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Recensions Religion

Problèmes religieux contemporains

Broché : 280 pages
Editeur : Editions de Fallois (13 mai 2015)
Collection : FALL.LITTERAT.
Langue : Français
ISBN-10 : 2877068994
ISBN-13 : 978-2877068994
Dimensions : 15,5 x 2 x 22,5 cm

 Problèmes religieux contemporains

Alain Besançon est un historien qui prend la religion au sérieux. Il vient encore une fois d’en administrer la preuve dans son dernier ouvrage, Problèmes religieux contemporains. Les problèmes qui intéressent ici l’auteur n’ont bien souvent qu’un lointain rapport entre eux. De fait, les chapitres concernent des sujets fort différents : la définition de l’orthodoxie, l’Eglise et l’islam, l’Eglise et le communisme, la question du mariage des prêtres, etc. Alain Besançon n’entend pas donner de réponses définitives aux problèmes auxquels il réfléchit, ce n’est ni son intention ni son ambition. Fort de sa culture encyclopédique, il les scrute et les analyse avec sa loupe d’historien. Etant donné la variété des sujets traités, tout n’est pas du même intérêt. Reste qu’il faut considérer avec curiosité certains sujets dont l’actualité révèle chaque jour l’acuité comme la façon – jugée naïve et irénique par l’auteur – dont le concile Vatican II parle de l’islam. Alain Besançon se demande, d’autre part, si l’intelligence n’a pas déserté l’Eglise latine, la recherche théologique étant réduite à la portion congrue. Il traite la question du mariage des prêtres avec délicatesse, déclarant avec honnêteté qu’il a du mal à trancher la question. Mais, encore plus que certains chapitres traités avec finesse et savoir, ses Problèmes religieux contemporains contiennent des passages dont tout chrétien devrait faire son miel. Il est bon et nécessaire qu’un intellectuel catholique comme A. Besançon rappelle que « saint Augustin remarquait qu’à l’origine du christianisme il y avait eu trois miracles. Le premier est la résurrection du Christ. Le second est que les apôtres aient cru en cette résurrection. Le troisième est qu’il y ait eu des gens pour croire les apôtres. » (p. 15) Quant à la possibilité d’un dialogue de nature théologique entre le christianisme et l’islam, Alain Besançon n’y croit guère, tout simplement parce qu’il juge le contact des chrétiens avec l’islam de toxique. « Toxique, parce que l’islam ne reconnaissant pas l’autorité du document biblique, les apologètes chrétiens sont obligés de comparer la loi chrétienne et la loi coranique sur un plan intemporel et abstrait, et par conséquent d’adopter le point de vue anhistorique musulman. » (p. 35) L’acuité de l’analyste et la pertinence de l’historien qu’est A. Besançon fondent tout l’intérêt de cette lecture.

Alain Besançon, Problèmes religieux contemporains, De Fallois, 2015, 278 pages, 22€

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Recensions Témoignages

Immortelle randonnée

Poche : 288 pages
Editeur : Folio (2 octobre 2014)
Collection : Folio
Langue : Français
ISBN-10 : 2070455378
ISBN-13 : 978-2070455379
Dimensions : 11 x 2,7 x 17,7 cm

