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Portraits Recensions

Houellebecq économiste

Broché : 160 pages
Editeur : FLAMMARION (3 septembre 2014)
Collection : ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 2081296071
ISBN-13 : 978-2081296077
Dimensions : 20,1 x 0,1 x 13,2 cm

 Houellebecq économiste

Réfléchir sur la place et le rôle de l’économie contemporaine à partir de l’œuvre littéraire de Michel Houellebecq, il fallait y penser ! C’est sans doute qu’en lisant les œuvres de l’auteur des Particules élémentaires, Bernard Maris s’est dit qu’il y avait entre lui et l’écrivain la même détestation de l’économie. Postulat singulier quand on songe que Bernard Maris est… économiste. Mais, comme Houellebecq, Bernard Maris a un souhait : que l’économie regagne la place que jamais elle n’aurait dû quitter, l’arrière-plan. Car, selon Maris et Houellebecq, l’économie n’est pas une science, juste « une discipline vide et ennuyeuse ». Cette charge surprenante d’un économiste à l’encontre de sa discipline – laquelle est « une idéologie précise, vicieuse, délétère » (p. 45) – s’explique par le dégoût qu’inspire à l’auteur le tout économique, la marchandisation du monde, l’impitoyable loi de l’offre et de la demande qui réduit l’homme à n’être qu’un consommateur, un usager servile. En quelques courts chapitres Bernard Maris règle ses comptes avec une vision purement technicienne de l’économie en passant les romans de Houellebecq au filtre de quelques grands noms des sciences économiques comme Marschall, Marx ou Malthus. De ces noms émerge l’incomparable figure du britannique John Maynard Keynes, le premier à avoir saisi la nature profonde du capitalisme, lequel vise à l’infantilisation des populations par l’injonction à la consommation. La réflexion devient philosophique, voire religieuse. A quoi sert une telle agitation, sinon à obvier la peur de la maladie et de la mort ?

Au fait, pourquoi Houellebecq ? Pourquoi Bernard Maris voit-il en lui l’une des personnes qui comprend le mieux le monde et l’économie contemporaine ? « Aucun romancier n’avait, jusqu’à lui, aussi bien perçu l’essence du capitalisme, fondé sur l’incertitude et l’angoisse. » Le capitalisme engendre de l’angoisse, non simplement parce qu’il génère inégalités et chômage de masse, mais parce qu’il se sert et use jusqu’à plus soif de nos névroses comme l’inassouvissement de nos désirs et l’incapacité à être insatisfait.

Houellebecq économiste, un livre puissant qui met à nu les fragilités psychologiques du monde contemporain.

 

Bernard Maris, Houellebecq économiste, Flammarion, 2014, 153 pages, 14€

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Actualités Recensions

La révolution arabe

Broché : 392 pages
Editeur : Perrin (26 mars 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262043337
ISBN-13 : 978-2262043339
Dimensions : 24 x 3 x 15,5 cm

