi, à entrer dans le concert des grandes puissances. Reste, bien sûr, le sort de l’Amérique, proie tentante pour les colonisateurs d’hier et de demain.

D’une grande richesse et aisé à lire, ce 1715 constitue au final le tableau complet d’une époque charnière, comme si les sociétés traditionnelles étaient en train de briller de leurs derniers feux.

 

Thierry Sarmant, 1715, la France et le monde, Perrin, 2014, 461 pages, 24 €

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La fin des terroirs

Broché: 736 pages
Editeur : Fayard/Pluriel (25 mai 2011)
Collection : Grand Pluriel
Langue : Français
ISBN-10 : 2818501296
ISBN-13 : 978-2818501290
Dimensions : 19,9 x 3,8 x 13,5 cm

  La fin des terroirs

Vivent les Editions Fayard/Pluriel qui ont eu l’excellente idée de rééditer le formidable classique qu’est devenu La fin des terroirs, de l’Américain Eugen Weber, ouvrage qui relate le passage de la France d’autrefois au pays moderne forgé par l’irruption rapide du progrès technique. A la lecture de cet ouvrage passionnant, on imagine sans peine la vitesse phénoménale avec laquelle notre pays est passé d’une civilisation à une autre : c’est seulement en quelques décennies qu’il a quitté la civilisation rurale et paroissiale d’autrefois pour entrer de plain-pied dans la modernité. La révolution industrielle, la Première Guerre mondiale, les progrès matériels et scientifiques sans fin ont bouleversé le mode de vie des Français. Naguère société de paysans et de ruraux, la France est devenue, en à peine un siècle, le premier pays d’Europe en matière d’établissements de grandes surfaces. Pas étonnant qu’une telle marche forcée continue à laisser des traces, la nostalgie des uns côtoyant le désir obsessionnel de consommation des autres. Le rythme stupéfiant de ce changement constitue sans doute la première cause d’atomisation de la nation. Si aujourd’hui les Français peinent à faire société, la raison est sans doute à chercher dans cette brusque rupture avec la culture et la vie d’autrefois.

A travers la trentaine de chapitres qu’égrène l’ouvrage, le lecteur est saisi par l’ampleur du changement. Eugen Weber multiplie les exemples attestant combien fut puissant le passage du monde rural, vivant à un rythme lent et fermé sur lui-même, à la société moderne.  Sait-on qu’avant 1900 beaucoup de Français ne parlent pas français, mais usent couramment du patois ? Que beaucoup de nos routes n’existent pas encore et que le moindre déplacement se fait à pied ou, au mieux, à cheval ? Que religion, coutumes et croyances magiques coexistent dans un monde qui n’a pas idée du désenchantement qui bientôt le frappera ? Ce monde – la France d’autrefois –, en même temps qu’il voit fleurir querelles de clochers et bagarres idéologiques sait se retrouver pour faire société, lors des fêtes de villages ou, comme en hiver, lors des veillées. Grâce à des sources diverses et nombreuses, Eugen Weber est parvenu au mieux à donner du relief à ce monde disparu.

Un travail de recherche et de synthèse extrêmement abouti… et très agréable à lire !

 

Eugen Weber, La fin des terroirs, Pluriel, 2010, 717 pages, 16.20 €

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La dynastie rouge

Broché: 446 pages
Editeur : PERRIN (16 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040435
ISBN-13 : 978-2262040437
Dimensions : 21 x 3 x 14,1 cm

 La dynastie rouge

De 1945 à 2014, la Corée du Nord a offert le visage d’une dictature impitoyable, d’un pays fermé vivant dans le plus âpre totalitarisme. Avec la Corée de la dynastie Kim, nous ne sommes pas loin du 1984 d’Orwell : surveillance généralisée, déportation et exécutions des récalcitrants, culte de la personnalité, etc. Dans ce récit très documenté et bien enlevé, Pascal Dayez-Burgeon raconte autant l’histoire d’une dynastie que celle d’un pays. Il est vrai que les deux se confondent. Depuis l’avènement de Kim-il Sung – « le Glorieux Général descendu du ciel » (un des nombreux titres donnés à ce monarque rouge) -, la Corée du Nord se trouve corps et âme sous la coupe de la dynastie des Kim. Car c’est bien d’une dynastie qu’il s’agit, voire une monarchie. D’ailleurs, Kim-il Sung n’a jamais fait mystère de l’admiration qu’il éprouvait pour la monarchie britannique, gage de pérennité. Les oripeaux communistes ne cachent plus cette volonté d’un pouvoir désireux de se perpétuer. « Régie par une dynastie, explique l’auteur (p. 22), la République démocratique populaire de Corée est dorénavant une monarchie. » Dynastie ubuesque, pourrait-on ajouter, tant le culte de la personnalité, poussé au paroxysme, donne l’impression d’une grandiloquente guignolade. Guignolade hélas sanglante, n’ayant le plus souvent à offrir à ses compatriotes que répression et pénurie.

