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Histoire Recensions

Grandeur et misère de l’Armée rouge

Poche : 400 pages
Editeur : Tempus Perrin (8 janvier 2015)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10 : 2262049289
ISBN-13 : 978-2262049287
Dimensions : 17,7 x 1,8 x 10,8 cm

 Grandeur et misère de l’Armée rouge

La Seconde Guerre mondiale n’a pas fini de livrer des informations. Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri ont interviewé douze vétérans de l’Armée rouge, douze anonymes qui avaient combattu entre 1941 et 1945 dans les rangs de l’instrument de combat qui avait définitivement rogné les ailes de la Wehrmacht. Car, quoiqu’on en dise, la guerre s’est bien moins gagnée sur le Front Ouest, avec le Débarquement du 6 juin 1944 que sur le terrible Front de l’Est, là où les Allemands avaient positionné l’essentiel et le meilleur de leurs forces. Mais, face à une Armée rouge aussi puissante que nombreuse, véritable hydre des temps modernes, la puissante machine de guerre nazie n’a pu vaincre. A la longue, les distances, les conditions climatiques, les erreurs stratégiques ont fini par user une armée d’invasion qui, en juin 1941, était entrée en territoire soviétique comme dans du beurre. Les témoignages livrés aux auteurs révèlent un fait observé depuis bien longtemps. Comme nous venons de le dire, ce sont des éléments précis et objectifs (l’immensité du pays, les rigueurs de l’hiver, le nombre des armes produites…) qui ont vaincu. Mais ces éléments auraient-ils suffi sans le concours de l’héroïsme du peuple soviétique ? En ce sens, la victoire finale de l’Armée rouge tient presque du miracle. Après la terrible répression que connaît l’Union Soviétique dans les années 1930, il n’était pas évident que les Soviétiques se lèvent en masse pour sauver un régime que beaucoup abhorraient. Mais voilà, l’appel au patriotisme a joué à plein. Le combat idéologique a vite cédé la place à la défense de la Rodina, la mère-patrie. Les anciens soldats qui donnent leur témoignage insistent : ils montaient au combat pour la défense de leur terre, pas pour sauver un régime honni. La guerre menée par les Soviétiques ne le fut pas à l’économie ; elle l’a été par le sang et la fureur d’un peuple qui avait le martyre dans les tripes. Comme le dit un des témoins interrogés : « Nous avons gagné cette guerre grâce à la brutalité que nous avons exercée contre notre propre nation. » La vie, en cette époque barbare, ne valait décidément pas chère.

 

Jean Lopez & Lasha Otkhmezuri, Grandeur et misère de l’Armée rouge, Tempus, 2014, 391 pages, 10 €

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Histoire Recensions

La Grande Guerre oubliée

Broché : 527 pages
Editeur : Perrin (2 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040451
ISBN-13 : 978-2262040451
Dimensions : 24 x 3,8 x 15,5 cm

 La Grande Guerre oubliée

Trop souvent la Première Guerre mondiale se confond avec la guerre des tranchées, celle qui a ensanglanté le nord-est de la France. C’est oublier que cette guerre était mondiale et que d’autres théâtres d’opérations ont vu, eux aussi, couler des torrents de sang. Les Alliés auraient-ils gagné la guerre si l’armée russe n’avait pas retenu un bon tiers de l’armée allemande ainsi que le plus gros des forces de la Double Monarchie ? Le livre d’Alexandre Sumpf n’est en rien une histoire de la Grande Guerre à l’Est. Ici, la guerre ne fait que s’inscrire en toile de fond d’un récit plus large. Ce qui compte davantage aux yeux de l’auteur, c’est le climat qui saisit un pays dans l’ensemble de ses strates économiques, sociales et culturelles. Si l’on excepte le chapitre réservé aux combattants, La Grande Guerre oubliée vise davantage à retracer la vie des habitants au contact du front ou à l’arrière. Alexandre Sumpf passe l’ensemble des secteurs de la société russe d’avant la Révolution de 1917, une société en guerre, certes bien mobilisée mais cependant moins, en raison de l’étendue du pays et de l’hétérogénité de ses populations, que les principales nations occidentales en guerre : le moral de la troupe et des habitants, les conditions de la survie dans un pays en guerre, les revendications ouvrières, la propagande, etc… Le théâtre, les coulisses et les épreuves de la guerre achèveront la dissolution de la nation impériale. La guerre allait en effet mettre à nu et accélérer les maux d’une société dont Dieu, le tsar et la patrie n’assuraient plus le ciment. La Grande Guerre oubliée révèle les nombreuses contradictions d’une société à bout de souffle, laminée par ses contradictions internes. Pour Lénine et ses affidés, la vieille Russie n’allait pas tarder à tomber comme un fruit blet ; il suffirait juste de mettre à jour les éléments les plus pourris de l’entité russe.