 La révolution arabe

Bien avant l’espoir de changement suscité par les printemps arabes de ces dernières années, le monde arabo-musulman n’en finit pas de réfléchir à sa propre réforme. Encore faut-il savoir ce que l’on met sous ce mot. En effet, il y a un gouffre entre les musulmans qui espèrent une société pluraliste, où religion et politique ne seraient pas mêlés, et ceux qui, au contraire, veulent revenir à l’islam des origines. D’aucuns, dans le mouvement appelé Nahda, ont cherché à assimiler ces deux éléments contraires. « Les réformateurs, écrit Zakya Daoud dans son dernier ouvrage, ont voulu restituer l’islam originel dans sa pureté doctrinale, mais ils n’ont pas, parallèlement, mené la réflexion sur l’islam en tant que civilisation ayant évolué dans un contexte multiple. » Réformer des sociétés cumulant les retards en cherchant à revenir à l’islam des origines ressort de la quadrature du cercle. Comment des sociétés aussi imprégnées de religieux pourraient-elles faire leur aggiornamento sans assigner à la religion une place plus réduite ? Diminuer les inégalités, mettre fin aux frustrations, se débarrasser des tyrannies… Le but ne manquait pas de grandeur. Tel était celui des Nasser et autres Bourguiba, chefs d’Etat qui ne pouvaient pas admettre qu’en dépit de tous ses atouts le monde arabe ne puisse combler l’écart le séparant de l’Occident et des dragons asiatiques. Sans doute manquait-il une théorie de l’Etat susceptible de laisser davantage de liberté aux forces libérales et centrifuges. La seule volonté de quelques hommes politiques ne suffit pas à décréter l’existence d’une société de confiance. Les bons sentiments sont loin de faire une bonne politique. La preuve en a été administrée dans maints pays. A travers les exemples historiques qu’elle donne, l’auteure donne la preuve de la difficulté des sociétés arabo-musulmanes de se choisir un destin digne de leur passé. On a pu croire que l’échec du réformisme avait été fatal aux musulmans libéraux, dépassés et marginalisés par les fondamentalistes. Or, ce qui vient par exemple de se passer en Egypte donne de l’espoir à ceux qui espèrent des sociétés dont l’homogénéité ne passerait pas entièrement par la religion. Encore faudrait-il que l’Etat retrouve l’autorité qui lui fait souvent défaut et qui permet aux extrémistes de s’engouffrer dans la brèche créée par la misère et la frustration.

Zakya Daoud, La révolution arabe, Perrin, 2015, 392 pages, 24€

 

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Biographies Recensions

Raymond Barre

Broché : 585 pages
Editeur : Perrin (2 avril 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262037752
ISBN-13 : 978-2262037758
Dimensions : 24 x 4,1 x 15,4 cm

 Raymond Barre

La belle biographie que Christiane Rimbaud vient de consacrer à l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing nous rappelle l’époque heureuse des années 1970, temps où l’on croyait le progrès inéluctable et le chômage un accident. En ce temps, finalement pas si lointain, le Premier ministre s’inquiétait d’un déficit de quelques centaines de millions de francs. Que dirait Raymond Barre s’il revenait parmi nous, apprenant que les caisses de l’Etat sont vides et que le déficit du pays avoisine les deux mille milliards d’euros ? Elève surdoué, professeur reconnu, c’est dans les années 1960, à Bruxelles, que Raymond Barre fait ses premiers pas dans le bain politique. Il se murmure, dans les couloirs des institutions européennes, qu’il est l’œil du général de Gaulle. Plus tard, alors que le pouvoir giscardien est en proie à ses premières difficultés, il est appelé pour conduire la politique du gouvernement. Pragmatique, adepte du maintien des grands équilibres, ennemi de l’idéologie et de la politique politicienne (le fameux « microcosme »), il se fait remarquer par son grand sens de l’Etat. Comme il le déclare en 1978 dans une émission de télévision, « il est aisé de gouverner un monde imaginaire, habité par des certitudes, mais quand le monde réel surgit, patratas… », une leçon qui, bien sûr, vaut pour aujourd’hui. Finalement, c’est lui, le professeur, le quasi-inconnu issu de la société civile, qui en remontre aux professionnels de la politique, lesquels, par leur politique de gribouille, ont abîmé l’Etat en le vendant sur l’autel de l’arrivisme et de l’ambition. Raymond Barre n’a cure de sa carrière, lui qui aurait tant aimé disposer de temps libre pour écouter davantage de musique classique et voir de bons westerns. Il est vrai que la politique l’ennuie. S’il se présente aux élections présidentielles de 1988 et se lance à la conquête de la mairie de Lyon au début des années 1990, c’est presque à contre-cœur. Comme le racontera un de ses proches : « Il lui manquait l’acharnement. Il avait trop de centres d’intérêt dans sa vie pour avoir la volonté farouche de gagner et de ne penser qu’à ça. » Au fond, ce qu’il faut d’abord retenir du travail de Christiane Rimbaud, c’est que la politique est une chose trop sérieuse pour n’être confiée qu’à des professionnels.

