Le vertige divin
Qui se souvient encore de la saga de ceux qu’on appelle les stylites ? Dans la Syrie et la Palestine, des IV° au XI° siècle de notre ère, des moines décident de tout plaquer pour aller habiter au sommet d’une colonne. Non, vous ne rêvez pas, la chronique l’assure : des chercheurs de Dieu, voulant vivre jusqu’au bout dans l’ascèse, fuirent le monde pour se réfugier en haut d’une colonne surmontée d’une plate-forme d’environ un à deux mètres carrés. Ces hérauts de la mortification, dont Philippe Henne donne une image très réaliste, vont pousser toujours plus loin le désir de fuite du monde et de macération. La plupart de ces moines, à commencer par le plus connu d’entre eux, Siméon le Stylite, ont connu la vie cénobitique, en communauté. Poussant toujours plus loin l’exigence ascétique, voulant se rapprocher de Dieu, ils en arrivent à trouver la vie monastique trop accommodante avec l’esprit du siècle, d’où la nécessité de rechercher des formes extrêmes. Après la courte vogue des moines stationnaires vient le courant, lancé par Siméon, des moines stylites. Connus pour leur sainteté, les stylites poussent l’exigence à se faire construire une colonne qui sera leur demeure définitive. Là, personne ne viendra perturber leur soif de prière et leur exigence d’ascèse. Du haut de leur « perchoir », soumis aux intempéries, pouvant à peine s’étendre, se nourrissant de presque rien, les stylites vont écrire la page la plus impressionnante de la mystique chrétienne. Du haut de leur colonne, ces champions de la foi recherchent plusieurs buts : échapper à l’engouement du peuple chrétien à leur endroit afin de ne pas se laisser distraire, se consacrer corps et âme à la prière et à la méditation, nouer une relation verticale avec le divin, espérer gagner le salut au moyen de mortifications inouïes dont nous sommes bien incapables de comprendre le sens. Les stylites n’étaient pas fous. Ces athlètes de Dieu cherchaient avant tout à se rapprocher du Ciel, peu importe la dureté des conditions pratiques qu’ils devaient affronter. Si le pari de l’auteur était de décrire comment ces mystiques ont réussi à « manifester le triomphe de l’esprit sur le corps » (p. 95), eh bien il y a pleinement réussi.
Philippe Henne, Le vertige divin, Cerf, 2014, 309 pages, 22 €