Grâce à ce travail novateur, Alexandre Sumpf dévoile un pan caché de l’historiographie contemporaine, réalisant un ouvrage que les historiens russes et soviétiques n’avaient pas entrepris avec toute la conviction nécessaire. Si la Grande Guerre a permis l’éclosion de la république des soviets, elle

 

Alexandre Sumpf, La Grande Guerre oubliée, Perrin, 2014, 527 pages, 25 €

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Recensions Religion

Jésus et le divorce

Broché : 149 pagesv Editeur : Cerf (12 février 2015)v Collection : LECTIO DIVINA
ISBN-10 : 2204103640
ISBN-13 : 978-2204103640
Dimensions : 19,5 x 1,2 x 12,5 cm

 Jésus et le divorce

Entre deux synodes romains consacrés à la famille, le premier s’étant tenu à l’automne 2014 et le second ayant lieu un an plus tard, les interventions d’évêques et de théologiens vont bon train. Pour beaucoup, au-delà de l’ample question de la famille au sein de la société contemporaine, la question des divorcés-remariés demeure un sujet qu’il est impératif de prendre à bras-le-corps. Au plus haut sommet et de façon feutrée des cardinaux s’opposent, les uns proposant des positions ouvertes (cardinal Walter Kasper), les autres prêchant en faveur du statu quo (cardinal Raymond Leo Burke). Le grand théologien états-unien John Paul Meier, auteur d’une somme remarquable sur Jésus (Un certain juif, Jésus), a désiré intervenir dans le débat. Le concours du théologien est uniquement d’ordre intellectuel. Etudiant l’Ancien Testament, les Evangiles et les Epîtres de Paul, il aboutit à une conclusion d’un simplisme presque déroutant : la pratique du divorce dans le monde juif, par répudiation de l’épouse par le mari, était une chose largement admise et ne posant aucune difficulté. Les propos de Jésus vont totalement à rebours : une fois débarrassé des adjonctions ultérieures les paroles prêtées au Christ vont toutes dans le sens d’une interdiction absolue du divorce. Cette défense est si absolue, si contraire aux usages juifs « qu’un Juif pieux qui prendrait soin de respecter toutes les règles prescrites par la Loi mosaïque concernant le divorce serait néanmoins coupable d’avoir enfreint le sixième commandement du décalogue (« Tu ne commettras point l’adultère ») en contractant un nouveau mariage. » (p. 146)

S’il est des catholiques pour penser que le recours à l’exégèse sera de nature à régler certains problèmes générés par la discipline de l’Eglise vis-à-vis du mariage, ils risquent d’être déçus. Pour le grand spécialiste qu’est John Paul Meier, il ne fait pas de doute que Jésus a énoncé une interdiction absolue, formelle. Cette intransigeance peut désarçonner et peut-être faudrait-il la contextualiser, ce que ne fait pas le théologien dans le cadre de ce petit essai. J.-P. Meier prévient son lecteur dès les premières pages : il n’écrit pas pour régler des problèmes pastoraux actuels et il n’est pas évident que les résultats de la recherche théologique ait « quelque chose à dire à la foi ou à la théologie chrétienne. »

