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Actualités Recensions

Une révolution sous nos yeux

Broché : 556 pages Editeur : L’artilleur
Édition : Poche (12 février 2014)
Collection : TOUC.ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 2810005702
ISBN-13 : 978-2810005703
Dimensions : 11 x 3,2 x 18 cm

 Une révolution sous nos yeux – Comment l’Islam va transformer la France et l’Europe

Editorialiste au Financial Times, le journaliste américain Christophe Caldwell s’intéresse de près l’évolution contemporaine de l’Europe occidentale. Lauréat du Prix du livre incorrect 2012, il a écrit un livre choc dont le sous-titre est en lui-même tout un programme : « Comment l’islam va transformer la France et l’Europe ». Après les événements qui ont ensanglanté la capitale en ce début d’année, j’avoue avoir regardé d’un œil suspicieux le livre de C. Caldwell, présupposant une charge assez violente à l’encontre de l’islam. Mais quoi ! Péguy avait raison : il faut voir ce que l’on voit ! Quarante ans d’immigration peu contrôlée, voire incontrôlée, sont en train de bouleverser le visage du vieux continent. Cela mérite qu’on s’y attarde, qu’on laisse de côté anathèmes et jugements approximatifs pour analyser un phénomène qui se massifie. Livre choc, le livre de C. Caldwell est avant tout un livre d’analyses. L’arrivée massive de populations ayant une histoire et une culture qui ne sont pas les nôtres pose inévitablement question. L’erreur de beaucoup de politiques est de minorer les changements induits par de tels flux. Tout se conjugue pour donner du grain à moudre aux partis qui font de l’immigration leur cheval de bataille. Ce qui hier ne concernait que des lieux peu nombreux et facilement identifiables fait tâche d’huile, tant est si bien qu’on en est venu à parler des « territoires perdus de la République ». Bien qu’employant un langage modéré, l’auteur ose appeler un chat un chat. Quand des personnes appellent à l’application de la Charia dans nos sociétés démocratiques avec tout ce que cela suppose dans les comportements, comme la minorisation de la place de la femme, la vigilance s’impose. Une révolution sous nos yeux est un livre qui a pour vocation d’alerter, de pousser à la réflexion. Tout responsable politique qui se respecte devrait s’approprier la thématique développée ici. Sans langue de bois, à l’aide de nombreux exemples, l’auteur se montre convaincant. J’émets toutefois deux réserves : l’islam est plus divisé que ne l’affirme C. Caldwell et il faut aussi s’interroger sur la place et le rôle des musulmans modérés, voire même des musulmans laïques. Tout musulman n’est pas un adepte de la Charia.

 

Christophe Caldwell, Une révolution sous nos yeux, Editions du Toucan, 2009, 539 pages, 11 €

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Histoire Recensions

Hitler et la France

Broché : 429 pages
Editeur : PERRIN (4 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262039631
ISBN-13 : 978-2262039639
Dimensions : 24 x 2,9 x 15,5 cm