 Immortelle randonnée

Revenu de son expérience politique – il a été ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010 -, Jean-Christophe Rufin a donné de son périple sur les pas de saint Jacques un récit passionnant et tout en délicatesse. Le sous-titre – Compostelle malgré moi – peut surprendre, il est là juste par souci d’honnêteté. En effet, la perspective croyante ne fait pas partie du bagage spirituel que porte J-C. Rufin. Le périple à Compostelle comportera certes des instants de spiritualité qui, parfois, iront jusqu’à émouvoir l’écrivain, comme ces eucharisties célébrées devant un petit nombre de pèlerins dans telle église ou telle chapelle qui lui rappelleront la religion de son enfance, mais là n’est pas l’essentiel. Immortelle randonnée se veut le récit au quotidien d’un parcours de plus de huit cents kilomètres jalonnés de lieux de mémoire, de petits hôtels proprets, d’auberges plus ou moins bien tenues. C’est évidemment l’opportunité de multiples rencontres fortuites durant lesquelles l’occasion est donnée de constater les diverses façons qu’il y a à entreprendre ce pèlerinage. La palette est large entre celui qui scrupuleusement se met dans la peau d’un pèlerin du Moyen Age au jeune cadre espagnol qui assure juste les deux cents derniers kilomètres, histoire d’alimenter son cv. Mais, pour les stressés que nous sommes, Compostelle est l’occasion d’un dépouillement rédempteur. C’est même, selon l’expression de l’auteur, une sorte de pèlerinage bouddhiste ; « Il délivre des tourmentes de la pensée et du désir, il ôte toute vanité de l’esprit et toute souffrance du corps […] ; il met le moi en résonance avec la nature. » (p. 181) Le récit a tôt fait de débarrasser le lecteur de la gangue d’illusions qui pouvait éventuellement nourrir son optimisme spirituel. Hélas, il faut le dire, « le Chemin est seulement un des produits offerts à la consommation dans le grand bazar postmoderne. » (p. 77)

Bien des récits ont été écrits sur le pèlerinage à Compostelle, mais peu possèdent un intérêt comparable à celui de Jean-Christophe Rufin. Evidemment, la qualité de l’observation ainsi que la beauté du style ne sont pas pour rien dans la qualité de ce « Compostelle malgré moi ». On n’est pas académicien français par hasard.

Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée, Folio, 278 pages, 7€

 

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Actualités Recensions

Qui est Charlie ?

Broché : 252 pages
Editeur : Seuil (5 mai 2015)
Collection : H.C. ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 202127909X
ISBN-13 : 978-2021279092
Dimensions : 13,6 x 1,7 x 20,3 cm

 Qui est Charlie ?

La réaction de l’historien et sociologue Emmanuel Todd aux grandes manifestations qui ont suivi les attentats contre Charlie Hebdo a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il est vrai que, pour séduisante que paraisse sa thèse, elle est sujette à controverse. La « sociologie de la crise religieuse » (j’aurais plutôt dit « a-religieuse » en ce qu’elle concerne un pays sécularisé à l’extrême mais dont certains référents demeurent ancrés dans l’histoire religieuse) entreprise par Emmanuel Todd mérite examen. L’auteur voit dans les manifestations de masse du 11 janvier dernier, d’après lui porteuses de conformisme et d’islamophobie, la trace d’une sorte de continuité historique. S’appuyant sur des enquêtes et des cartes, E. Todd tente de démontrer que c’est la France de la périphérie, héritière de la culture catholique, portée sur les inégalités sociales et économiques, qui a apporté un soutien massif à la République. Autrement dit, la France provinciale et jadis catholique (E. Todd nomme cette permanence de « catholicisme zombie», un catholicisme dont il ne reste que quelques traces culturelles mais qui continue d’agir sur les consciences) a rejoint les bobos et une partie de la gauche socialiste pour défendre les acquis d’une République méfiante à l’égard de ses minorités sociales et religieuses. Si cette thèse paraît fortement étayée, elle offre également de sérieuses déficiences. En effet, pour séduisante qu’elle paraisse, elle est fragile par sa volonté de systématiser ce qui ne saurait l’être. A cet égard il est ennuyeux que les cartes proposées offrent, par leurs nombreuses exceptions, de solides résistances à la thèse que développe le sociologue. Le problème ne tiendrait-il pas au fait qu’E. Todd tente d’ancrer sa démonstration dans une réalité historique qui n’a plus cours ? Un tableau de la France religieuse du début du XX° siècle, par exemple, n’offre plus guère de points de comparaison avec celui d’aujourd’hui. Nous avons changé de monde et la France d’aujourd’hui n’a plus la même figure que celle d’autrefois. Tout se passe comme si l’auteur ne voulait pas prendre en compte ces changements, vertigineux à l’échelle d’une nation et des quelques décennies passées. Facile à lire, Qui est Charlie ? possède les défauts de ses qualités. Dans son désir de généraliser une théorie séduisante, E. Todd s’est laissé piégé. Vous avez beau secouer un récipient contenant de l’eau et de l’huile ; à la fin jamais ils ne se mélangent.

