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Un an dans la vie d’une forêt

Poche : 366 pages
Editeur : Flammarion (9 mars 2016)
Collection : Libres champs
Langue : Français
ISBN-10 : 2081375656
ISBN-13 : 978-2081375659
Dimensions : 17,8 x 1,5 x 10,9 cm

 Un an dans la vie d’une forêt

A l’instar des moines bouddhistes qui cherchent à contempler l’univers à partir d’un cercle de terre ou de sable appelé mandala, le biologiste américain David Haskell a voulu observer, au cœur de la forêt des Appalaches, à l’est des Etats-Unis, un mètre carré de verdure. Il a été poussé à faire cette expérience parce qu’il était convaincu « que l’écosystème forestier tout entier est visible sur une parcelle de la taille d’un mandala » (p. 8). Oui, il est possible, quand on est biologiste de chercher à comprendre une forêt par la contemplation d’un arbre ou d’un caillou, le vol d’un rapace, le ballet d’un écureuil. Tout devient objet d’examen, d’observation… et d’étonnement : la danse amoureuse des escargots, hermaphrodites comme chacun sait, le travail des fourmis, la gourmandise de ces milliards de minuscules insectes qui dévorent les feuilles tombées des arbres en automne, la façon dont les plantes se protègent d’un froid trop intense ou d’une brusque sécheresse… L’observation est ici d’une finesse et d’une méticulosité incroyables. Alors que le commun ne voit dans une salamandre qu’un animal, certes utile mais peu ragoutant, le biologiste s’extasie sur son système respiratoire, lequel permet à la salamandre (qui respire par la peau) « de se colleter avec ses proies sans devoir s’arrêter pour respirer. » (p. 68) L’architecture d’un arbre donne l’idée à l’auteur de voir quelles sont les ramilles qui, dans la courses qu’elles se livrent pour gagner de la lumière, échapperont à la mort. Mêmes les herbes les plus menues et les mousses les plus insignifiantes deviennent un objet d’étude. Dans le vaste théâtre de la nature, rien n’est là par hasard. Tout, y compris ce qui semble négligeable et infime, a son importance.

Hymne à la nature empli de poésie, remarquablement écrit et traduit, Un an dans la vie d’une forêt fait toucher du doigt la prodigieuse richesse et inventivité de la Création. Ce livre devrait être sur la table de chevet de tous ceux qui voient dans le progrès à tout crin la destinée ultime de l’espèce humaine. Notre avenir, dit D. Haskell, réside dans une communion étroite de l’homme avec la nature. Sachons la protéger ; il n’existe pas de terre de rechange.

 

David G. Haskell, Un an dans la vie d’une forêt, Champs Flammarion, 2016, 367 pages, 9€

 

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Actualités Recensions

Comprendre le malheur français

Broché : 378 pages
Editeur : Stock (9 mars 2016)
Collection : Essais – Documents
Langue : Français
ISBN-10 : 2234075416
ISBN-13 : 978-2234075412
Dimensions : 13,6 x 2,5 x 21,5 cm