Christiane Rimbaud, Raymond Barre, Perrin, 2015, 585 pages, 25€

 

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Actualités Recensions

L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes

Broché : 110 pages
Editeur : Climats; Édition : Nouvelle éd (28 février 2006)
Collection : CLIMATS NON FIC
Langue : Français
ISBN-10 : 2082131238
ISBN-13 : 978-2082131230
Dimensions : 21 x 1 x 13,5 cm

 L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes

On peut même dire que l’auteur s’y montre prophète en affirmant que le système capitaliste a intérêt à produire de l’ignorance et que celle-ci est une condition nécessaire à sa perpétuation. Abrutir les citoyens à coups de divertissements massifs, lui suggérer que le bonheur résulte de la consommation, que la culture générale n’est d’aucune utilité, etc. tout cela doit concourir à l’idée que l’éducation ne correspond aucunement à l’idée que s’en faisaient ses concepteurs. Comme l’affirme d’emblée l’auteur, « les présents progrès de l’ignorance, loin d’être l’effet d’un dysfonctionnement regrettable de notre société, sont devenus une condition nécessaire à sa propre expansion. » Il faut entendre ici par progrès de l’ignorance l’ascension continue de l’absence de sens critique. Or, on n’a jamais vu que le sens critique boostait la consommation et le sens de la fête permanente et obligatoire à laquelle le citoyen est tenu (fête des voisins, des grands-pères et grands-mères, nuits blanches à Paris et ainsi de suite… « Festivus, festivus », disait le regretté Philippe Muray). Ce que déclare Michéa et ce qu’affirmait Muray ressort-il de la paranoïa ? Il faut croire que non. Les élites qui nous gouvernent (Michéa ne parle pas ici de nos gouvernements mais des élites économiques, financières et médiatiques qui, de façon souvent occultes tiennent les rênes) estiment que le progrès condamne l’humanité à travailler de moins en moins. Le travail va se faire de plus en plus rare. Que faire pour occuper les centaines de millions d’individus qui n’en auront pas ? Réponse, les occuper par « un cocktail de divertissement abrutissant permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. » (Z. Brzezinski) D’où ce recours permanent à la consommation et au divertissement via les 35 heures, la fête à tout berzingue et les Center Parcs. L’homme de demain consommera et s’amusera. Dans ces conditions, mieux vaudra lui enseigner l’ignorance, c’est-à-dire le priver de tout sens critique.

Entre Le meilleur des mondes (A. Huxley) et 1984 (G. Orwell), l’essai de Jean-Claude Michéa laisse entrevoir un monde déshumanisé dans lequel l’homme ne sera que le minuscule rouage d’une gigantesque machine veillant à pérenniser un système qui, au bout du compte, ne profite qu’à une petite minorité. Angoissant !

 

Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats, 1999, 111 pages, 12€

 

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Histoire Recensions

Berlin, les offensives géantes de l’Armée Rouge : Vistule, Oder, Elbe (12 janvier-9 mai 1945)

Broché : 672 pages
Editeur : Economica (3 décembre 2009)
Collection : Campagnes & stratégies
Langue : Français
ISBN-10 : 2717857834
ISBN-13 : 978-2717857832
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Berlin, les offensives géantes de l’Armée Rouge : Vistule, Oder, Elbe (12 janvier-9 mai 1945)

Voilà un livre qui devrait être offert à ces chefs d’Etat à la mémoire vacillante qui n’ont pas daigné se rendre à Moscou le 9 mai dernier pour fêter la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement du nazisme. On ne le dira jamais assez : c’est le peuple soviétique qui a supporté l’essentiel de l’effort de guerre du III° Reich. Le Berlin de Jean Lopez est l’éclatante démonstration de l’héroïsme d’un peuple qui a perdu vingt millions de ses enfants et dont l’armée a rogné les ailes de la Wehrmacht.