 Hitler et la France

Dans Mein Kampf, Adolf Hitler n’a jamais fait mystère de ce qu’il pensait de la France et du sort qu’il lui réservait si un jour elle devait finir vaincue par la puissance germanique. De la France Hitler admire l’architecture du Grand Siècle et le génie militaire de Napoléon. En tant qu’ancien combattant du front des Flandres durant la Première Guerre mondiale, il conserve de la considération pour ceux qui ont vécu dans les tranchées, de quelque bord qu’ils fussent. Pour le reste, s’agissant de la France, il n’a jamais fait mystère de son mépris d’une puissance qu’il tient pour dégénérée. Voilà la pensée que l’auteur prête à Hitler : « La France, par sa tradition coloniale, est la pourvoyeuse des « races inférieures » en Europe. » (p. 24). Avec son esprit mégalomaniaque, il la juge « enjuivée », soumise à des politiciens véreux, envahie par des hordes d’apatrides qu’il appelle « métèques ». Bref, en plus d’être un ennemi héréditaire, la France est aux yeux du maître du III° Reich un pays qui compte pour presque rien et qui doit son prestige à sa seule renommée passée. Il est vrai que la monumentale défaite de mai-juin 1940 donne raison à Hitler : en un mois, l’armée que l’on croyait la plus puissante de la coalition alliée est rayée de la carte, le pays envahi, l’Etat annihilé. Plusieurs considérations retiennent Hitler quant à sa volonté d’occuper totalement le pays : le sort de la flotte, la quatrième du monde, et le désir de faire de la France soumise un partenaire de choix dans la carte de l’Europe nouvelle que ses armées dessinent. L’entrevue de Montoire, entre Hitler et Pétain, laisse deviner l’Europe souhaitée par le premier : un ensemble de peuples et de gouvernements asservis devant apporter leur contribution à la lutte implacable menée à l’est contre l’Union Soviétique. La collaboration s’avéra au final un jeu de dupes, un pillage monumental qui, s’il avait duré, aurait ramené la France au rang d’une puissance de second ordre.

Spécialiste reconnu de la Seconde Guerre mondiale, Jean-Paul Cointet donne un récit remarquablement étayé, une évocation sobre et suggestive de ce qu’aurait été l’Europe si l’Allemagne nazie avait gagné la guerre.

 

Jean-Paul Cointet, Hitler et la France, Perrin, 2014, 429 pages, 23.90 €

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Littérature Recensions

Dictionnaire amoureux des dictionnaires

Broché : 998 pages
Editeur : Plon (3 mars 2011)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10 : 2259205119
ISBN-13 : 978-2259205115
Dimensions : 20 x 5 x 13,5 cm

 Dictionnaire amoureux des dictionnaires

Dans la série des Dictionnaires amoureux publiée par les Editions Plon, celui consacré aux dictionnaires, que l’on doit à la plume précise et féconde d’Alain Rey, est sans doute le plus fourni. C’est que, aidé par une érudition sans failles, Alain Rey multiplie les entrées, tant classiques qu’originales. L’essentiel de ce monument est occupé par des biographies de créateurs, de tous ceux qui, dès les temps les plus anciens, avaient le ferme désir de mettre en catalogues la totalité du savoir connu. Le travail qu’ils ont fourni donne lieu à la seconde grande série des entrées de ce Dictionnaire amoureux ; je veux parler des grands dictionnaires qui, sous tous les temps et toutes les latitudes, ont marqué le savoir humain : dictionnaires allemands, anglais, chinois ou arabes, latin (merci Gaffiot !) et grec (merci Bailly !). Si le livre d’Alain Rey se moque des records, il n’omet pas d’exhiber des données parfois vertigineuses, comme ce dictionnaire chinois du XV° siècle qui finit par atteindre onze mille volumes ! Plus de deux mille rédacteurs s’y étaient attelés.

D’une précision diabolique, ce Dictionnaire amoureux des dictionnaires se caractérise surtout par la virtuosité de son auteur. Auteur de plusieurs dictionnaires dont le célèbre Dictionnaire culturel, Alain Rey fait preuve d’une science quasi universelle. Existe-t-il un dictionnaire au monde dont il n’ait entendu parler ? Paradoxalement, c’est peut-être cette profusion qui déconcerte le lecteur. Emmené sur des chemins inconnus, il risque d’être désarçonné par la fougue de l’auteur de ce dictionnaire pas tout à fait comme les autres. L’historien Jacques Le Goff était, aujourd’hui disparu, était appelé l’ « ogre historien » du fait de son appétit de travail. Ne pourrait-on pas qualifier Alain Rey, par comparaison, d’ « ogre linguiste » ?

