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Littérature Recensions

Russies

Broché: 203 pages
Editeur : Philippe Rey (7 octobre 2010)
Collection : DOCUMENT
Langue : Français
ISBN-10: 2848761709
ISBN-13: 978-2848761701
Dimensions : 15 x 12,8 x 1,8 cm

  Russies

Dominique Fernandez, académicien français de grande renommée, ne cesse d’arpenter la Russie, de Moscou à Vladivostok et de Saint-Pétersbourg à Irkoutsk. Il le fait en amoureux fou de cet immense espace, trente fois grand comme la France. Il sillonne donc la Russie en tous sens, à la recherche de l’âme russe. Elle se niche partout, dans le paysage, dans la religion, les comportements et les mentalités. Un de ses traits saillants est par exemple cette étrange capacité à la résignation, au fatalisme, le fatum des Anciens. A quoi est-elle due ? se demande l’auteur : « A l’influence de l’esprit oriental », au « fait d’habiter un pays sujet à des différences si énormes entre le chaud et le froid, à des sautes de températures si brusques qu’elle réduisent à néant tout essai de résistance, à l’habitude ancestrale […] d’être soumis à un pouvoir écrasant. » (p. 111)

L’auteur n’oublie pas de raconter la Russie de Vladimir Poutine. Elle n’a pas, sous sa plume, les traits mauvais que lui prête un Bernard-Henri Lévy. Même s’il reconnaît volontiers à Vladimir Poutine ses traits d’autorité, Dominique Fernandez ne lui en tient pas rancune : Poutine n’incarne-t-il pas une autre face de l’âme russe à travers la recherche de la puissance et l’aspiration à l’énergie, que l’on trouve depuis longtemps chez les héros et les artistes ?

Le livre de Dominique Fernandez est magnifiquement écrit. On ne le referme pas sans le désir d’en savoir plus, de chercher, à notre tour, ce qu’a de merveilleux et de tragique cette âme russe, une âme faite de fatalisme, espérant sans cesse en des lendemains meilleurs. « Ce n’est pas la misère qui caractérise la Russie ou qui l’a jamais caractérisée. C’est le sentiment tragique de la vie. La tragédie peut provenir de la misère. Mais la misère n’a été qu’une composante parmi d’autres plus graves, plus constantes : la violence historique, la violence climatique. » (p. 186).

Elles sont belles les Russies de Dominique Fernandez, avec ses paysages monotones, ses villages perdus aux maisons déglinguées et aux jardinets minables, ces ciels plombés. Un très beau livre d’amour !

 

Dominique Fernandez, Russies, Philippe Rey, 2014, 204 pages, 18 €

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Napoléon et la campagne de France – 1814

Broché: 368 pages
Editeur : Armand Colin (22 janvier 2014)
Collection : Hors collection
Langue : Français
ISBN-10: 2200287402
ISBN-13: 978-2200287405
Dimensions : 23,2 x 15,2 x 2 cm

 Napoléon et la campagne de France – 1814

Le centenaire de la Grande Guerre a malheureusement tendance à occulter un événement important de l’histoire de France : la campagne de France de 1814, prélude à la première abdication de l’Empereur Napoléon.

Successeur de Jean Tulard à la tête de l’Institut Napoléon, déjà auteur d’une trentaine d’ouvrages, Jacques-Olivier Boudon était bien placé pour donner, en un petit livre, une bonne synthèse de cette campagne. Il faut convenir que l’auteur réussit son pari avec maestria : style limpide, maîtrise de l’information, visée pédagogique… Bien sûr, on pourrait faire la fine bouche en se demandant ce que cet ouvrage apporte de neuf à une histoire bien connue et maintes fois racontée. Mais face à l’hémiplégie mémorielle contemporaine, l’argument est de peu de poids : il est bon de chanter, à temps et à contretemps, les belles pages de l’histoire de France. Et, quoique essentiellement militaire, celles écrites par Napoléon et sa petite armée font partie de ces dernières. Assailli par des forces infiniment supérieures, Napoléon multiplie les victoires (Vauchamps, Montereau, Montmirail…) grâce au mot d’ordre qu’on lui connaît depuis ses plus jeunes années : « Vitesse et activité », tactique qui lui permet de tenir tête à une coalition dont les armées réunies sont plusieurs fois supérieures au total des hommes qu’il a pu réunir et équiper. Le brio avec lequel Napoléon retarde l’échéance n’a qu’un temps, la disproportion des forces étant trop importante. Faisant fi de l’attitude de Napoléon et de son armée, les souverains coalisés mettent un terme à la guerre en prenant Paris. La France étant un pays extrêmement centralisé, la perte de la capitale signifie la fin de l’Empire. On sait la suite : l’abdication de Fontainebleau, le départ pour l’Ile d’Elbe, puis les Cent-Jours et enfin Waterloo.