Fort des dernières recherches de l’historiographie, Jean Lopez revisite les offensives qui, dans les premiers mois de l’année 1945, vont amener frontoviki et T 34 des faubourgs de Varsovie jusqu’à la capitale de ce Reich qui, selon les termes d’Hitler, devait durer mille ans. Le Berlin de Jean Lopez est essentiellement un livre d’histoire militaire. Avec brio, l’auteur défend une idée que les anciens chefs militaires de l’Allemagne nazie avaient minimisée dans leurs souvenirs. S’il est vrai que la Ostheer (l’Armée allemande du front de l’Est) est l’ombre de ce qu’elle était quatre ans plus tôt, il est tout aussi vrai que son effondrement doit beaucoup aux immenses progrès réalisés par l’Armée Rouge, et ce dans pratiquement tous les domaines. L’auteur soutient l’opinion que la victoire soviétique est d’abord une victoire intellectuelle. Les battus des années 1941 et 1942 ayant beaucoup appris de la machine de guerre nazie. Durant les dernières décennies du conflit, les généraux soviétiques mettent au point ce qui va constituer la marque de fabrique de l’Armée rouge : l’art opératif. Situé entre les niveaux stratégique et tactique, l’art opératif consiste moins à enchaîner les arabesques tactiques visant à l’encerclement que de démembrer l’armée ennemie dans la profondeur afin de l’empêcher de reprendre son souffle. C’est ainsi qu’en trois semaines, appuyées par une artillerie toujours plus nombreuse, les armées soviétiques vont disloquer les lignes allemandes et prendre pied sur l’Oder, à 80 kilomètres de Berlin.

Soutenu par un style puissant, c’est dans le détail que J. Lopez décrit l’habileté des militaires soviétiques et la puissance formidable de l’Armée rouge. Devant ce rouleau compresseur, l’héroïsme du soldat allemand était de peu de poids. Ce Berlin est un très grand livre d’histoire militaire.

 

Jean Lopez, Berlin. Les offensives géantes de l’Armée Rouge, Economica, 2010, 644 pages, 29€

 

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Histoire Recensions

Le drame d’Azincourt

Broché : 250 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (2 septembre 2015)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10 : 2226318925
ISBN-13 : 978-2226318923
Dimensions : 22,5 x 2 x 14,4 cm

 Le drame d’Azincourt

La célébration de l’année 1415 a été occultée par d’autres commémorations : la bataille de Marignan (1515), la mort de Louis XIV (1715), la bataille de Waterloo (1815)… Mais on aura fait peu de cas de l’anniversaire de la défaite d’Azincourt (1415), qui allait durablement marquer l’inconscient collectif des élites et du peuple de France. Contrairement à la plupart des ouvrages centrés sur un événement militaire, le récit de la bataille arrive ici au début de l’ouvrage, façon de bien montrer que cette « étrange défaite », comme disait Marc Bloch, est à l’origine d’un processus qui faillit emporter l’Etat et la conscience nationale naissante. Après les déroutes de Crécy et de Poitiers face au même ennemi anglais, on aurait pu penser que la noblesse française pouvait conduire intelligemment une bataille. Mais les mêmes causes (dévalorisation de l’ennemi, volonté d’en découdre coûte que coûte, ignorance de la technique anglaise basée sur une archerie puissante, etc.) produisant les mêmes effets, c’est une part notable de la noblesse de France qui disparaît dans la bataille. Une grande partie de l’élite militaire et politique de la nation est balayée, ce qui ouvre grand la porte aux ambitions anglaises désireuses de recouvrer les territoires perdus, en Normandie et en Guyenne, et à l’abaissement de la royauté dont se prévalent certains grands comme le duc de Bourgogne. Un malheur ne venant jamais seul, la guerre civile se déclenche entre forces royales (Armagnacs) et tenants des forces centrifuges (Bourguignons). Quant à l’Aquitaine et à une bonne partie du nord du territoire, elles sont administrées directement par les Anglais. Comme en 1940, c’est l’Etat lui-même qui est touché. En succédant au roi fou Charles VI, Charles VII, le roi de Bourges, met toute sa volonté à expulser l’Anglais et à redonner tout son lustre à la couronne de France. Dans son récit fort bien mené, Valérie Toureille raconte la persévérance d’une minorité (Charles VII, Jeanne d’Arc, des capitaines comme Dunois et Xaintrailles) afin de restaurer l’Etat dans toute son indépendance. Fait majeur, c’est de cette époque que date le nationalisme, ressort nécessaire pour la constitution pleine et entière de la nation. Idée abstraite pour beaucoup, le royaume de France dessinait de plus en plus nettement les contours d’une France dont nous sommes en grande partie redevables. Valérie Toureille a mené de main de maître l’histoire de cette curieuse défaite et a su tirer des conclusions dont, six siècles après, nous continuons à être les héritiers.