 

Alain Rey, Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Plon, 2011, 998 pages, 27 €

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Littérature Recensions

Dictionnaire amoureux de la Langue française

Broché: 752 pages
Editeur : Plon (6 novembre 2014)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10 : 2259221572
ISBN-13 : 978-2259221573
Dimensions : 20,2 x 3,9 x 13,4 cm

 Dictionnaire amoureux de la Langue française

Décidément, qu’elle est belle cette collection des « Dictionnaires amoureux » ! C’est avec un bonheur sans cesse renouvelé que le lecteur accompagne l’auteur dans un domaine qui, bien que circonscrit, incite à la liberté et au vagabondage. Dictionnaire amoureux de Stendhal, de Proust, du piano ou de l’humour, telles sont les dernières productions d’une collection qui va son petit bonhomme de chemin.

Conformément à l’esprit de la collection, les entrées ne sont pas nombreuses, environ cent cinquante. Elles peuvent alterner noms propres (par exemple « Rimbaud, Arthur ») et groupes de mots curieux et originaux (par exemple « Langage macaronique » ou « Baragouins et Cie »). A l’originalité qui fait l’esprit de la collection, Jean-Loup Chifflet, en plus de son savoir, y ajoute sa marque de fabrique : l’humour. L’article « Incendiaires de la langue » est particulièrement savoureux qui fait exploser le langage policé sous les coups de boutoir d’écrivains de caractère comme Léon Bloy ou Léon Daudet. Voyez ce que Léon Bloy écrivait de Francisque Sarcey, écrivain oublié du XIX° siècle : « Il est le nénuphar de l’enthousiasme et le bromure de potassium de la poésie. »

Autre belle surprise : les emprunts réalisés au français par des langues comme l’anglais ou le russe. Si l’on a raison avec Etiemble de se lamenter de l’invasion du franglais, qu’on se rassure en sachant que les mots grand hôtel et rendez-vous sont passés dans le langage courant Outre-Manche, et qu’en russe on dit képka pour képi et pilôty pour pilote.

L’auteur transmet avec passion et fougue son amour fou de la langue française. Comme il est regrettable que nous ne fassions pas davantage attention aux atours dont elle se pare. Les mots sonnent comme ils respirent ; ils vivent selon une petite musique délicieuse. « Oui, c’est moi, semblent-ils nous dire, voyez comme mon son est agréable et doux à l’oreille. » L’article intitulé « Musique » nous fait entendre cette magie de la langue au travers des titres de pièces composées par un Couperin, un Rameau ou un Satie : La Voluptueuse, L’Espagnolète, La Coulicam, Peccadilles importunes, Vieux sequins et vieilles cuirasses, etc.

Un dictionnaire amoureux… et savoureux !

 

Jean-Loup Chifflet, Dictionnaire amoureux de la Langue française, Plon, 2014, 736 pages, 24 €

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Histoire Recensions

Une histoire du III° Reich

Broché: 527 pages
Editeur : Perrin (6 novembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 226203642X
ISBN-13 : 978-2262036423
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Une histoire du III° Reich

Il existe déjà tellement d’ouvrages consacrés au nazisme et au III° Reich que l’on se demande bien ce que peut apporter de nouveau le livre de François Delpla.