Jacques-Olivier Boudon livre une synthèse accomplie de cet hiver 1814, n’oubliant pas les fronts périphériques comme l’Italie ou la difficulté de mobiliser un peuple en guerre constante depuis plus de vingt ans. Bref, un beau livre pour une belle page d’histoire.

 

Jacques-Olivier Boudon, Napoléon et la campagne de France – 1814, Armand Colin, 2014, 365 pages, 20 €

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Réenchanter la science

Broché: 450 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (28 août 2013)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226245456
ISBN-13: 978-2226245458
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,4 cm

 Réenchanter la science

En conclusion de son livre Notre existence a-t-elle un sens ?, l’historien des sciences Jean Staune écrivait que désormais les matérialistes avaient du souci à se faire. En effet, beaucoup de leurs positions, à force d’être rabotées depuis quelques décennies, deviennent intenables. En dix chapitres fort lisibles par les néophytes, Rupert Sheldrake démonte la majorité des éléments sur lesquels s’établit la science mécaniste. L’établissement de celle-ci, au XIX° siècle, n’est plus qu’un lointain souvenir. L’avènement de la physique quantique et l’idée qu’il existe un autre niveau de réalité, non perceptible à nos sens, fait de plus en plus de chemin, au grand dam des matérialistes qui, pour s’y opposer, n’ont d’autre choix que la dénégation. Entre ces deux conceptions de la science, le débat est devenu difficile tant les tenants du matérialisme sont dogmatiques. Si vous leur dites : « prodige », « inexpliqué » ou « télépathie », ils répondent aussi sec : « charlatanisme », « illusion » et « tromperie ». Pour R. Sheldrake, un tel comportement, fermé à tout ce qui n’est pas rationnellement expliqué ressort du dogmatisme le plus obtus.

En dix points, l’auteur, scientifique de son état, met à mal les croyances les plus fermes des matérialistes. Il tente de prendre ces derniers au mot en leur mettant les yeux devant dix défis. S’ils le peuvent, qu’ils démontrent par exemple l’immuabilité des lois de la nature ! Qu’ils donnent la preuve que la mémoire est stockée dans une partie précise du cerveau ou que la médecine mécanique contemporaine est la seule efficace ! Il faut lire Sheldrake pour se rendre compte à quel point de tels arguments ont du poids. Ses demandes insistantes pour l’émergence d’un débat fécond entre scientifiques sont plus que jamais à prendre en considération. Cette discussion doit être ouverte aux familles philosophiques et religieuses.

Alors que les découvertes scientifiques connaissent une stagnation, l’auteur s’interroge. Pour lui, pas de doute, il faut s’aventurer « hors des sentiers battus de la recherche conventionnelle », se poser enfin les questions interdites depuis trop longtemps. Passionnant de bout en bout, Réenchanter la science y incite fortement.