 

John Paul Meier, Jésus et le divorce, 2015, Cerf, 151 pages, 14 €

 

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Recensions Religion

Pie XII

Broché : 480 pages
Editeur : Fayard (29 octobre 2014)
Collection : Biographies Historiques
Langue : Français
ISBN-10 : 2213655316
ISBN-13 : 978-2213655314
Dimensions : 15,3 x 2,5 x 23,5 cm

 Pie XII

Le spécialiste de l’histoire de l’Italie contemporaine qu’est Pierre Milza ne pouvait pas ne pas consacrer un livre à Pie XII, un pape dont l’importance est manifeste pour la compréhension de l’évolution de l’Eglise au cours de la seconde moitié du XX° siècle. Biographie très classique, le Pie XII de Pierre Milza jouit d’une postériorité qui lui permet d’intégrer l’ensemble de ce que la communauté des chercheurs sait d’Eugenio Pacelli. Issu de la bourgeoisie romaine, fils d’une famille pieuse, le jeune Eugenio Pacelli a tôt fait de découvrir la vocation qui l’habite : il sera prêtre. Seulement, il était dit que ce brillant sujet ne saurait se contenter d’un office médiocre au service de la sainte Eglise romaine. Ses qualités d’intellectuel et de diplomate lui font brûler les étapes : nonce à Munich en 1917, puis à Berlin en 1925, secrétaire d’Etat du pape Pie XI en 1929… C’est en 1939, à la veille de la guerre, que les cardinaux l’élisent sur le trône de saint Pierre. Vient la guerre, la période des grands déchirements : que doit faire et que doit dire le pape devant l’étendue des crimes de guerre, la Shoah en premier lieu ? Diplomate à l’excès, soucieux du sort des catholiques de langue allemande, il condamne les crimes nazis avec une retenue qui donnera des arguments à ceux qui, tel l’auteur du Vicaire Rolf Hochhut, lui ont reproché avec force ses silences. En réalité, s’il abhorre le nazisme et montre son souci du peuple juif en sauvant de l’horreur des milliers de juifs italiens, Pie XII, sans doute en raison de sa germanophilie latente, déteste encore plus le communisme. « Si pour le parti de Hitler la question est celle de la mise en tutelle des Eglises dans le cadre d’un Etat autoritaire, voire totalitaire, pour les communistes il s’agit de mettre en place leur complète éradication » (p. 141-142)

Toujours intéressant, facile à lire, ce Pie XII est indéniablement de très bonne facture. Cela suffira-t-il pour l’amener à concurrencer d’autres biographies du pape Pacelli, comme celle de Robert Serrou, rien n’est moins sûr ? Concentrée essentiellement sur les aspects diplomatiques du pontificat, le livre de Pierre Milza fait malheureusement l’impasse sur quantité de dossiers essentiels à la compréhension de l’histoire de l’Eglise au XX° siècle, comme le refus des prêtres-ouvriers. Pontificat important au plan des relations internationales, il le fut également pour l’évolution de l’Eglise, avant l’élection de Jean XXIII et la convocation du second concile du Vatican. !

 

Pierre Milza, Pie XII, Fayard, 2014, 475 pages, 25 €

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Actualités Recensions

La France périphérique

Broché : 192 pages
Editeur : FLAMMARION (17 septembre 2014)
Collection : DOCUMENTS SC.HU
Langue : Français
ISBN-10 : 2081312573
ISBN-13 : 978-2081312579
Dimensions : 21 x 1,5 x 13,4 cm