 Comprendre le malheur français

Comprendre le malheur français fait partie de ces réflexions qui ont le mérite de mettre au centre la France, son présent et son avenir. Contrairement au pays officiel qui demeure dans la dénégation, Marcel Gauchet prend très au sérieux ce malheur français. L’introduction met d’emblée le lecteur dans l’ambiance. Pourquoi le Français, s’il se dit individuellement satisfait de son sort, ne parvient-il pas à considérer la situation avec la satisfaction qu’en attendent les élites ?  Si les Français continuent de broyer du noir, c’est en grande partie parce qu’ils ont un rapport particulier à la mondialisation. L’hypothèse principale du sociologue est que « la France a négocié dans de très mauvaises conditions le tournant de la mondialisation » (p. 9) Alors que les élites économiques et médiatiques ne voient aucun inconvénient à cette course à la marchandisation générale et à l’américanisation, le peuple considère avec inquiétude le déclassement qui touche le pays. Autrefois grande puissance, un temps épargné par le déclin grâce à la vision gaullienne de la souveraineté, le pays s’enfonce depuis une trentaine d’années dans la médiocrité et la consommation. Ce n’est pas seulement l’immigration de masse qui angoisse les Français, affolés à l’idée de voir le pays, ses mœurs, ses us et coutumes se perdre dans la globalisation. M. Gauchet insiste d’abord sur la notion de grandeur perdue, sur l’aveuglement de la classe politique et la déception due à l’échec de l’Europe. Le modèle français, essentiellement due à la puissance de la notion d’Etat-nation, est en train de s’effondrer, peu à peu remplacé par le nivellement et le relativisme dont les puissants font leur miel. Dans la leçon de réalisme qu’assène l’auteur, parmi les mensonges et supercheries qu’il met à jour, retenons ce qui, d’après lui, constitue le malentendu politique français. Celui-ci a une source principale : « Les élites françaises ne connaissent plus l’histoire de leur pays et ne s’en sentent plus solidaires. » (p. 24)

La démonstration assénée par Marcel Gauchet est rude, mais nécessaire à entendre. Il nous fait mesurer l’ampleur du décalage qui existe entre le peuple français et ceux qui, selon lui, l’ont mené à l’impasse. Pour beaucoup, le bonheur ne passe pas par le stade de l’homme nomade, citoyen du monde, formaté par la novlangue contemporaine.

 

Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, 2016, 371 pages, 20 €

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Histoire Recensions

Une histoire de la marche

Broché : 370 pages
Editeur : Perrin (3 mars 2016)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262032521
ISBN-13 : 978-2262032524
Dimensions : 14 x 3,2 x 21,1 cm

 Une histoire de la marche

Le titre du livre d’Antoine de Baecque a toute son importance : il s’agit bien d’une histoire de la marche et non de l’histoire de la marche. Ce choix explique les nombreux blancs, ce que l’historien, pour des raisons qui lui appartiennent, ne dit pas. Rien, par exemple, sur les fabuleuses conquêtes d’Alexandre le Grand qui a fait parcourir à ses troupes – aller et retour – la distance qui part de la Grèce propre pour s’achever en Inde. S’il s’arrête un peu sur les itinéraires parcourus par le peuple hébreu ou les nomades du Grand Nord, ce qu’il y a d’historique dans cette histoire concerne essentiellement la conquête des Alpes par les marcheurs (ah ! le beau GR 5 qui va de Nice à Chamonix) et alpinistes. C’est au XIX° siècle que la marche devient un agrément physique, voire un sport. Jusques là, les grands marcheurs l’étaient par obligation, pour fuir un danger, par nécessité professionnelle et ainsi de suite. Dans la première moitié du XX° siècle, l’émergence du temps libre et des loisirs, le scoutisme ou le besoin d’aventure vont mettre tout un peuple de marcheurs sur des chemins dont des pionniers tracent les itinéraires (les chemins de Grande Randonnée voient leur tracé balisé au tout début des années 1950). En fin d’ouvrage, Antoine de Baecque rappelle que marcher signifie aussi s’engager et manifester. On ne compte plus, de Gandhi à Martin Luther King, les manifestations prenant la marche comme forme. La marche est aussi volonté de résister ou d’échapper à la destruction (Mao et la Grande Marche).

La marche ne se réduit pas à un exercice physique, elle va bien au-delà. L’auteur rapporte les propos de Pascal Picq, auteur de La marche. Sauver le nomade qui est en nous : « L’être humain est un bipède, un animal qui marche. Et c’est avec la marche que la pensée prend forme. » Ce point de vue original est souligné à satiété par Antoine de Baecque. Marcher fait partie d’un art de vivre, marcher aide à penser, à voir le monde différemment, découvrir des espaces inconnus, se construire une vie intérieure. L’effort des civilisations a été de sédentariser l’homme ; n’était-ce pas trop demander à celui qui marche debout ?