            La dynastie rouge relate d’abord la vie des personnages qui en tiennent les rênes. Corrompus et cruels, intelligents et cyniques, leur ressort ultime est de durer. C’est la raison pour laquelle, isolée sur la scène internationale, la Corée du Nord souffle alternativement le chaud et le froid, les Kim jouant habilement du chantage nucléaire. Si la dynastie tient, malgré les humiliations infligées au peuple et malgré une situation économique malheureuse, c’est aussi parce qu’elle a bénéficié d’une chance sans égale. Tout l’art des Kim a été et sera de jouer avec cette chance. A l’heure d’internet et du téléphone portable, il sera probablement de plus en plus difficile à cette « monarchie spectacle » de durer. Pour les dictateurs, il ne fait pas de doute que le meilleur moyen de conserver le pouvoir, c’est de demeurer implacable.

Un livre passionnant !

 

Pascal Dayez-Burgeon, La dynastie rouge, Perrin, 2014, 446 pages, 24 €

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1916

Broché : 376 pages
Editeur : PERRIN (23 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262030367
ISBN-13 : 978-2262030360
Dimensions : 21 x 2,9 x 14 cm

 1916

La plume vive et aiguisée de Jean-Yves Le Naour donne l’occasion de revisiter la Première Guerre Mondiale année par année. Ce 1916 est bien sûr le troisième volume d’une série qui, d’évidence, devrait en comporter cinq, à moins que l’historien ne décide de porter plus loin son regard, c’est-à-dire sur l’année 1919, celle des traités de paix, époque d’une importance capitale pour la compréhension du XX° siècle.

Facile et plaisant à lire, 1916 – L’enfer relate l’essentiel d’une année qui marque un certain statu quo, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Jean-Yves Le Naour s’intéresse peu à la périphérie ; tout juste a-t-il quelques mots un peu dédaigneux à l’égard de l’épopée de Lawrence d’Arabie, lequel commence alors à rassembler une partie des tribus arabes pour chasser l’envahisseur turc. L’essentiel se passe à l’Ouest, l’année 1916 étant celle de Verdun et de la Somme, deux batailles gigantesques, une attaque allemande et la seconde alliée, qui n’auront d’autre résultat que de faire tuer un nombre considérable de soldats. En effet, malgré les pilonnages d’artillerie, il suffit de quelques hommes autour d’une mitrailleuse pour stopper les offensives les mieux préparées. Comme le rappellent les militaires les plus lucides : le feu tue. C’est la raison pour laquelle un Pétain se refuse à ces offensives aussi coûteuses qu’inutiles. Seule l’arrivée des Américains et des chars permettra d’opérer la guerre de mouvement, seule possibilité d’en finir avec l’enfer des tranchées.

Je l’ai dit, cette synthèse se lit plaisamment. Pourtant, elle ne réussit pas à éviter certains écueils. Pourquoi, par exemple, aussi peu de place à la bataille du Jutland, de loin la plus grande confrontation navale de la guerre ? Pourquoi peu de choses sur l’enfer, dans ce qu’il y a de plus concret, de plus terre à terre, vécu par le simple soldat, dans l’univers sordide et impitoyable des tranchées ? Il nous semble que l’auteur accorde trop d’importance aux manœuvres des coulisses, celles qui opposent entre eux des généraux jaloux et divisent les politiciens. S’il est vrai que l’Union Sacrée ne fut pas un long fleuve tranquille, il n’en reste pas moins qu’elle réussit à cimenter une nation qui, peu de temps avant 1914, ressemblait plus à un agrégat qu’à un corps uni.


Jean-Yves Le Naour, 1916. L’enfer, Perrin, 2014, 374 pages, 23 €

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Considérations sur Hitler

Broché: 214 pages
Editeur : PERRIN (2 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262043817
ISBN-13: 978-2262043810
Dimensions : 21 x 1,8 x 14 cm

 Considérations sur Hitler

Les Editions Perrin ont eu l’excellente idée de publier ces Considérations sur Hitler, éditées la première fois en Allemagne en 1978. Militant antinazi, Sebastian Haffner a quitté le III° Reich pour se réfugier en Grande-Bretagne. C’est bien plus tard qu’il s’est décidé à écrire ces Considérations, un livre assez étrange en vérité car très éloigné des codes de la biographie classique. C’est un peu comme si l’auteur réfléchissait devant le lecteur à voix haute. Cela suppose de sa part une mise à distance appropriée ; par exemple, aucun désir de dresser un portrait psychologique du dictateur, labeur que l’auteur laisse aux historiens.