 

Emmanuel Todd, Qui est Charlie ?, Seuil, 2015, 243 pages, 18€

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Actualités Recensions

Les déshérités ou l’urgence de transmettre

Broché : 207 pages
Editeur : Plon (28 août 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2259223435
ISBN-13 : 978-2259223430
Dimensions : 20,1 x 1,9 x 13,1 cm

 Les déshérités ou l’urgence de transmettre

La culture et, avec elle, ce qu’elle suppose de transmission et d’accomplissement, est-elle en train de disparaître ? C’est par une anecdote que F.-X. Bellamy commence son livre, cette soirée de 2011 où, à l’Opéra de Rome, le chef d’orchestre Ricardo Muti prend le public à témoin. Il a honte, avoue-t-il, de penser que l’Italie contemporaine est en train de tuer la culture sur laquelle l’histoire du pays est bâtie. Plus près de nous, d’autres chiffres nous arrivent, cinglants, à vous ficher un coup de poing à l’estomac : de plus en plus de jeunes sont incapables de trouver le sens d’un texte et la simple lecture devient pour eux un supplice. Comment se fait-il qu’au pays de l’école gratuite et obligatoire la transmission du savoir s’opère dans des conditions de plus en plus malcommodes ? Dans la première partie de cet ouvrage vigoureux et plein de panache, l’auteur rappelle que les programmes jadis défendus par Descartes, Rousseau et Bourdieu sont en train de magnifiquement s’accomplir. Eux qui prétendaient que la culture est discriminatoire, que l’enseignant sert à la reproduction des élites et que l’éducation est porteuse de violence ; eux qui ont bénéficié de la transmission et d’un enseignement de qualité en sont arrivés à dénier ce droit aux jeunes. Le résultat de ces fariboles ne s’est pas fait attendre : inculture à tous les niveaux, abrutissement devant les écrans et la télé-réalité, indistinction, culte de l’ego, etc. Le jugement de F.-X. Bellamy est sans appel : « La crise de la culture est le résultat d’un travail réfléchi, durable, explicite. » (p. 25). Le problème c’est que – mais nous sommes trop affairés pour le voir – la culture nous est essentielle en ce sens qu’elle augmente ce que nous sommes. Elle ne constitue pas un accessoire pour une élite privilégiée ; elle est constitutive de l’être humain dans ce qu’il a de plus nécessaire. Aussi pouvons-nous être certains que la disparition de la culture ou, au minimum, son confinement dans quelques strates de la société, risque de nous conduire à l’ensauvagement, à l’indistinction et « aux radicalités les plus délirantes » (p. 206). Il est vital de voir que la culture est ce à quoi on reconnaît d’abord une civilisation. Pour ce faire, le rôle de la transmission est essentiel : elle seule peut stopper la déconstruction en direction de laquelle la société toute entière est entraînée. Un livre vital et nécessaire.

 

François-Xavier Bellamy, Les déshérités, Plon, 2014, 207 pages, 17€

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Portraits Recensions

Houellebecq économiste

Broché : 160 pages
Editeur : FLAMMARION (3 septembre 2014)
Collection : ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 2081296071
ISBN-13 : 978-2081296077
Dimensions : 20,1 x 0,1 x 13,2 cm

