Jean Lartéguy – Le dernier centurion
Rien ne prédisposait Lucien Osty à devenir le grand écrivain français des guerres coloniales du milieu du XX° siècle. La proximité de son oncle chanoine, le fameux exégète Emile Osty, a-t-elle contribué à fixer chez Lucien un amour naissant pour la chose écrite ? Quoiqu’il en soit, arrivé à l’âge de 20 ans, sans qu’il entreprenne pour cela d’études littéraires, il est pris dans les rets jetés par le démon de l’écriture. Après quelques mois passés dans l’Armée durant la Guerre de Corée (il fait partie du millier d’hommes qui composent le bataillon français des forces des Nations-Unies), il s’oriente vers l’écriture. C’est journaliste qu’il sera ; un reporter façon Tintin pas un de ces ronds-de-cuir qui, à cent kilomètres de Paris, s’imagine déjà connaître l’aventure. Grand voyageur devant l’Eternel, Lucien Osty – qui a choisi d’écrire sous le pseudonyme de Jean Lartéguy, clin d’oeil à Raspéguy, héros des Centurions -, n’a que le choix du lieu. En ces temps où, en Amérique latine, en Asie et en Afrique, la planète connaît maintes convulsions consécutives à des décolonisations arrachées dans la douleur et le sang, c’est aux premières loges qu’il doit être. Ce baroudeur glanera sur le terrain, au milieu de l’action, ce qui fera le sel et la texture de ses grands romans qui ont pour toile de fond les guerres coloniales. Il vit heure par heure la chute de Dien Bien Phu, couvre pour Paris Match la Guerre du Vietnam. Il s’intéresse aussi aux mouvements de libération d’Amérique latine et ne dédaigne pas de se rendre en Israël au plus fort des Guerres des Six Jours et du Kippour. Proche des chefs et partageant la condition du soldat, Lartéguy « semble s’être maintenant fixé une mission à laquelle il va pleinement se consacrer : celle de chasseur de guerre » (p. 144) De sa proximité avec les soldats naîtra de grandes amitiés, dont celle du Général Bigeard.
On a volontiers fait de Jean Lartéguy une sorte de romantique, un nostalgique de l’Empire colonial. Au vrai, comme le souligne l’auteur, « Lartéguy ne pourfend pas la décolonisation, il ne la juge pas. Toutefois, les guerres d’indépendance constituent à ses yeux un véritable choc identitaire et culturel, un séisme. » La guerre ne constitue que le cadre de ses livres. Ce qui passionne Lartéguy, ce sont les hommes. Aussi bien le soldat européen, rêveur casqué, dernier paladin d’un monde qui s’écroule, que le paysan vietnamien ou algérien, heurté dans son mode de vie, sa culture et ses traditions ancestrales. Finalement, Lartéguy était avant tout un humaniste.
Hubert Le Roux, Jean Lartéguy, le dernier centurion, Tallandier, 2013, 347 pages, 23.50 e