Immortelle randonnée
Revenu de son expérience politique – il a été ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010 -, Jean-Christophe Rufin a donné de son périple sur les pas de saint Jacques un récit passionnant et tout en délicatesse. Le sous-titre – Compostelle malgré moi – peut surprendre, il est là juste par souci d’honnêteté. En effet, la perspective croyante ne fait pas partie du bagage spirituel que porte J-C. Rufin. Le périple à Compostelle comportera certes des instants de spiritualité qui, parfois, iront jusqu’à émouvoir l’écrivain, comme ces eucharisties célébrées devant un petit nombre de pèlerins dans telle église ou telle chapelle qui lui rappelleront la religion de son enfance, mais là n’est pas l’essentiel. Immortelle randonnée se veut le récit au quotidien d’un parcours de plus de huit cents kilomètres jalonnés de lieux de mémoire, de petits hôtels proprets, d’auberges plus ou moins bien tenues. C’est évidemment l’opportunité de multiples rencontres fortuites durant lesquelles l’occasion est donnée de constater les diverses façons qu’il y a à entreprendre ce pèlerinage. La palette est large entre celui qui scrupuleusement se met dans la peau d’un pèlerin du Moyen Age au jeune cadre espagnol qui assure juste les deux cents derniers kilomètres, histoire d’alimenter son cv. Mais, pour les stressés que nous sommes, Compostelle est l’occasion d’un dépouillement rédempteur. C’est même, selon l’expression de l’auteur, une sorte de pèlerinage bouddhiste ; « Il délivre des tourmentes de la pensée et du désir, il ôte toute vanité de l’esprit et toute souffrance du corps […] ; il met le moi en résonance avec la nature. » (p. 181) Le récit a tôt fait de débarrasser le lecteur de la gangue d’illusions qui pouvait éventuellement nourrir son optimisme spirituel. Hélas, il faut le dire, « le Chemin est seulement un des produits offerts à la consommation dans le grand bazar postmoderne. » (p. 77)
Bien des récits ont été écrits sur le pèlerinage à Compostelle, mais peu possèdent un intérêt comparable à celui de Jean-Christophe Rufin. Evidemment, la qualité de l’observation ainsi que la beauté du style ne sont pas pour rien dans la qualité de ce « Compostelle malgré moi ». On n’est pas académicien français par hasard.
Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée, Folio, 278 pages, 7€