 La France périphérique

Comment se fait-il que les Français aient tant de mal à faire société, comme si le ressort de l’appartenance collective était définitivement brisé ? Que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé là ? Christophe Guilluy, auteur du remarquable Fractures françaises, a décidé de relever le gant et de pointer les mauvais génies qui ont rendu si difficile l’unité du pays. Les Français se sont-ils rendus compte que le monde avait à ce point changé ? Les raisons sont nombreuses mais, à lire Christophe Guilluy, il y en a une qui l’emporte nettement sur les autres : la mondialisation. Son rouleau compresseur a fracturé la société française. A côté des grandes métropoles liées à la mondialisation heureuse, là où se créé la richesse, où vivent les décideurs économiques et politiques, il y a cette France périphérique des petites villes et du monde rural. Une France qui peine à boucler ses fins de mois, touchée qu’elle est par les plans sociaux et le chômage de masse, assignée à résidence pour des raisons foncières, inquiète de ne plus avoir son sort entre les mains, angoissée à l’idée de ne plus reconnaître le pays dans lequel elle a grandi, tourmentée par l’idée de devenir minoritaire chez elle. « La véritable fracture, souligne C. Guilluy, n’oppose pas les urbains aux ruraux, mais les territoires les plus dynamiques à la France des fragilités sociales. » (p. 24) Pour l’auteur, il ne faut pas se faire d’illusion, le mal est fait et il est désormais trop tard pour espérer suturer les plaies qui se sont ouvertes durant les dernières décennies. Le pire, c’est que la société culturelle promue par les élites a été imposée en dehors de toute voie démocratique. Quand les bobos de Saint-Germain-des-Prés promeuvent le cosmopolitisme, c’est la France des bonnets rouges qui trinque. Dans ce pays qu’elles ne reconnaissent plus tout à fait, les classes populaires « construisent, dans l’adversité, seules et sans mode d’emploi, cette société multiculturelle. » (p. 78) Et lorsque les banlieues bénéficient des millions d’euros liés à la politique de la ville, la France périphérique est livrée à elle-même. Et l’on s’étonne ensuite de la montée du Front National dans les urnes !

 

Christophe Guilluy, La France périphérique, Flammarion, 2014, 185 pages, 18 €

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Histoire Recensions

La guerre de Sept Ans (1756-1763)

Broché : 670 pages
Editeur : Perrin (22 janvier 2015)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2262035296
ISBN-13 : 978-2262035297
Dimensions : 24 x 4,2 x 15,4 cm

 La guerre de Sept Ans (1756-1763)

La toute première guerre mondiale a duré sept ans, elle a concerné les principales puissances européennes, s’est déroulée sur trois continents et a eu des conséquences qui ont persisté pendant plus d’un siècle. Cette guerre, c’est la guerre de Sept Ans, ouverte en Amérique du Nord, entre Anglais et Français alors que les Etats-Unis n’existent pas encore. Il s’agit au départ, selon les mots de l’auteur d’ « une guerre essentiellement européenne dont l’enjeu fondamental consiste en une énième mise à jour de l’équilibre des puissances » (p. 11) Cette guerre, racontée dans le détail et avec maestria par Edmond Dziembowski, eut des conséquences qui, quelque deux cent cinquante après, comptent encore dans l’ordre du monde. En effet, c’est de ce conflit que datent l’émergence de la prépondérance britannique qui verra son triomphe au XIX° siècle, la naissance du patriotisme chez les grandes puissances, l’importance des guerres périphériques, etc. Récit total et complet, c’est comme cela que se présente un livre que les créateurs des grandes collections d’autrefois – par exemple Halphen et Sagnac – auraient très certainement apprécié. A l’image de la vastitude de ce conflit, le livre d’E. Dziembowski est remarquable par la diversité des sources utilisées. Non seulement aucun aspect de cette guerre n’est évacué mais, de surcroît, l’auteur renouvelle les vues traditionnelles que l’on pouvait avoir sur cet événement majeur. Par exemple, contrairement à l’image généralement véhiculée, les batailles qui se sont déroulées en Europe, et qui impliquaient Prussiens, Autrichiens, Français et Russes ont été particulièrement sanglantes, que ce soit Prague, Kolin ou Zorndorf. On est loin du charme suranné prêté souvent à la guerre en dentelles. Enfin, l’auteur s’attache à placer le conflit dans le cadre immense qui a été le sien, d’où le nombre de pages assez considérable qu’il accorde à la guerre en Amérique du Nord et en Inde. En ce sens, par bien des aspects, la guerre de Sept ans préfigure notre temps, celui de la mondialisation.