Valérie Toureille, Le drame d’Azincourt, Albin Michel, 2015, 232 pages, 18€

 

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Histoire Recensions

Grandeur et misère de l’Armée rouge

Poche : 400 pages
Editeur : Tempus Perrin (8 janvier 2015)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10 : 2262049289
ISBN-13 : 978-2262049287
Dimensions : 17,7 x 1,8 x 10,8 cm

 Grandeur et misère de l’Armée rouge

La Seconde Guerre mondiale n’a pas fini de livrer des informations. Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri ont interviewé douze vétérans de l’Armée rouge, douze anonymes qui avaient combattu entre 1941 et 1945 dans les rangs de l’instrument de combat qui avait définitivement rogné les ailes de la Wehrmacht. Car, quoiqu’on en dise, la guerre s’est bien moins gagnée sur le Front Ouest, avec le Débarquement du 6 juin 1944 que sur le terrible Front de l’Est, là où les Allemands avaient positionné l’essentiel et le meilleur de leurs forces. Mais, face à une Armée rouge aussi puissante que nombreuse, véritable hydre des temps modernes, la puissante machine de guerre nazie n’a pu vaincre. A la longue, les distances, les conditions climatiques, les erreurs stratégiques ont fini par user une armée d’invasion qui, en juin 1941, était entrée en territoire soviétique comme dans du beurre. Les témoignages livrés aux auteurs révèlent un fait observé depuis bien longtemps. Comme nous venons de le dire, ce sont des éléments précis et objectifs (l’immensité du pays, les rigueurs de l’hiver, le nombre des armes produites…) qui ont vaincu. Mais ces éléments auraient-ils suffi sans le concours de l’héroïsme du peuple soviétique ? En ce sens, la victoire finale de l’Armée rouge tient presque du miracle. Après la terrible répression que connaît l’Union Soviétique dans les années 1930, il n’était pas évident que les Soviétiques se lèvent en masse pour sauver un régime que beaucoup abhorraient. Mais voilà, l’appel au patriotisme a joué à plein. Le combat idéologique a vite cédé la place à la défense de la Rodina, la mère-patrie. Les anciens soldats qui donnent leur témoignage insistent : ils montaient au combat pour la défense de leur terre, pas pour sauver un régime honni. La guerre menée par les Soviétiques ne le fut pas à l’économie ; elle l’a été par le sang et la fureur d’un peuple qui avait le martyre dans les tripes. Comme le dit un des témoins interrogés : « Nous avons gagné cette guerre grâce à la brutalité que nous avons exercée contre notre propre nation. » La vie, en cette époque barbare, ne valait décidément pas chère.

 

Jean Lopez & Lasha Otkhmezuri, Grandeur et misère de l’Armée rouge, Tempus, 2014, 391 pages, 10 €

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Histoire Recensions

La Grande Guerre oubliée

Broché : 527 pages
Editeur : Perrin (2 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040451
ISBN-13 : 978-2262040451
Dimensions : 24 x 3,8 x 15,5 cm