 

Antoine de Baecque, Une histoire de la marche, Perrin, 2016, 373 pages, 22 €

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Recensions Religion

L’avenir de Dieu

Broché : 286 pages
Editeur : CNRS (1 octobre 2015)
Collection : HISTOIRE
Langue : Français
ISBN-10 : 2271086671
ISBN-13 : 978-2271086679
Dimensions : 22 x 2,3 x 14 cm

 L’avenir de Dieu

Un livre signé Jean Delumeau suscite toujours l’intérêt. Sans déroger à cette règle, L’avenir de Dieu se signale par un autre caractéristique. Aujourd’hui âgé de 93 ans, Jean Delumeau évoque la possibilité que cet ouvrage soit son dernier. C’est la raison pour laquelle il s’attache ici à revenir sur les aspects principaux de son œuvre, les domaines dans lesquels il a poussé le plus loin sa recherche. Jeune historien, Jean Delumeau s’est intéressé au départ à l’alun de Rome, cette matière naturelle permettant aux teinturiers du Moyen Age finissant et de la Renaissance de fixer les couleurs. Puis, de fil en aiguille, un peu par hasard, il va s’intéresser à ce qui va constituer son grand œuvre, l’histoire des mentalités religieuses dans l’Occident médiéval dont il occupera la chaire au Collège de France. Si le champ d’exploration de l’auteur concerne les siècles passés, il n’en reste pas moins que l’emprunte de l’évolution des mentalités religieuses connaîtra une influence qui résonnera durant les siècles postérieurs. Certaines explications données par J. Delumeau demeurent encore d’actualité, par exemple pour expliquer la déchristianisation. L’image d’un Dieu punisseur et vengeur, dont on trouve encore des traces au début du XX° siècle, explique-t-elle en partie la rapidité de la déprise du christianisme dans nos sociétés ? Si on suit l’historien, c’est très possible. De même l’iconographie de la Vierge au grand manteau constitue-t-elle l’élément le plus visible du système d’assurance que s’était donné un peuple chrétien angoissé par son salut. L’avenir de Dieu est aussi l’occasion de revenir sur un de ses ouvrages phares, La peur en Occident, afin d’en distinguer initiateurs et destinataires. La diffusion de la peur fut davantage perçue dans les classes privilégiées et les prédicateurs lui attribuèrent une importance excessive. On sait que la peur ne suffit pas, loin de là, à faire des croyants conséquents. Autres chapitres passionnants, ceux concernant la localisation du paradis, paradis que les aventuriers, à commencer par Christophe Colomb, se faisaient fort de dénicher.

Pour modeste qu’il soit dans sa pagination par rapport à des livres comme Le péché et la peur, L’avenir de Dieu possède la pertinence des meilleures synthèses : raconter l’essentiel de façon simple et en peu de pages. Pari tenté et pari réussi !

 

Jean Delumeau, L’avenir de Dieu, CNRS Editions, 2015, 286 pages, 24€

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Histoire Recensions

Histoire du monde – Les âges anciens : Tome 1

Broché : 450 pages
Editeur : Perrin (14 janvier 2016)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262047162
ISBN-13 : 978-2262047160
Dimensions : 16,8 x 3,8 x 24,1 cm