Une histoire du III° Reich et non L’histoire du III° Reich… Beaucoup est dit dans le choix de ce titre. Le but de l’auteur n’était pas d’écrire l’histoire exhaustive du III° Reich mais d’en donner une perspective différence de ce qui s’écrit généralement sur le sujet. L’arrivée d’Hitler au pouvoir, la constitution de l’Etat totalitaire, les luttes d’influence au sein de l’appareil nazi, l’administration des territoires occupés constituent les chapitres les plus marquants de l’ouvrage. Si l’on suit bien l’auteur, sa thèse est que le rôle d’Adolf Hitler apparaît absolument central. Il n’est pas le personnage médiocre dont une certaine historiographie a consacré l’image. Parti de rien, ce peintre amateur, lecteur boulimique et inachevé, politicien sans scrupules ayant forgé la plus implacable des idéologies, a réussi à mettre dans sa poche et à écraser sous sa botte des millions d’Européens. Si l’on considère ce seul résultat, l’ « exploit » n’est pas mince. Cette simple constatation ne doit en rien cacher le côté diabolique et impitoyable du régime. Comment le peuple allemand, sans doute le plus éduqué d’Europe à l’époque, s’est livré corps et âme à un tel dictateur demeure pour partie une énigme que l’ouvrage de F. Delpla s’emploie à éclairer ? Avec l’auteur, sans doute faut-il croire que « les Allemands ordinaires, dans leur majorité, s’étaient laissés prendre à la mise en scène hitlérienne, d’autant plus efficace qu’elle tirait parti d’une forme de sincérité et même d’ingénuité. » (p. 508) N’est-ce pas Rivarol qui disait que les peuples changeaient volontiers de maîtres, pensant trouver mieux ? Avec Hitler, le peuple allemand avait trouvé son mauvais génie.

Le livre de François Delpla n’est pas un livre facile. Il est davantage une analyse s’inscrivant dans la chronologie qu’une histoire classique ; il suppose donc une connaissance assez fine de la période. Cela dit, et en dépit de quelques maladresses au sujet des opérations militaires qui signent l’apogée de la chute du « Reich millénaire » voulu par Hitler, cette Histoire du III° Reich tient toutes ses promesses.

 

François Delpla, Une histoire du III° Reich, Perrin, 2014, 527 pages, 24.90 €

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Recensions Témoignages

Une vie au Goulag

Broché: 164 pages
Editeur : BELIN LITTERATURE ET REVUES
Édition : Belin (3 octobre 2012)
Collection : BIBLIO BELIN SC
Langue : Français
ISBN-10 : 2701164419
ISBN-13 : 978-2701164410
Dimensions t: 21,5 x 1,5 x 15 cm

 Une vie au Goulag

Ecrit dans les années 1960, il était temps que fut traduit et publié en France le superbe récit de Dimitri Vitkovski, l’un de ces nombreux Soviétiques à avoir vu sa vie broyée par la machine concentrationnaire mise au point par l’Etat communiste. Déporté une première fois à l’âge de 25 ans, Dimitri Vitkovski va passer l’essentiel de sa jeunesse et de sa vie d’adulte dans les camps. Il ne faut pas chercher de raison ou de prétexte à la répression dont il a été la victime. Comme tant d’autres, sa vie a basculé pour une raison assez obscure. Chasser l’ennemi – fût-il une chimère-, l’éradiquer du territoire soviétique impliquait de remplir les prisons et les camps. Pour parvenir à la norme, tout était bon ; c’est la raison pour laquelle étaient enfermés pêle-mêle anciens révolutionnaires, paysans supposés aisés, truands… dans le lot, une majorité d’innocents. A travers ce court récit, Dimitri Vitkovski raconte sa vie errante, de camps en camps. Il souligne l’humanité des soldats d’escorte et la brutalité des chefs, le côté surréaliste des interrogatoires, les conditions dantesques dans lesquelles sont menés certains travaux colossaux, bien au-delà du cercle polaire dans les conditions effroyables qu’on imagine. Une vie au Goulag raconte une vie faite d’humiliations, de brimades, de souffrances… endurées pour rien ; « Pour quel résultat ? s’interroge l’auteur. Une vie humaine brisée ! Rien d’autre. »

Ce témoignage est poignant à plusieurs titres. D’une part parce qu’il narre des destins inachevés, des vies brisées, anéanties. Enfin, en dépit des brutalités et injustices qu’il a subies, Dimitri Vitkovski garde toute sa confiance en une humanité réconciliée et apaisée. Sa contemplation des beautés de la nature n’est pas pour rien dans ce sentiment. Comme l’écrit Nicolas Werth dans la préface : « Une vie au Goulag est bien plus qu’un énième témoignage sur le Goulag. Ce petit livre est une belle leçon de courage et de survie dans un univers kafkaïen. Et, à travers un récit d’une extraordinaire sensibilité à la beauté de la Nature, un regard indulgent et apaisé sur la nature humaine – bref, un formidable hymne à la Vie. »