 

Rupert Sheldrake, Réenchanter la science, Albin Michel, 2013, 424 pages, 24 €

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Remonter la Marne

Broché: 264 pages
Editeur : Fayard (13 février 2013)
Collection : Littérature Française
Langue : Français
ISBN-10: 2213654719
ISBN-13: 978-2213654713
Dimensions : 21,2 x 13,4 x 2,8 cm

 Remonter la Marne

Jean-Paul Kauffmann, ancien otage au Liban, écrivain, rédacteur en chef de L’amateur de cigares, est un formidable conteur. Dans L’Arche des Kerguelen ou La chambre noire de Longwood, il avait déjà montré sa capacité à faire revivre le passé, à l’interroger tout en soumettant à la question les modes et travers de l’époque contemporaine. L’année dernière, durant sept semaines, il a remonté à pied le cours de la Marne, de Paris jusqu’à sa source, en Haute-Marne. Ici, pas d’exploit physique ; il s’agissait pour l’auteur de baguenauder le long du cours d’eau, de prendre le temps de bavarder avec des indigènes, de s’arrêter dans telle petite ville pour visiter un musée fameux, d’honorer des personnages célèbres originaires des régions traversées (dom Pérignon, Alfred Loisy…) et, plus généralement, de se faire une idée de la France profonde dans ces départements qui, chaque année, perdent une part de leur population et de leur industrie. Au-delà des aspects pratiques inhérents à la marche en solitaire (ne pas s’égarer, trouver un hôtel chaque soir…), il reste le tableau de la France rurale que dresse l’auteur, tableau que la marche, avec la lenteur qu’elle suppose, restitue le moins inadéquatement. Dans ces petites villes endormies, ces villages presque vides, l’auteur a vu une France mal arrimée au progrès à tout crin, une France se défiant d’une mondialisation à pas redoublés. Cette France des bords de la Marne, c’est la France des petits blancs, population simple et besogneuse, ignorée des politiques : politique de la ville, politique du logement, politique de tout ce qu’on veut… Mais une France rétive à l’air du temps, résistant du mieux qu’elle peut aux assauts d’un progrès devant lequel tout doit plier. Le promeneur s’inquiète pour les hommes et pour les paysages, souvent saccagés dès lors, par exemple, que l’on gagne l’entrée d’une ville. Cette « France des doublettes » semble plus ou moins à l’abandon, mais ne s’en plaint pas forcément car il y a des abandons plus faciles à supporter que certaines prises en main. J.-P. Kauffmann dépeint un pays amère et désenchanté. Quant à l’âme de la France, l’auteur la trouve en peine. « Parmi ces hommes et ces femmes entrevus, écrit-il, beaucoup ont tourné le dos au monde qui leur était assigné » (p. 186)

Dans ce livre initiatique à la rencontre de la France des campagnes, Jean-Paul Kauffmann y ajoute son goût pour les rencontres et la capacité de voir et de comprendre que lui donne sa vaste culture. Un beau livre, nostalgique et intelligent.

 

Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne, Fayard, 2013, 262 pages, 18.50 €

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François Mauriac : Biographie intime (1885-1940)

Broché: 676 pages
Editeur : Fayard (4 mars 2009)
Collection : Documents
Langue : Français
ISBN-10: 2213626367
ISBN-13: 978-2213626369
Dimensions : 23,4 x 14,8 x 5,4 cm

 François Mauriac – Biographie intime (1885-1940)

Après la superbe biographie de l’écrivain bordelais par Jean Lacouture, on pensait qu’il était impossible d’aller plus loin. Tout semblait avoir été dit de l’auteur du Nœud de vipères. Le livre de Jean-Luc Barré prouve que l’appréciation était pour le moins aventureuse. Jean-Luc Barré réussit en effet à relever un défi qui était loin d’être une gageure : donner une biographie de François Mauriac prenant appui sur la vie intime de l’auteur, avec ce qu’elle recèle de non-dits et de complexité. Toujours précis, jamais vulgaire, Jean-Luc Barré réussit le tour de force de montrer les multiples facettes d’un homme, catholique de surcroît, porteur d’un lourd secret. Celui qui, dans ses romans, s’était tant intéressé aux relations familiales compliquées de la bourgeoisie, était-il l’homosexuel refoulé décrit par J.-L. Barré ? Au vu des « amitiés particulières » nouées par l’auteur du Mystère Frontenac, l’analyse ne laisse guère de place au doute. Mais là n’est pas la question, insiste l’auteur de la biographie. Il s’agit pour lui de montrer la façon dont l’homosexualité inaccomplie de Mauriac influença son travail de romancier. L’ambition de cette biographie est donc d’ordre purement littéraire ; elle vise à montrer comment le disséqueur des âmes qu’était Mauriac était lui-même une âme tourmentée, ceci expliquant certainement cela. Pudique et mystérieux, François Mauriac a enveloppé de mystère son être profond. Contrairement à Gide par exemple, l’envie de se mettre à nu ne lui est jamais venue. Comme l’écrit Jean-Luc Barré en préface, « mémoires et journaux intimes ne sont jamais pour Mauriac que leurre et mise en scène permettant à l’auteur de préserver ses masques. » (p. 12)