 Histoire du monde – Les âges anciens

Bien des historiens ont essayé, avec des fortunes diverses, de raconter l’histoire du monde de la façon la plus limpide et la plus synthétique possibles. En trois volumes d’environ 500 pages, John Roberts et Odd Westad ont réalisé un fabuleux travail, une synthèse aboutie consistant non pas à « écrire en continu l’histoire de tous les principaux pays », mais de chercher les lignes de faîte de l’histoire mondiale ainsi que les événements ayant durablement influencé l’espèce humaine. « J’ai cherché, disait John Roberts, à mettre l’accent sur ce qui semblait important, plutôt que ce sur quoi nous étions les mieux informés. » (p. 15)  Les deux premiers chapitres, le premier intitulé « Les fondations » et le second « Au seuil de la civilisation », récapitulent la méthode adoptée par les auteurs. Il ne s’agit pas d’empiler des dates, des événements et des lieux, mais d’observer la façon dont, lentement, les sociétés humaines vont se mettre en place, pierre après pierre. Tout cela pour arriver à des conclusions mûrement réfléchies, soigneusement pesées ; ainsi à la page 39 : « Quelque hcose qui ressemble à une véritable société se met à prendre obscurément forme à l’occasion de ces entreprises collectives compliquées que sont les expéditions de chasse. » Les deux historiens cherchent, soupèsent, observent, vérifient la lente émergence des sociétés humaines depuis les temps les plus reculés. L’émergence des civilisations est analysée avec une incomparable minutie, la naissance de l’agriculture puis, plus tard, de l’écriture, en sont les marqueurs les plus significatifs. Le projecteur est ensuite braqué sur la Mésopotamie, berceau des civilisations. Plus tard viendront l’Egypte ancienne, Babylone, la singulière odyssée du peuple hébreu, l’aventure grecque, le monde romain… sans oublier l’Inde et la Chine, des mondes ayant leurs caractères propres. L’émergence de plusieurs foyers de civilisations a tendance à donner raison à l’abbé Breuil, le préhistorien français, lequel avait coutume de dire que l’humanité n’avait probablement pas qu’un seul berceau.

Ce livre, fruit d’intelligences remarquables, est une mine. Plutôt que de noyer le lecteur sous des monceaux d’informations, il cherche à éclairer l’histoire des hommes en ce qu’elle a d’essentiel. Dans cette synthèse magistrale, tout paraît important. Un tel livre ne peut être lu que dans le plus grand silence, un crayon à la main. Prodigieux !

 

John Roberts & Odd Westad, Histoire du monde. Les âges anciens, Perrin, 2016, 450 pages, 22€

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Histoire Recensions

La vie quotidienne au Moyen Age

Broché : 379 pages
Editeur : Perrin (23 avril 2015)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2262041199
ISBN-13 : 978-2262041199
Dimensions : 21 x 3,3 x 14 cm

  La vie quotidienne au Moyen Age

Depuis les travaux d’une Régine Pernoud et d’un Jacques Le Goff, une certaine image du Moyen Age tend à s’estomper. A la vision sanglante et sordide qu’avait imposée un Michelet ou un dessinateur comme Gustave Doré fait aujourd’hui pièce un monde plus accord avec la réalité. Le Moyen Age, c’est l’Inquisition et les Croisades, mais c’est aussi l’amour courtois, le moulin à roue et la sauvegarde du legs antique dans les monastères. Les historiens s’attachent trop aux événements politiques, diplomatiques et culturels d’une période. Ce faisant, n’avaient-ils pas tendance à oublier ce qui fonde la société, ce qui la charpente dans ses unités les plus petites, lui permettant de faire corps ? Rien de tel que d’étudier la vie quotidienne dans ses composantes les plus diverses : comment l’homme médiéval s’habillait-il, se chauffait-il, se distrayait-il, se soignait-il, mourait-il et ainsi de suite ? En de courts chapitres, agréables et faciles à lire, Jean Verdon réussit à donner un visage aux hommes et aux femmes de ce temps, bien loin des images d’Epinal forgées par l’historiographie d’autrefois. Vu le sujet, cette Vie quotidienne apparaît très factuelle. Mais l’auteur n’a pas oublié de prendre un peu de recul. Certaines de ses observations paraissent particulièrement frappantes. J’ai noté celles-ci : que l’homme médiéval était moins sensible que nous au temps qui passe, et que « la soumission à la nature, la croyance en un au-delà ont peut-être permis à l’homme médiéval d’acquérir, malgré une existence plus courte que la nôtre, une certaine sagesse que nous ne possédons plus. » (p. 372)

Le livre foisonnant de Jean Verdon ravira le lecteur désireux de découvrir ou de redécouvrir la période. Quant au lecteur affûté, il pourra trouver à redire. En effet, tâcher d’embrasser un temps long de dix siècles en des chapitres variés et courts ne permet pas d’aller au fond des choses. Se distraire, voyager ou se nourrir, qu’on ait vécu sous Charlemagne ou Louis XI, devaient relever de pratiques différentes. Au sein de l’immense Moyen Age il en existait beaucoup de petits. Ce petit bémol ne doit toutefois pas dissimuler le bonheur de la découverte.