 Houellebecq économiste

Réfléchir sur la place et le rôle de l’économie contemporaine à partir de l’œuvre littéraire de Michel Houellebecq, il fallait y penser ! C’est sans doute qu’en lisant les œuvres de l’auteur des Particules élémentaires, Bernard Maris s’est dit qu’il y avait entre lui et l’écrivain la même détestation de l’économie. Postulat singulier quand on songe que Bernard Maris est… économiste. Mais, comme Houellebecq, Bernard Maris a un souhait : que l’économie regagne la place que jamais elle n’aurait dû quitter, l’arrière-plan. Car, selon Maris et Houellebecq, l’économie n’est pas une science, juste « une discipline vide et ennuyeuse ». Cette charge surprenante d’un économiste à l’encontre de sa discipline – laquelle est « une idéologie précise, vicieuse, délétère » (p. 45) – s’explique par le dégoût qu’inspire à l’auteur le tout économique, la marchandisation du monde, l’impitoyable loi de l’offre et de la demande qui réduit l’homme à n’être qu’un consommateur, un usager servile. En quelques courts chapitres Bernard Maris règle ses comptes avec une vision purement technicienne de l’économie en passant les romans de Houellebecq au filtre de quelques grands noms des sciences économiques comme Marschall, Marx ou Malthus. De ces noms émerge l’incomparable figure du britannique John Maynard Keynes, le premier à avoir saisi la nature profonde du capitalisme, lequel vise à l’infantilisation des populations par l’injonction à la consommation. La réflexion devient philosophique, voire religieuse. A quoi sert une telle agitation, sinon à obvier la peur de la maladie et de la mort ?

Au fait, pourquoi Houellebecq ? Pourquoi Bernard Maris voit-il en lui l’une des personnes qui comprend le mieux le monde et l’économie contemporaine ? « Aucun romancier n’avait, jusqu’à lui, aussi bien perçu l’essence du capitalisme, fondé sur l’incertitude et l’angoisse. » Le capitalisme engendre de l’angoisse, non simplement parce qu’il génère inégalités et chômage de masse, mais parce qu’il se sert et use jusqu’à plus soif de nos névroses comme l’inassouvissement de nos désirs et l’incapacité à être insatisfait.

Houellebecq économiste, un livre puissant qui met à nu les fragilités psychologiques du monde contemporain.

 

Bernard Maris, Houellebecq économiste, Flammarion, 2014, 153 pages, 14€

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Actualités Recensions

La révolution arabe

Broché : 392 pages
Editeur : Perrin (26 mars 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262043337
ISBN-13 : 978-2262043339
Dimensions : 24 x 3 x 15,5 cm

 La révolution arabe

Bien avant l’espoir de changement suscité par les printemps arabes de ces dernières années, le monde arabo-musulman n’en finit pas de réfléchir à sa propre réforme. Encore faut-il savoir ce que l’on met sous ce mot. En effet, il y a un gouffre entre les musulmans qui espèrent une société pluraliste, où religion et politique ne seraient pas mêlés, et ceux qui, au contraire, veulent revenir à l’islam des origines. D’aucuns, dans le mouvement appelé Nahda, ont cherché à assimiler ces deux éléments contraires. « Les réformateurs, écrit Zakya Daoud dans son dernier ouvrage, ont voulu restituer l’islam originel dans sa pureté doctrinale, mais ils n’ont pas, parallèlement, mené la réflexion sur l’islam en tant que civilisation ayant évolué dans un contexte multiple. » Réformer des sociétés cumulant les retards en cherchant à revenir à l’islam des origines ressort de la quadrature du cercle. Comment des sociétés aussi imprégnées de religieux pourraient-elles faire leur aggiornamento sans assigner à la religion une place plus réduite ? Diminuer les inégalités, mettre fin aux frustrations, se débarrasser des tyrannies… Le but ne manquait pas de grandeur. Tel était celui des Nasser et autres Bourguiba, chefs d’Etat qui ne pouvaient pas admettre qu’en dépit de tous ses atouts le monde arabe ne puisse combler l’écart le séparant de l’Occident et des dragons asiatiques. Sans doute manquait-il une théorie de l’Etat susceptible de laisser davantage de liberté aux forces libérales et centrifuges. La seule volonté de quelques hommes politiques ne suffit pas à décréter l’existence d’une société de confiance. Les bons sentiments sont loin de faire une bonne politique. La preuve en a été administrée dans maints pays. A travers les exemples historiques qu’elle donne, l’auteure donne la preuve de la difficulté des sociétés arabo-musulmanes de se choisir un destin digne de leur passé. On a pu croire que l’échec du réformisme avait été fatal aux musulmans libéraux, dépassés et marginalisés par les fondamentalistes. Or, ce qui vient par exemple de se passer en Egypte donne de l’espoir à ceux qui espèrent des sociétés dont l’homogénéité ne passerait pas entièrement par la religion. Encore faudrait-il que l’Etat retrouve l’autorité qui lui fait souvent défaut et qui permet aux extrémistes de s’engouffrer dans la brèche créée par la misère et la frustration.