 

Dimitri Vitkovski, Une vie au Goulag, Belin, 2012, 149 pages, 15 €

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Histoire Recensions

1715 : la France et le monde

Broché: 400 pages Editeur : Perrin (13 novembre 2014)
Collection : Synthèses Historiques
Langue : Français
ISBN-10 : 2262033315
ISBN-13 : 978-2262033316
Dimensions : 23,9 x 2,9 x 15,2 cm

 1715 – la France et le monde

Comme l’Américain Charles C. Mann l’a fait en publiant 1491 et 1493, Thierry Sarmant donne l’état du monde en l’année 1715, année de la mort du Roi-Soleil. Cette date est plus qu’un symbole : elle annonce la fin de la prépondérance française et le début de la domination de l’Angleterre dans un monde de plus en plus sous la coupe des puissances européennes. Dans un premier temps, l’auteur dresse l’état de l’Europe, pays par pays, ne retenant que ceux qui comptent : France, Angleterre, Espagne, Saint-Empire, Russie, etc. Mais il n’oublie pas de jeter son regard au-delà des confins européens. Alors que l’Europe sort à peine des longues guerres du règne de Louis XIV, qu’elle s’apprête à entrer dans une période de paix d’une quarantaine d’année – presque un record en ce temps-là ! -, d’autres régions du globe connaissent des activités frénétiques. C’est le cas de l’Inde qui, après avoir connu la domination musulmane du Grand Moghol, s’apprête à revenir à ses fondements hindous. Malgré des réformes, l’Empire ottoman entame son long déclin qui le conduira, en 1918, dans le camp des perdants. La Perse de la dynastie des séfévides connaît un relatif âge d’or malgré des révoltes venues de sa périphérie. Quant à la Chine de l’empereur Kangxi, elle constitue, selon l’auteur, le pays du monde le plus peuplé et le mieux organisé. A propos de la Chine, Thierry Sarmant ne pouvait pas ne pas évoquer la querelle des rites chinois qui vit cet immense pays échapper à l’emprise spirituelle du catholicisme à cause de l’incapacité de la cour romaine à saisir l’enjeu de l’inculturation : impossible d’espérer convertir une civilisation aussi vieille et aussi brillante sans concéder quelque souplesse et des accommodements bien sentis. Quant à la Russie de Pierre le Grand, après avoir vaincu le roi de Suède Charles XII, elle s’apprête, elle aussi, à entrer dans le concert des grandes puissances. Reste, bien sûr, le sort de l’Amérique, proie tentante pour les colonisateurs d’hier et de demain.

D’une grande richesse et aisé à lire, ce 1715 constitue au final le tableau complet d’une époque charnière, comme si les sociétés traditionnelles étaient en train de briller de leurs derniers feux.

 

Thierry Sarmant, 1715, la France et le monde, Perrin, 2014, 461 pages, 24 €

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Histoire Recensions

La fin des terroirs

Broché: 736 pages
Editeur : Fayard/Pluriel (25 mai 2011)
Collection : Grand Pluriel
Langue : Français
ISBN-10 : 2818501296
ISBN-13 : 978-2818501290
Dimensions : 19,9 x 3,8 x 13,5 cm