Jean Verdon, La vie quotidienne au Moyen Age, Perrin, 2015, 379 pages, 21€

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Actualités Recensions

Ce pays qui aime les idées

Broché : 480 pages
Editeur : FLAMMARION (26 août 2015)
Collection : Au fil de l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2081303531
ISBN-13 : 978-2081303539
Dimensions : 24,1 x 3 x 15,4 cm

 Ce pays qui aime les idées

Professeur à Oxford, francophile, Sudhir Hazareesingh continue de se passionner pour la vie littéraire et l’histoire politique de notre pays. Il est vrai que les deux ont souvent connu des relations passionnées et tumultueuses. Ce n’est pas la première fois qu’un intellectuel étranger est fasciné par l’intérêt, voire l’amour, que les Français portent pour les idées. Il n’est pas inintéressant de constater qu’il y a quelques décennies la France avait le parti communiste le plus puissant d’Europe occidentale et que, à l’opposé de l’échiquier politique, le mouvement royaliste L’Action Française berçait les illusions monarchistes de centaines de milliers de nos compatriotes. Dans l’Entre-Deux-Guerres Maurice Chevalier avait chanté la diversité des appartenances politiques des Français, suggérant ainsi que le pays n’était pas encore remis de ses dissensions : « Le colonel était d’Action Française, Le commandant était un modéré, Le capitaine était pour le diocèse, Et le lieut’nant boulottai du curé… » L’efflorescence d’idées, qu’elles soient politiques, artistiques ou littéraires, amuse l’auteur. En tout cas, elle suscite suffisamment son intention pour que ce dernier publie ce qu’il qualifie d’Histoire d’une passion française. Peuple autrefois littéraire, les Français n’ont jamais caché leur intérêt pour la bataille d’idées. L’auteur a retenu une dizaine de domaines dans lesquels s’est exercée cette passion nationale ou qui, à l’image du premier chapitre, montre ce paradoxe très français : on se flatte d’être cartésien, d’honorer Descartes, son Cogito et sa rigueur logique mais, en même temps, on s’enthousiasme pour les apôtres du structuralisme et de la déconstruction. Qu’ont de commun l’esprit de finesse et de géométrie des âges classiques avec l’embrigadement dans les ligues patriotiques des avant-guerres et l’aveuglement d’une grande part du peuple de gauche à l’endroit du Petit père des peuples ? Sudhir Hazareesingh clôt son ouvrage sur la domination d’une vision décliniste de la France donnée par Alain Finkielkraut ou Eric Zemmour, terriblement éloignée des visions futuristes des socialistes utopiques du XIX° siècle. Etrange pays que le nôtre, remarque l’auteur, hanté par le souvenir de ses luttes picrocholines et soucieux par son aspiration à l’universel. Passionnant !

 

Sudhir Hazareesingh, Ce pays qui aime les idées, Flammarion, 2015, 469 pages, 23.90€

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Actualités Recensions

Le marché n’a pas de morale

Broché : 159 pages
Editeur : Cerf (6 novembre 2015)
Collection : ACTUALITE
Langue : Français
ISBN-10 : 2204105473
ISBN-13 : 978-2204105477
Dimensions : 21 x 1,3 x 13,5 cm

