Grandeur et misère de l’Armée rouge
La Seconde Guerre mondiale n’a pas fini de livrer des informations. Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri ont interviewé douze vétérans de l’Armée rouge, douze anonymes qui avaient combattu entre 1941 et 1945 dans les rangs de l’instrument de combat qui avait définitivement rogné les ailes de la Wehrmacht. Car, quoiqu’on en dise, la guerre s’est bien moins gagnée sur le Front Ouest, avec le Débarquement du 6 juin 1944 que sur le terrible Front de l’Est, là où les Allemands avaient positionné l’essentiel et le meilleur de leurs forces. Mais, face à une Armée rouge aussi puissante que nombreuse, véritable hydre des temps modernes, la puissante machine de guerre nazie n’a pu vaincre. A la longue, les distances, les conditions climatiques, les erreurs stratégiques ont fini par user une armée d’invasion qui, en juin 1941, était entrée en territoire soviétique comme dans du beurre. Les témoignages livrés aux auteurs révèlent un fait observé depuis bien longtemps. Comme nous venons de le dire, ce sont des éléments précis et objectifs (l’immensité du pays, les rigueurs de l’hiver, le nombre des armes produites…) qui ont vaincu. Mais ces éléments auraient-ils suffi sans le concours de l’héroïsme du peuple soviétique ? En ce sens, la victoire finale de l’Armée rouge tient presque du miracle. Après la terrible répression que connaît l’Union Soviétique dans les années 1930, il n’était pas évident que les Soviétiques se lèvent en masse pour sauver un régime que beaucoup abhorraient. Mais voilà, l’appel au patriotisme a joué à plein. Le combat idéologique a vite cédé la place à la défense de la Rodina, la mère-patrie. Les anciens soldats qui donnent leur témoignage insistent : ils montaient au combat pour la défense de leur terre, pas pour sauver un régime honni. La guerre menée par les Soviétiques ne le fut pas à l’économie ; elle l’a été par le sang et la fureur d’un peuple qui avait le martyre dans les tripes. Comme le dit un des témoins interrogés : « Nous avons gagné cette guerre grâce à la brutalité que nous avons exercée contre notre propre nation. » La vie, en cette époque barbare, ne valait décidément pas chère.
Jean Lopez & Lasha Otkhmezuri, Grandeur et misère de l’Armée rouge, Tempus, 2014, 391 pages, 10 €