  La fin des terroirs

Vivent les Editions Fayard/Pluriel qui ont eu l’excellente idée de rééditer le formidable classique qu’est devenu La fin des terroirs, de l’Américain Eugen Weber, ouvrage qui relate le passage de la France d’autrefois au pays moderne forgé par l’irruption rapide du progrès technique. A la lecture de cet ouvrage passionnant, on imagine sans peine la vitesse phénoménale avec laquelle notre pays est passé d’une civilisation à une autre : c’est seulement en quelques décennies qu’il a quitté la civilisation rurale et paroissiale d’autrefois pour entrer de plain-pied dans la modernité. La révolution industrielle, la Première Guerre mondiale, les progrès matériels et scientifiques sans fin ont bouleversé le mode de vie des Français. Naguère société de paysans et de ruraux, la France est devenue, en à peine un siècle, le premier pays d’Europe en matière d’établissements de grandes surfaces. Pas étonnant qu’une telle marche forcée continue à laisser des traces, la nostalgie des uns côtoyant le désir obsessionnel de consommation des autres. Le rythme stupéfiant de ce changement constitue sans doute la première cause d’atomisation de la nation. Si aujourd’hui les Français peinent à faire société, la raison est sans doute à chercher dans cette brusque rupture avec la culture et la vie d’autrefois.

A travers la trentaine de chapitres qu’égrène l’ouvrage, le lecteur est saisi par l’ampleur du changement. Eugen Weber multiplie les exemples attestant combien fut puissant le passage du monde rural, vivant à un rythme lent et fermé sur lui-même, à la société moderne.  Sait-on qu’avant 1900 beaucoup de Français ne parlent pas français, mais usent couramment du patois ? Que beaucoup de nos routes n’existent pas encore et que le moindre déplacement se fait à pied ou, au mieux, à cheval ? Que religion, coutumes et croyances magiques coexistent dans un monde qui n’a pas idée du désenchantement qui bientôt le frappera ? Ce monde – la France d’autrefois –, en même temps qu’il voit fleurir querelles de clochers et bagarres idéologiques sait se retrouver pour faire société, lors des fêtes de villages ou, comme en hiver, lors des veillées. Grâce à des sources diverses et nombreuses, Eugen Weber est parvenu au mieux à donner du relief à ce monde disparu.

Un travail de recherche et de synthèse extrêmement abouti… et très agréable à lire !

 

Eugen Weber, La fin des terroirs, Pluriel, 2010, 717 pages, 16.20 €

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Portraits Recensions

Von Manstein, le stratège du III° Reich

Broché: 258 pages
Editeur : PERRIN (1 mai 2013)
Collection : Maîtres de guerre
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040893
ISBN-13 : 978-2262040895
Dimensions : 21,2 x 2,2 x 16,3 cm

 Von Manstein, le stratège du III° Reich

La collection « Maîtres de guerre » prend peu à peu de la consistance. Elle est consacrée, rappelons-le, aux stratèges et aux généraux les plus habiles de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’à ceux qui eurent le plus d’influence sur le déroulement du conflit. Après les volumes consacrés à Hitler, Staline et Patton, il était assez logique qu’un livre fût consacré à celui qui s’est révélé comme « un stratège audacieux et génial tacticien ». C’est von Manstein qui est à l’origine du célèbre coup de faux de mai 1940 qui condamna à mort les armées franco-britanniques aventurées en Belgique. En plus de deux cents pages à l’écriture fluide, agrémentées de photos rarement publiées et de cartes rendant compte des batailles les plus âpres auxquelles a participé von Manstein, le livre de Pierre Servent réussit l’essentiel : donner une vision correcte du meilleur général de la Wehrmacht à qui fut souvent demandé l’impossible. Sur le front de l’Est, alors que l’armée allemande, souvent épuisée, doit parer les coups d’une Armée rouge de plus en plus puissante et sûr de son art, Manstein est considéré comme le pompier de service : celui qui est chargé d’éteindre les incendies. En dépit de sa maestria coutumière, le génie tactique de Manstein dépent bien sûr de la qualité des troupes qu’il a sous la main. Ses victoires de 1942 et 1943, en Crimée et en Ukraine, tiennent à la conjonction de sa vista et de l’excellence de l’Ostwehr (la Wehrmacht sur le front russe). Mais que cette qualité s’effondre à cause des pertes irréparables et aussitôt la superbe de Manstein de s’éroder, ce qui fut le cas à Koursk. Dans son livre paru après la guerre, Victoires perdues, Manstein, comme du reste beaucoup d’officiers supérieurs allemands, attribuera les défaites au supposé amateurisme d’Hitler. C’était, pour une part, se défausser sur un mort et lui faire porter le chapeau pour un ensemble d’inconséquences dont il n’était pas toujours responsable.