 Le marché n’a pas de morale

Comment faire société lorsque le projet commun fait défaut et que le pays n’est plus qu’un ramassis de communautés juxtaposées qui s’ignorent ? Dans cet ouvrage dense et tonique, Mathieu Detchessahar dresse un tableau sans complaisance de la société française contemporaine. D’où proviennent ces délitements ? Pour l’auteur, la racine de ces fractures est à chercher du côté de ce qu’il appelle « les échecs du projet de société de marché » (p. 19) En même temps qu’elle déconstruisait l’ordre ancien, la société de marché proposait « une nouvelle idole, une ultime sacralité : l’abondance matérielle comme horizon de tous nos besoins et solution à tous nos maux. » (p. 20) Autrement dit, le tout économique a tellement désenchanté le monde qu’il nous est devenu difficile de faire société. Le problème, c’est que l’augmentation du niveau de vie ou la hausse du PIB ne font pas un projet collectif. Au contraire, ils nuisent à ce dernier en ce qu’ils provoquent le repli sur soi. Cela ne revient pas à dire que la société de marché n’a pas de morale. Au contraire, elle s’adosse aux modes et mouvements culturels véhiculés par l’ordre libertaire, c’est-à-dire des droits de l’homme non bordés, suite de revendications de type sociétal visant à satisfaire les ego. Dans cette optique, il convient de balayer tout ce qui pourrait rappeler l’ordre ancien, du socialisme utopique au catholicisme. Problème, le culte inouï porté à la tolérance et à la liberté absolue entraîne des corollaires corrosifs pour les liens sociaux : relativisme culturel, culte du moi et horizontalité marchande sont par nature incapables de porter un projet susceptible d’entraîner l’adhésion de la majorité. L’illustration de cette société flottante se traduit dans le modèle des très grandes sociétés, géants mondialisés devenus, aux dépens des Etats, « des autorités centrales de la société de marché. » (p. 52) Désormais, c’est la très grande entreprise qui dit le bien, position illusoire car son objectif premier est de remplir les poches des actionnaires.

Dans ce livre pessimiste, Mathieu Detchessahar montre avec brio que la seule logique marchande ne fonde pas un projet de société. Elle fait même tout le contraire. Pour contrer ses effets délétères, il faudrait refaire de la politique, c’est-à-dire réfléchir sur le sens de la vie, sur l’homme et ses fins. Il y a urgence !

 

Mathieu Detchessahar, Le marché n’a pas de morale, Cerf, 2015, 160 pages, 14€

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Biographies Recensions

Isaac Babel

Broché : 343 pages
Editeur : Perrin (2 septembre 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040168
ISBN-13 : 978-2262040161
Dimensions : 21,1 x 2,9 x 14,2 cm

 Isaac Babel

La littérature russe ne s’est pas éteinte avec la révolution de 1917. Gorki, Mandelstam, Pasternak et Soljenitsyne figurent au panthéon des grands écrivains russes dont les œuvres les plus fortes ont paru à l’époque de la tyrannie stalinienne ou lors de la glaciation brejnévienne. Parmi ces auteurs, Isaac Babel occupe une place singulière. Moins, au départ, pour son œuvre écrite que pour sa carrière. Ayant adopté les idées révolutionnaires en rétorsion des pogroms auxquels se livraient régulièrement les autorités tsaristes, Babel rejoint le camp de la révolution dès 1917. A l’instar de nombreux juifs, il se prend de sympathie pour une révolution qui, il l’espère, rendra la vie moins rude à ses compatriotes et à ses coreligionnaires. En 1920, il accompagne l’armée de cavalerie qui doit s’emparer de Varsovie, lors de la guerre entre la Pologne et le jeune Etat soviétique. De cette chevauchée, il en tirera une œuvre mondialement connue : L’armée de cavalerie, œuvre par la suite plus connue sous le titre de Cavalerie rouge. L’œuvre montre toute l’ambivalence qui est celle de nombreux intellectuels ayant embrassé la cause communiste : une sorte de sympathie critique, une ligne de crête sur laquelle, le régime se durcissant, il devient de plus en plus difficile de se tenir debout. Sur le plan littéraire, Cavalerie rouge dévoilait un style puissant. Sur le plan idéologique, la cause semblait plus difficile à entendre et à défendre. En effet, avec Cavalerie rouge, dit l’auteur, « Babel fait preuve d’un insolent aplomb en baptisant de la sorte une brassée de récits où le lecteur ne trouvera ni l’histoire de cette armée, ni la description de ses régiments, ni un catalogue de ses prouesses. » (p. 106) Chose étonnante, une grande partie de la vie de l’écrivain se déroula entre Moscou et Paris. Babel entretint des liens étroits avec les deux André, Gide et Malraux. Lors des Grandes Purges (1937-1938), le couperet ne tarda pas à s’abattre sur l’auteur de Cavalerie rouge. Son œuvre était jugée « d’une valeur artistique indéniable, mais sans rien de prolétarien » (p. 114). Gorki mort, il n’y avait plus personne pour défendre un romancier qui avait souvent flirté avec la liberté de pensée car, s’il épousait la plupart des convictions communistes, Babel tenait à garder son esprit critique. Cette liberté de ton ne devait pas tarder à être payée comptant : Babel fut fusillé en 1940.