 

Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans (1756-1763), Perrin, 2015, 670 pages, 27 €

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Actualités Recensions

Chine, l’âge des ambitions

Broché : 493 pages
Editeur : Editions Albin Michel (25 mars 2015)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10 : 2226312625
ISBN-13 : 978-2226312624
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Chine, l’âge des ambitions

Ayant passé plusieurs années en Chine, Evan Osnos livre un portrait saisissant d’un pays en pleine mutation. A travers une série de portraits de Chinois (artistes, internautes, etc.) qu’il a fréquentés durant son séjour, Evan Osnos raconte la Chine d’aujourd’hui, un pays qui vient de connaître de formidables changements en peu de temps. Dans une première partie, l’auteur décrit la réalité du boom économique, avec tout ce qu’il a de vertigineux, ses aspects positifs (par exemple l’accroissement du niveau de vie) et négatifs comme la montée de l’égoïsme et de l’individualisme. Pays paradoxal mélangeant économie de marché et dictature du Parti unique, sa situation génère une opposition qui se manifeste essentiellement sur le net. Comment un pays aussi ouvert sur le monde peut-il poursuivre à censurer et à museler ses opposants ? En dernier lieu, E. Osnos raconte « comment les aspirations de la nouvelle classe moyenne chinoise se traduisent par la quête de nouvelles valeurs » (p. 18). Fourmillant de détails anecdotiques, voilà un livre qui se laisse facilement saisir mais, il faut bien l’avouer, on le quitte avec des idées assez embrouillées. Qu’est-ce que la Chine aujourd’hui ? Paradoxes et contradictions sont si nombreux qu’il ne peut être question de les embrasser d’un seul coup. Nouveauté et modernité sont partout présentes, la tradition aussi. Des démocrates se lèvent en faveur de la démocratie, mais le nationalisme reste puissant. Internet connaît une explosion frénétique, mais le contrôle étatique ne relâche jamais son emprise. Bref, il est bien difficile, avec toutes ces contradictions, de savoir où va la Chine. Ce qui est certain, c’est que l’industrialisation folle des dernières décennies a créé des ruptures dont les séquelles risquent de demeurer. La corruption se situe à un niveau si élevé qu’on peine, ici, à s’en faire l’exacte mesure. Malgré la sévérité des peines judiciaires, la confusion entre affaires et politique a atteint un niveau tel que certains, prenant conscience du vide généré par la course au temps et au profit, se tournent vers des philosophies et religions ayant fait leur preuve, bouddhisme et christianisme pour commencer.

Un livre important pour comprendre le parcours de cet immense et atypique pays.

 

Evan Osnos, Chine, l’âge des ambitions, Albin Michel, 2015, 496 pages, 25 €

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Recensions Religion

L’essor du christianisme

Broché : 304 pages
Editeur : Excelsis (17 juin 2013)
Collection : L’Eglise dans l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2755001887
ISBN-13 : 978-2755001884
Dimensions : 21,9 x 1,5 x 16 cm