 La Grande Guerre oubliée

Trop souvent la Première Guerre mondiale se confond avec la guerre des tranchées, celle qui a ensanglanté le nord-est de la France. C’est oublier que cette guerre était mondiale et que d’autres théâtres d’opérations ont vu, eux aussi, couler des torrents de sang. Les Alliés auraient-ils gagné la guerre si l’armée russe n’avait pas retenu un bon tiers de l’armée allemande ainsi que le plus gros des forces de la Double Monarchie ? Le livre d’Alexandre Sumpf n’est en rien une histoire de la Grande Guerre à l’Est. Ici, la guerre ne fait que s’inscrire en toile de fond d’un récit plus large. Ce qui compte davantage aux yeux de l’auteur, c’est le climat qui saisit un pays dans l’ensemble de ses strates économiques, sociales et culturelles. Si l’on excepte le chapitre réservé aux combattants, La Grande Guerre oubliée vise davantage à retracer la vie des habitants au contact du front ou à l’arrière. Alexandre Sumpf passe l’ensemble des secteurs de la société russe d’avant la Révolution de 1917, une société en guerre, certes bien mobilisée mais cependant moins, en raison de l’étendue du pays et de l’hétérogénité de ses populations, que les principales nations occidentales en guerre : le moral de la troupe et des habitants, les conditions de la survie dans un pays en guerre, les revendications ouvrières, la propagande, etc… Le théâtre, les coulisses et les épreuves de la guerre achèveront la dissolution de la nation impériale. La guerre allait en effet mettre à nu et accélérer les maux d’une société dont Dieu, le tsar et la patrie n’assuraient plus le ciment. La Grande Guerre oubliée révèle les nombreuses contradictions d’une société à bout de souffle, laminée par ses contradictions internes. Pour Lénine et ses affidés, la vieille Russie n’allait pas tarder à tomber comme un fruit blet ; il suffirait juste de mettre à jour les éléments les plus pourris de l’entité russe.

Grâce à ce travail novateur, Alexandre Sumpf dévoile un pan caché de l’historiographie contemporaine, réalisant un ouvrage que les historiens russes et soviétiques n’avaient pas entrepris avec toute la conviction nécessaire. Si la Grande Guerre a permis l’éclosion de la république des soviets, elle

 

Alexandre Sumpf, La Grande Guerre oubliée, Perrin, 2014, 527 pages, 25 €

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Recensions Religion

Jésus et le divorce

Broché : 149 pagesv Editeur : Cerf (12 février 2015)v Collection : LECTIO DIVINA
ISBN-10 : 2204103640
ISBN-13 : 978-2204103640
Dimensions : 19,5 x 1,2 x 12,5 cm

 Jésus et le divorce

Entre deux synodes romains consacrés à la famille, le premier s’étant tenu à l’automne 2014 et le second ayant lieu un an plus tard, les interventions d’évêques et de théologiens vont bon train. Pour beaucoup, au-delà de l’ample question de la famille au sein de la société contemporaine, la question des divorcés-remariés demeure un sujet qu’il est impératif de prendre à bras-le-corps. Au plus haut sommet et de façon feutrée des cardinaux s’opposent, les uns proposant des positions ouvertes (cardinal Walter Kasper), les autres prêchant en faveur du statu quo (cardinal Raymond Leo Burke). Le grand théologien états-unien John Paul Meier, auteur d’une somme remarquable sur Jésus (Un certain juif, Jésus), a désiré intervenir dans le débat. Le concours du théologien est uniquement d’ordre intellectuel. Etudiant l’Ancien Testament, les Evangiles et les Epîtres de Paul, il aboutit à une conclusion d’un simplisme presque déroutant : la pratique du divorce dans le monde juif, par répudiation de l’épouse par le mari, était une chose largement admise et ne posant aucune difficulté. Les propos de Jésus vont totalement à rebours : une fois débarrassé des adjonctions ultérieures les paroles prêtées au Christ vont toutes dans le sens d’une interdiction absolue du divorce. Cette défense est si absolue, si contraire aux usages juifs « qu’un Juif pieux qui prendrait soin de respecter toutes les règles prescrites par la Loi mosaïque concernant le divorce serait néanmoins coupable d’avoir enfreint le sixième commandement du décalogue (« Tu ne commettras point l’adultère ») en contractant un nouveau mariage. » (p. 146)