Par rapport aux autres livres de la série, le Von Manstein de Pierre Servent se situe un cran en-dessous. Manquant de précision, pas assez fouillé, il ne satisfera pas le connaisseur. Quelques erreurs, par exemple au sujet de la bataille de Koursk, laissent à penser que le livre a été trop rapidement écrit. Enfin, le silence de Manstein face aux crimes de guerre nazis est à peine évoqué. Pour une approche plus complète du personnage, on préférera, chez le même éditeur, la biographie due à la plume affûtée de Benoît Lemay.

 

Pierre Servent, Von Manstein, le stratège du III° Reich, Perrin, 2013, 259 pages, 21 €

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Histoire Recensions

La dynastie rouge

Broché: 446 pages
Editeur : PERRIN (16 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040435
ISBN-13 : 978-2262040437
Dimensions : 21 x 3 x 14,1 cm

 La dynastie rouge

De 1945 à 2014, la Corée du Nord a offert le visage d’une dictature impitoyable, d’un pays fermé vivant dans le plus âpre totalitarisme. Avec la Corée de la dynastie Kim, nous ne sommes pas loin du 1984 d’Orwell : surveillance généralisée, déportation et exécutions des récalcitrants, culte de la personnalité, etc. Dans ce récit très documenté et bien enlevé, Pascal Dayez-Burgeon raconte autant l’histoire d’une dynastie que celle d’un pays. Il est vrai que les deux se confondent. Depuis l’avènement de Kim-il Sung – « le Glorieux Général descendu du ciel » (un des nombreux titres donnés à ce monarque rouge) -, la Corée du Nord se trouve corps et âme sous la coupe de la dynastie des Kim. Car c’est bien d’une dynastie qu’il s’agit, voire une monarchie. D’ailleurs, Kim-il Sung n’a jamais fait mystère de l’admiration qu’il éprouvait pour la monarchie britannique, gage de pérennité. Les oripeaux communistes ne cachent plus cette volonté d’un pouvoir désireux de se perpétuer. « Régie par une dynastie, explique l’auteur (p. 22), la République démocratique populaire de Corée est dorénavant une monarchie. » Dynastie ubuesque, pourrait-on ajouter, tant le culte de la personnalité, poussé au paroxysme, donne l’impression d’une grandiloquente guignolade. Guignolade hélas sanglante, n’ayant le plus souvent à offrir à ses compatriotes que répression et pénurie.

            La dynastie rouge relate d’abord la vie des personnages qui en tiennent les rênes. Corrompus et cruels, intelligents et cyniques, leur ressort ultime est de durer. C’est la raison pour laquelle, isolée sur la scène internationale, la Corée du Nord souffle alternativement le chaud et le froid, les Kim jouant habilement du chantage nucléaire. Si la dynastie tient, malgré les humiliations infligées au peuple et malgré une situation économique malheureuse, c’est aussi parce qu’elle a bénéficié d’une chance sans égale. Tout l’art des Kim a été et sera de jouer avec cette chance. A l’heure d’internet et du téléphone portable, il sera probablement de plus en plus difficile à cette « monarchie spectacle » de durer. Pour les dictateurs, il ne fait pas de doute que le meilleur moyen de conserver le pouvoir, c’est de demeurer implacable.

Un livre passionnant !

 

Pascal Dayez-Burgeon, La dynastie rouge, Perrin, 2014, 446 pages, 24 €