 L’essor du christianisme

Connu pour son retentissant Triomphe de la raison (sous-titre : Pourquoi la réussite du modèle occidentale est le fruit du christianisme), paru en 2007, le sociologue des religions Rodney Stark récidive dans sa défense et son apologie du christianisme. Agnostique, l’auteur réfléchit sur un mode uniquement scientifique : comment expliquer la propagation du christianisme au cours des premiers siècles de notre ère ? Mettant au service de sa thèse ses connaissances en sociologie et en histoire, Rodney Stark livre un ouvrage passionnant et convaincant. Il commence à expliquer de façon mathématique la croissance démographique des premières communautés chrétiennes ainsi que l’attraction du christianisme auprès de nombreuses communautés juives. Mais, a-t-on envie de dire, là n’est pas l’essentiel. Pourquoi, en dépit des persécutions (moins nombreuses qu’on le croit), le christianisme a-t-il supplanté le paganisme de façon aussi définitive ? Il y a, remarque Rodney Stark, deux sortes d’explications. Les premières ont trait à l’épuisement du paganisme, devenu aux I° et II° siècles un ensemble de superstitions en voie d’épuisement auquel plus personne ne croyait. Reste la question : qu’est-ce qui, dans la religion nouvelle, attirait païens et juifs ? Pourquoi de nombreux païens ont-ils cessé de croire en leur improbable panthéon pour rejoindre la foi véhiculée par les premiers disciples de Jésus de Nazareth. La réponse, déjà prononcée par un antiquisant comme Lucien Jerphagnon, est évidente : beaucoup de gens ont décidé de se convertir au christianisme parce qu’ils jugeaient cette religion supérieure aux autres. Cette supériorité s’était par exemple manifestée avec éclat durant la peste qui avait touché l’Empire romain au III° siècle : la solidarité et la compassion vécues entre chrétiens avaient montré que l’amour et la miséricorde n’étaient pas des mots creux. Comme l’écrit l’auteur en conclusion, « le christianisme a apporté une nouvelle conception de l’humanité à un monde accablé par une cruauté capricieuse et par un amour de la mort par procuration. » (p. 266). Le christianisme et ses organisations sociales étaient jugés attirants, libérateurs et efficaces. Un livre éloquent et nécessaire.

 

Rodney Stark, L’essor du christianisme, Excelsis, 2013, 303 pages, 23 €

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Histoire Recensions

Berlin – Les offensives géantes de l’Armée rouge (janvier – mai 1945)

Broché : 672 pages
Editeur : Economica (3 décembre 2009)
Collection : Campagnes & stratégies
Langue : Français
ISBN-10 : 2717857834
ISBN-13 : 978-2717857832
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Berlin : Les offensives géantes de l’Armée rouge (janvier – mai 1945)

Voilà un livre qui devrait être offert à ces chefs d’Etat à la mémoire vacillante qui n’ont pas daigné se rendre à Moscou le 9 mai dernier pour fêter la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement du nazisme. On ne le dira jamais assez : c’est le peuple soviétique qui a supporté l’essentiel de l’effort de guerre du III° Reich. Le Berlin de Jean Lopez est l’éclatante démonstration de l’héroïsme d’un peuple qui a perdu vingt millions de ses enfants et dont l’armée a rogné les ailes de la Wehrmacht.

Fort des dernières recherches de l’historiographie, Jean Lopez revisite les offensives qui, dans les premiers mois de l’année 1945, vont amener frontoviki et T 34 des faubourgs de Varsovie jusqu’à la capitale de ce Reich qui, selon les termes d’Hitler, devait durer mille ans. Le Berlin de Jean Lopez est essentiellement un livre d’histoire militaire. Avec brio, l’auteur défend une idée que les anciens chefs militaires de l’Allemagne nazie avaient minimisée dans leurs souvenirs. S’il est vrai que la Ostheer (l’Armée allemande du front de l’Est) est l’ombre de ce qu’elle était quatre ans plus tôt, il est tout aussi vrai que son effondrement doit beaucoup aux immenses progrès réalisés par l’Armée Rouge, et ce dans pratiquement tous les domaines. L’auteur soutient l’opinion que la victoire soviétique est d’abord une victoire intellectuelle. Les battus des années 1941 et 1942 ayant beaucoup appris de la machine de guerre nazie. Durant les dernières décennies du conflit, les généraux soviétiques mettent au point ce qui va constituer la marque de fabrique de l’Armée rouge : l’art opératif. Situé entre les niveaux stratégique et tactique, l’art opératif consiste moins à enchaîner les arabesques tactiques visant à l’encerclement que de démembrer l’armée ennemie dans la profondeur afin de l’empêcher de reprendre son souffle. C’est ainsi qu’en trois semaines, appuyées par une artillerie toujours plus nombreuse, les armées soviétiques vont disloquer les lignes allemandes et prendre pied sur l’Oder, à 80 kilomètres de Berlin.