Reste la question religieuse, donnée essentielle de l’œuvre mauriacienne. Mauriac lutta une bonne partie de sa vie à mettre en adéquation ses penchants secrets et son orthodoxie catholique. En a-t-il souffert ? Pour Jean-Luc Barré, incontestablement. Face à cette souffrance, Mauriac supplie le ciel de lui accorder la grâce de la conversion. Ce n’est pas un hasard si le présent livre se clôt sur l’année 1940. A cette date, Mauriac avait déjà la ferme volonté de devenir un écrivain engagé. La guerre accéléra sa prise de conscience.

Ce Mauriac est une référence en matière de biographie.

Jean-Luc Barré, François Mauriac – Biographie intime (1885-1940), Fayard, 2009, 642 pages, 28 €

 

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François Mauriac – Correspondance intime 1898 – juillet 1970

Broché: 739 pages
Editeur : Robert Laffont (6 septembre 2012)
Collection : Bouquins
Langue : Français
ISBN-10: 2221116607
ISBN-13: 978-2221116609
Dimensions : 19,8 x 13,4 x 2,6 cm

 François Mauriac – Correspondance intime

Grâces soient rendues aux Editions Robert Laffont qui viennent d’éditer, dans la fameuse collection « Bouquins », la correspondance privée de François Mauriac. S’il fallait faire court, tournons-nous vers Jean-Luc Barré, le meilleure exégète de l’œuvre de Mauriac : « Indispensable complément du Bloc-notes et des Nouveaux mémoires intérieurs, cette correspondance reflète soixante années d’histoire, littéraire, politique, intellectuelle ».

En plus de ses romans, essais et articles divers, le Prix Nobel de littérature 1952 était un fameux épistolier. Commencées vers sa 20ème année, les lettres recensées dans ce volume couvrent toute la vie de l’auteur. Elles s’adressent aux correspondants les plus divers : familiers, écrivains comme Paul Claudel et Georges Duhamel, politiques comme le général De Gaulle et Pierre Mendes France. L’intérêt des lettres est bien sûr variable mais, au final, ce n’est pas cela qui compte. Cette Correspondance intime nous renvoie à une époque où écrire était un art. Loin de l’éphémère engendré par les mails, les tweets et le fourbi contemporain, écrire une lettre signifiait que l’on confiait à autrui ce qu’il y avait de plus cher et de plus secret dans sa vie. Une telle correspondance s’apparente au style du journal. La révélation d’une personnalité s’accompagne de considérations personnelles sur la politique, la religion, l’art, la littérature. L’amplitude des sujets évoqués rend le genre passionnant et contribue à l’inscrire dans la durée ; tout le contraire de la communication d’aujourd’hui qui, elle, se caractérise par son extrême fugacité. Aujourd’hui, l’outil est devenu une fin en soi, il a tendance à primer sur la teneur du message. Enfin, les lettres de Mauriac nous touchent parce que, précisément, elles s’inscrivent dans leur temps et, des décennies après, nous disent beaucoup, non seulement d’un homme, mais d’une époque. Si cette correspondance a autant d’épaisseur, cela est dû à deux raisons. La première, évidemment, tient au style de l’auteur du Nœud de vipère, un des plus grands littérateurs français du siècle dernier. La seconde découle d’une culture littéraire, politique et religieuse aussi vaste que l’était la curiosité de l’auteur. Pour qui aime l’œuvre de Mauriac, un livre nécessaire.

François Mauriac, Correspondance intime, Robert Laffont, 2012, 768 pages, 30 €