 

Adrien Le Bihan, Isaac Babel, Perrin, 2015, 343 pages, 22€

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Recensions Religion

La « famille chrétienne » n’existe pas : L’Église au défi de la société réelle

Broché : 220 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (2 septembre 2015)
Collection : SPIRITUALITE
Langue : Français
ISBN-10 : 2226316361
ISBN-13 : 978-2226316363
Dimensions : 19 x 1,6 x 12,5 cm

 La « famille chrétienne » n’existe pas

Habitué aux travaux bibliques, André Paul a laissé la théologie pour s’intéresser de près au synode romain de 2014 et 2015 consacré à la famille. Le catholique qu’il est regrette que les pères synodaux n’aillent pas suffisamment loin dans leur souci de réforme, notamment en ce qui concerne l’accueil des personnes divorcées-remariées et homosexuelles. La faute, selon lui, à cette très vieille idée selon laquelle il existerait une « famille chrétienne », une famille type, idéale, réunissant en son sein idéal de vie, grâce et sainteté. Or, nous dit l’auteur, cette famille hors-sol, chimérique et fantasmée, n’existe tout simplement pas. Notant le désir du pape François et de certains évêques de dépoussiérer des pratiques ecclésiales qui font trop la part belle à une discipline qu’il juge surannée, André Paul regrette le poids que continue de faire peser sur les pratiques pastorales une morale hantée par le péché et le sexe. Après avoir dénoncé cette famille irréelle souhaitée par l’institution ecclésiale, André Paul reproche à cetet dernière d’accorder trop d’importance au sexe, pas assez à l’amour, oubliant au passage que Jésus a combattu le modèle de la famille antique dans laquelle l’épouse pouvait être répudiée au moindre saute d’humeur de son mari. Cet éloignemnet de l’Evangile, il le retrouve dans le ton de certaines déclarations officielles où l’empathie et la compréhension cèdent la place à la commisération.

A travers les paroles dures qu’il adresse à l’institution, l’auteur ne fait rien d’autre que souhaiter une approche plus sympathique de l’Eglise à l’égard de la société. L’évangélisation ne gagnera rien de condamnations et stigmatisations. Dans son essai trop court, on regrettera que l’éminent bibliste fasse fi des éléments canoniques et historiques qui ont assuré la stabilité du mariage en Occident. Les choses ne sont jamais simples. Le souci très louable de l’auteur eut été mieux servi s’il avait consenti à regarder l’œuvre de grands anciens comme Jean Gaudement et Gabriel Le Bras, deux spécialistes du mariage aujourd’hui décédés et dont les travaux mettent en lumière la complexité de l’édification du sacrement de mariage, clé de voûte de la famille durant des siècles.

 

André Paul, La « famille chrétienne » n’existe pas, Albin Michel, 2015, 208 pages, 15€