Zakya Daoud, La révolution arabe, Perrin, 2015, 392 pages, 24€

 

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Biographies Recensions

Raymond Barre

Broché : 585 pages
Editeur : Perrin (2 avril 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262037752
ISBN-13 : 978-2262037758
Dimensions : 24 x 4,1 x 15,4 cm

 Raymond Barre

La belle biographie que Christiane Rimbaud vient de consacrer à l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing nous rappelle l’époque heureuse des années 1970, temps où l’on croyait le progrès inéluctable et le chômage un accident. En ce temps, finalement pas si lointain, le Premier ministre s’inquiétait d’un déficit de quelques centaines de millions de francs. Que dirait Raymond Barre s’il revenait parmi nous, apprenant que les caisses de l’Etat sont vides et que le déficit du pays avoisine les deux mille milliards d’euros ? Elève surdoué, professeur reconnu, c’est dans les années 1960, à Bruxelles, que Raymond Barre fait ses premiers pas dans le bain politique. Il se murmure, dans les couloirs des institutions européennes, qu’il est l’œil du général de Gaulle. Plus tard, alors que le pouvoir giscardien est en proie à ses premières difficultés, il est appelé pour conduire la politique du gouvernement. Pragmatique, adepte du maintien des grands équilibres, ennemi de l’idéologie et de la politique politicienne (le fameux « microcosme »), il se fait remarquer par son grand sens de l’Etat. Comme il le déclare en 1978 dans une émission de télévision, « il est aisé de gouverner un monde imaginaire, habité par des certitudes, mais quand le monde réel surgit, patratas… », une leçon qui, bien sûr, vaut pour aujourd’hui. Finalement, c’est lui, le professeur, le quasi-inconnu issu de la société civile, qui en remontre aux professionnels de la politique, lesquels, par leur politique de gribouille, ont abîmé l’Etat en le vendant sur l’autel de l’arrivisme et de l’ambition. Raymond Barre n’a cure de sa carrière, lui qui aurait tant aimé disposer de temps libre pour écouter davantage de musique classique et voir de bons westerns. Il est vrai que la politique l’ennuie. S’il se présente aux élections présidentielles de 1988 et se lance à la conquête de la mairie de Lyon au début des années 1990, c’est presque à contre-cœur. Comme le racontera un de ses proches : « Il lui manquait l’acharnement. Il avait trop de centres d’intérêt dans sa vie pour avoir la volonté farouche de gagner et de ne penser qu’à ça. » Au fond, ce qu’il faut d’abord retenir du travail de Christiane Rimbaud, c’est que la politique est une chose trop sérieuse pour n’être confiée qu’à des professionnels.

Christiane Rimbaud, Raymond Barre, Perrin, 2015, 585 pages, 25€

 

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Actualités Recensions

L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes

Broché : 110 pages
Editeur : Climats; Édition : Nouvelle éd (28 février 2006)
Collection : CLIMATS NON FIC
Langue : Français
ISBN-10 : 2082131238
ISBN-13 : 978-2082131230
Dimensions : 21 x 1 x 13,5 cm