Soutenu par un style puissant, c’est dans le détail que J. Lopez décrit l’habileté des militaires soviétiques et la puissance formidable de l’Armée rouge. Devant ce rouleau compresseur, l’héroïsme du soldat allemand était de peu de poids. Ce Berlin est un très grand livre d’histoire militaire.

 

Jean Lopez, Berlin. Les offensives géantes de l’Armée Rouge, Economica, 2010, 644 pages, 29 €

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Recensions Religion

Histoire du blasphème en Occident (XVI°-XIX° siècle)

Broché : 320 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (6 mai 2015)
Collection : Bibliothèque de l’évolution de l’humanité
Langue : Français
ISBN-10 : 2226253858
ISBN-13 : 978-2226253859
Dimensions : 19 x 1,2 x 12,7 cm

 Histoire du blasphème en Occident (XVI°-XIX° siècle)

Ouvrage à visée historique, cette Histoire du blasphème en Occident répond indirectement à une interrogation très actuelle : Comment se fait-il que dans nos sociétés d’incroyance généralisée on accorde autant d’importance au blasphème ? Se peut-il qu’il soit le havre ultime d’une liberté de conscience chèrement acquise à l’encontre des religions révélées ? En effet, l’histoire du blasphème est intimement liée à celle des monothéismes, Bible et Coran prohibant l’usage injurieux du nom de Dieu. Dans le christianisme, les Pères de l’Eglise ne mirent pas longtemps à intégrer le blasphème à la liste des péchés graves. Aux XVI° et XVII° siècles, les Eglises pourchassent inlassablement le blasphème. Durant les guerres de religion, ce dernier prend une coloration différente car il devient synonyme d’hérésie. Pour un catholique, un protestant est forcément blasphémateur et vice-versa. Peu à peu, avec la naissance de l’Etat moderne, les puissances séculières vont s’emparer de l’interdiction sous prétexte que le blasphémateur contrevient à l’ordre social. Par la suite, la position des hiérarchies et des théologiens s’adoucira, distinguant par exemple le blasphème et l’esprit de blasphème, « l’une pouvoir recevoir le pardon, l’autre non » (p. 192). Si le blasphème est toujours condamné par les instances religieuses, le sens de cette condamnation n’est plus le même qu’autrefois. L’exemple le plus évident est produit par les interdits lancés par les responsables religieux, chrétiens, juifs ou musulmans, lorsque radicaux, fondamentalistes et libres penseurs s’en prennent à l’image même de Dieu : en mettant en avant un Dieu vengeur et cruel, ne blasphèment-ils pas le nom de Dieu ? La solide étude d’Alain Cabantous nous rappelle avec bonheur que le « péché de langue » subsiste encore dans les sociétés contemporaines. Instauré en vue d’adoucir les mœurs, il a pris, avec la mondialisation, une coloration autre : désormais il s’agit moins de montrer que l’on est un esprit fort que de dévaloriser la figure de l’autre.

Alain Cabantous aura réussi à montrer qu’ « avec le blasphème, il s’agit de prendre la mesure de la relation entre le divin et l’humain, de saisir la limite entre deux mondes coexistants et pourtant de plus en plus distincts dans l’approche spirituelle de l’Europe moderne. »

 

Alain Cabantous, Histoire du blasphème en Occident, Albin Michel, 2015, 340 pages, 16.50 €