S’il est des catholiques pour penser que le recours à l’exégèse sera de nature à régler certains problèmes générés par la discipline de l’Eglise vis-à-vis du mariage, ils risquent d’être déçus. Pour le grand spécialiste qu’est John Paul Meier, il ne fait pas de doute que Jésus a énoncé une interdiction absolue, formelle. Cette intransigeance peut désarçonner et peut-être faudrait-il la contextualiser, ce que ne fait pas le théologien dans le cadre de ce petit essai. J.-P. Meier prévient son lecteur dès les premières pages : il n’écrit pas pour régler des problèmes pastoraux actuels et il n’est pas évident que les résultats de la recherche théologique ait « quelque chose à dire à la foi ou à la théologie chrétienne. »

 

John Paul Meier, Jésus et le divorce, 2015, Cerf, 151 pages, 14 €

 

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Recensions Religion

Pie XII

Broché : 480 pages
Editeur : Fayard (29 octobre 2014)
Collection : Biographies Historiques
Langue : Français
ISBN-10 : 2213655316
ISBN-13 : 978-2213655314
Dimensions : 15,3 x 2,5 x 23,5 cm

 Pie XII

Le spécialiste de l’histoire de l’Italie contemporaine qu’est Pierre Milza ne pouvait pas ne pas consacrer un livre à Pie XII, un pape dont l’importance est manifeste pour la compréhension de l’évolution de l’Eglise au cours de la seconde moitié du XX° siècle. Biographie très classique, le Pie XII de Pierre Milza jouit d’une postériorité qui lui permet d’intégrer l’ensemble de ce que la communauté des chercheurs sait d’Eugenio Pacelli. Issu de la bourgeoisie romaine, fils d’une famille pieuse, le jeune Eugenio Pacelli a tôt fait de découvrir la vocation qui l’habite : il sera prêtre. Seulement, il était dit que ce brillant sujet ne saurait se contenter d’un office médiocre au service de la sainte Eglise romaine. Ses qualités d’intellectuel et de diplomate lui font brûler les étapes : nonce à Munich en 1917, puis à Berlin en 1925, secrétaire d’Etat du pape Pie XI en 1929… C’est en 1939, à la veille de la guerre, que les cardinaux l’élisent sur le trône de saint Pierre. Vient la guerre, la période des grands déchirements : que doit faire et que doit dire le pape devant l’étendue des crimes de guerre, la Shoah en premier lieu ? Diplomate à l’excès, soucieux du sort des catholiques de langue allemande, il condamne les crimes nazis avec une retenue qui donnera des arguments à ceux qui, tel l’auteur du Vicaire Rolf Hochhut, lui ont reproché avec force ses silences. En réalité, s’il abhorre le nazisme et montre son souci du peuple juif en sauvant de l’horreur des milliers de juifs italiens, Pie XII, sans doute en raison de sa germanophilie latente, déteste encore plus le communisme. « Si pour le parti de Hitler la question est celle de la mise en tutelle des Eglises dans le cadre d’un Etat autoritaire, voire totalitaire, pour les communistes il s’agit de mettre en place leur complète éradication » (p. 141-142)

Toujours intéressant, facile à lire, ce Pie XII est indéniablement de très bonne facture. Cela suffira-t-il pour l’amener à concurrencer d’autres biographies du pape Pacelli, comme celle de Robert Serrou, rien n’est moins sûr ? Concentrée essentiellement sur les aspects diplomatiques du pontificat, le livre de Pierre Milza fait malheureusement l’impasse sur quantité de dossiers essentiels à la compréhension de l’histoire de l’Eglise au XX° siècle, comme le refus des prêtres-ouvriers. Pontificat important au plan des relations internationales, il le fut également pour l’évolution de l’Eglise, avant l’élection de Jean XXIII et la convocation du second concile du Vatican. !

 

Pierre Milza, Pie XII, Fayard, 2014, 475 pages, 25 €