 L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes

On peut même dire que l’auteur s’y montre prophète en affirmant que le système capitaliste a intérêt à produire de l’ignorance et que celle-ci est une condition nécessaire à sa perpétuation. Abrutir les citoyens à coups de divertissements massifs, lui suggérer que le bonheur résulte de la consommation, que la culture générale n’est d’aucune utilité, etc. tout cela doit concourir à l’idée que l’éducation ne correspond aucunement à l’idée que s’en faisaient ses concepteurs. Comme l’affirme d’emblée l’auteur, « les présents progrès de l’ignorance, loin d’être l’effet d’un dysfonctionnement regrettable de notre société, sont devenus une condition nécessaire à sa propre expansion. » Il faut entendre ici par progrès de l’ignorance l’ascension continue de l’absence de sens critique. Or, on n’a jamais vu que le sens critique boostait la consommation et le sens de la fête permanente et obligatoire à laquelle le citoyen est tenu (fête des voisins, des grands-pères et grands-mères, nuits blanches à Paris et ainsi de suite… « Festivus, festivus », disait le regretté Philippe Muray). Ce que déclare Michéa et ce qu’affirmait Muray ressort-il de la paranoïa ? Il faut croire que non. Les élites qui nous gouvernent (Michéa ne parle pas ici de nos gouvernements mais des élites économiques, financières et médiatiques qui, de façon souvent occultes tiennent les rênes) estiment que le progrès condamne l’humanité à travailler de moins en moins. Le travail va se faire de plus en plus rare. Que faire pour occuper les centaines de millions d’individus qui n’en auront pas ? Réponse, les occuper par « un cocktail de divertissement abrutissant permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. » (Z. Brzezinski) D’où ce recours permanent à la consommation et au divertissement via les 35 heures, la fête à tout berzingue et les Center Parcs. L’homme de demain consommera et s’amusera. Dans ces conditions, mieux vaudra lui enseigner l’ignorance, c’est-à-dire le priver de tout sens critique.

Entre Le meilleur des mondes (A. Huxley) et 1984 (G. Orwell), l’essai de Jean-Claude Michéa laisse entrevoir un monde déshumanisé dans lequel l’homme ne sera que le minuscule rouage d’une gigantesque machine veillant à pérenniser un système qui, au bout du compte, ne profite qu’à une petite minorité. Angoissant !

 

Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats, 1999, 111 pages, 12€

 

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Histoire Recensions

Berlin, les offensives géantes de l’Armée Rouge : Vistule, Oder, Elbe (12 janvier-9 mai 1945)

Broché : 672 pages
Editeur : Economica (3 décembre 2009)
Collection : Campagnes & stratégies
Langue : Français
ISBN-10 : 2717857834
ISBN-13 : 978-2717857832
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Berlin, les offensives géantes de l’Armée Rouge : Vistule, Oder, Elbe (12 janvier-9 mai 1945)

Voilà un livre qui devrait être offert à ces chefs d’Etat à la mémoire vacillante qui n’ont pas daigné se rendre à Moscou le 9 mai dernier pour fêter la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement du nazisme. On ne le dira jamais assez : c’est le peuple soviétique qui a supporté l’essentiel de l’effort de guerre du III° Reich. Le Berlin de Jean Lopez est l’éclatante démonstration de l’héroïsme d’un peuple qui a perdu vingt millions de ses enfants et dont l’armée a rogné les ailes de la Wehrmacht.

Fort des dernières recherches de l’historiographie, Jean Lopez revisite les offensives qui, dans les premiers mois de l’année 1945, vont amener frontoviki et T 34 des faubourgs de Varsovie jusqu’à la capitale de ce Reich qui, selon les termes d’Hitler, devait durer mille ans. Le Berlin de Jean Lopez est essentiellement un livre d’histoire militaire. Avec brio, l’auteur défend une idée que les anciens chefs militaires de l’Allemagne nazie avaient minimisée dans leurs souvenirs. S’il est vrai que la Ostheer (l’Armée allemande du front de l’Est) est l’ombre de ce qu’elle était quatre ans plus tôt, il est tout aussi vrai que son effondrement doit beaucoup aux immenses progrès réalisés par l’Armée Rouge, et ce dans pratiquement tous les domaines. L’auteur soutient l’opinion que la victoire soviétique est d’abord une victoire intellectuelle. Les battus des années 1941 et 1942 ayant beaucoup appris de la machine de guerre nazie. Durant les dernières décennies du conflit, les généraux soviétiques mettent au point ce qui va constituer la marque de fabrique de l’Armée rouge : l’art opératif. Situé entre les niveaux stratégique et tactique, l’art opératif consiste moins à enchaîner les arabesques tactiques visant à l’encerclement que de démembrer l’armée ennemie dans la profondeur afin de l’empêcher de reprendre son souffle. C’est ainsi qu’en trois semaines, appuyées par une artillerie toujours plus nombreuse, les armées soviétiques vont disloquer les lignes allemandes et prendre pied sur l’Oder, à 80 kilomètres de Berlin.