En sept chapitres (Vie – Réalisations – Succès – Erreurs – Fautes – Crimes – Trahison) écrits avec une grande liberté de ton, S. Haffner évoque les hauts et les bas, les réussites, les forfaits et les horreurs du régime enfanté par celui qui, au sortir de l’adolescence, était davantage promis à la carrière d’un médiocre peintre qu’à celle de dictateur. Haffner montre avec conviction les talents d’Hitler. On aurait tort de faire de ce dernier un médiocre si l’on considère que, parti de rien, il devient en quelques années le maître omnipotent du plus puissant pays d’Europe. Beaucoup ont sous-estimé Hitler et s’en sont mordus les doigts. Une fois au pouvoir, tout a semblé lui réussir. Comment ne pas être impressionné par le redressement économique qui, grâce à ses intuitions, parce qu’il savait s’entourer de gens compétents, a fait du III° Reich le géant de l’Europe ? Le problème, insiste Haffner, c’est qu’Hitler ne pouvait rester dans ce statu quo. Deux questions hantaient le personnage, deux questions qui devenaient chez lui de véritables obsessions : l’extermination des juifs et la domination de l’Est de l’Europe, la Russie en particulier. Ces points de fixation ont entraîné la chute de l’Allemagne. Pire, soutient Haffner, voyant lui échapper la domination sur l’Europe dès la fin 1942, Hitler se concentra sur le second but : la liquidation du peuple juif.

Au fond, insiste l’auteur dans sa conclusion – tel est l’objet du chapitre intitulé « Trahison » -, Hitler a eu du mépris pour le peuple allemand qu’il a tiré vers le gouffre. Il a été déçu par un peuple qui, à ses yeux, n’était pas prêt aux sacrifices colossaux que sa pensée mégalomaniaque imposait. Au cours des dix dernières années de sa vie, Hitler a méprisé ses compatriotes, « n’en recherchant plus le contact, devenant de plus en plus indifférent à leur sort et finalement retournant même contre eux sa volonté destructrice » (p.187). Une étude originale et éclairante.

 

Sebastian Haffner, Considérations sur Hitler, Perrin, 2014, 214 pages, 17.90 €

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Les batailles qui ont changé l’histoire

Broché: 395 pages
Editeur : PERRIN (11 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262037582
ISBN-13: 978-2262037581
Dimensions : 24 x 3,2 x 15,5 cm

 Les batailles qui ont changé l’histoire

A la suite d’un John F. Charles Fuller (Les batailles décisives du monde occidental) ou d’un John Keegan (Anatomie de la bataille), Arnaud Blin a choisi de décortiquer onze batailles qui, à ses yeux, ont bouleversé le sens de l’histoire. Contrairement à ses illustres devanciers qui ont opéré un choix suivant une certaine logique, Arnaud Blin pense au contraire que la part du hasard est essentielle, qu’il n’y a pas lieu à chercher du sens là où il n’y en pas. Tout au plus peut-on dire qu’il a retenu des batailles revêtant un caractère incertain et aléatoire : il n’était en effet pas certain que l’Armée Rouge l’emporte sur l’Armée allemande à Stalingrad (1943) ni que les mamelouks battent les mongols à Ain-Jalut (1260). Les batailles exposées ici revêtent-elles toutes le caractère décisif que leur attribue l’auteur ? Oui et non. Pour importantes qu’ont été leurs conséquences, une bataille demeure, le plus souvent, l’affaire d’une journée. Le résultat d’un tel affrontement est généralement plus la conséquence que la cause d’une crise plus large. « Demain, dans la bataille, le roi portera la péché de son armée », fait dire Shakespeare à l’un des protagonistes de sa pièce Henri V. Ce que le dramaturge veut dire c’est qu’il y avait, bien avant l’affrontement, des causes générales qui faisaient que la bataille ne pouvait qu’être perdue. La défaite de la France en mai-juin 1940 se joue dès 1919. En ce sens, je ne crois guère qu’une bataille puisse, à elle seule, changer l’histoire. Quant au choix des batailles – j’y reviens ! -, il paraît plutôt judicieux. On aurait pu toutefois compléter la liste : Leipzig (1813) ou Waterloo (1815) se parent d’une dimension historique tout aussi importante que Borodino, seule bataille du Premier Empire à figurer ici. Plus près de nous, la bataille de Moscou (1941), au plan psychologique et symbolique, apparaît comme un tournant décisif de la Seconde Guerre mondiale, d’importance égale à celui de Stalingrad, la seule à être retenue dans le présent ouvrage.

Pour plaisant à lire qu’il soit, Les batailles… ont un côté un peu vain ; l’impression de la même histoire, racontée certes différemment, mais tous les ressorts semblent usés jusqu’à la corde.

Arnaud Blin, Les batailles qui ont changé l’histoire, Perrin, 2014, 395 pages, 23.90 €