Soutenu par un style puissant, c’est dans le détail que J. Lopez décrit l’habileté des militaires soviétiques et la puissance formidable de l’Armée rouge. Devant ce rouleau compresseur, l’héroïsme du soldat allemand était de peu de poids. Ce Berlin est un très grand livre d’histoire militaire.

 

Jean Lopez, Berlin. Les offensives géantes de l’Armée Rouge, Economica, 2010, 644 pages, 29€

 

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Histoire Recensions

Le drame d’Azincourt

Broché : 250 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (2 septembre 2015)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10 : 2226318925
ISBN-13 : 978-2226318923
Dimensions : 22,5 x 2 x 14,4 cm

 Le drame d’Azincourt

La célébration de l’année 1415 a été occultée par d’autres commémorations : la bataille de Marignan (1515), la mort de Louis XIV (1715), la bataille de Waterloo (1815)… Mais on aura fait peu de cas de l’anniversaire de la défaite d’Azincourt (1415), qui allait durablement marquer l’inconscient collectif des élites et du peuple de France. Contrairement à la plupart des ouvrages centrés sur un événement militaire, le récit de la bataille arrive ici au début de l’ouvrage, façon de bien montrer que cette « étrange défaite », comme disait Marc Bloch, est à l’origine d’un processus qui faillit emporter l’Etat et la conscience nationale naissante. Après les déroutes de Crécy et de Poitiers face au même ennemi anglais, on aurait pu penser que la noblesse française pouvait conduire intelligemment une bataille. Mais les mêmes causes (dévalorisation de l’ennemi, volonté d’en découdre coûte que coûte, ignorance de la technique anglaise basée sur une archerie puissante, etc.) produisant les mêmes effets, c’est une part notable de la noblesse de France qui disparaît dans la bataille. Une grande partie de l’élite militaire et politique de la nation est balayée, ce qui ouvre grand la porte aux ambitions anglaises désireuses de recouvrer les territoires perdus, en Normandie et en Guyenne, et à l’abaissement de la royauté dont se prévalent certains grands comme le duc de Bourgogne. Un malheur ne venant jamais seul, la guerre civile se déclenche entre forces royales (Armagnacs) et tenants des forces centrifuges (Bourguignons). Quant à l’Aquitaine et à une bonne partie du nord du territoire, elles sont administrées directement par les Anglais. Comme en 1940, c’est l’Etat lui-même qui est touché. En succédant au roi fou Charles VI, Charles VII, le roi de Bourges, met toute sa volonté à expulser l’Anglais et à redonner tout son lustre à la couronne de France. Dans son récit fort bien mené, Valérie Toureille raconte la persévérance d’une minorité (Charles VII, Jeanne d’Arc, des capitaines comme Dunois et Xaintrailles) afin de restaurer l’Etat dans toute son indépendance. Fait majeur, c’est de cette époque que date le nationalisme, ressort nécessaire pour la constitution pleine et entière de la nation. Idée abstraite pour beaucoup, le royaume de France dessinait de plus en plus nettement les contours d’une France dont nous sommes en grande partie redevables. Valérie Toureille a mené de main de maître l’histoire de cette curieuse défaite et a su tirer des conclusions dont, six siècles après, nous continuons à être les héritiers.

Valérie Toureille, Le drame d’Azincourt, Albin Michel, 2015, 232 pages, 18€