Catégories
Histoire Recensions

1715 : la France et le monde

Broché: 400 pages Editeur : Perrin (13 novembre 2014)
Collection : Synthèses Historiques
Langue : Français
ISBN-10 : 2262033315
ISBN-13 : 978-2262033316
Dimensions : 23,9 x 2,9 x 15,2 cm

 1715 – la France et le monde

Comme l’Américain Charles C. Mann l’a fait en publiant 1491 et 1493, Thierry Sarmant donne l’état du monde en l’année 1715, année de la mort du Roi-Soleil. Cette date est plus qu’un symbole : elle annonce la fin de la prépondérance française et le début de la domination de l’Angleterre dans un monde de plus en plus sous la coupe des puissances européennes. Dans un premier temps, l’auteur dresse l’état de l’Europe, pays par pays, ne retenant que ceux qui comptent : France, Angleterre, Espagne, Saint-Empire, Russie, etc. Mais il n’oublie pas de jeter son regard au-delà des confins européens. Alors que l’Europe sort à peine des longues guerres du règne de Louis XIV, qu’elle s’apprête à entrer dans une période de paix d’une quarantaine d’année – presque un record en ce temps-là ! -, d’autres régions du globe connaissent des activités frénétiques. C’est le cas de l’Inde qui, après avoir connu la domination musulmane du Grand Moghol, s’apprête à revenir à ses fondements hindous. Malgré des réformes, l’Empire ottoman entame son long déclin qui le conduira, en 1918, dans le camp des perdants. La Perse de la dynastie des séfévides connaît un relatif âge d’or malgré des révoltes venues de sa périphérie. Quant à la Chine de l’empereur Kangxi, elle constitue, selon l’auteur, le pays du monde le plus peuplé et le mieux organisé. A propos de la Chine, Thierry Sarmant ne pouvait pas ne pas évoquer la querelle des rites chinois qui vit cet immense pays échapper à l’emprise spirituelle du catholicisme à cause de l’incapacité de la cour romaine à saisir l’enjeu de l’inculturation : impossible d’espérer convertir une civilisation aussi vieille et aussi brillante sans concéder quelque souplesse et des accommodements bien sentis. Quant à la Russie de Pierre le Grand, après avoir vaincu le roi de Suède Charles XII, elle s’apprête, elle aussi, à entrer dans le concert des grandes puissances. Reste, bien sûr, le sort de l’Amérique, proie tentante pour les colonisateurs d’hier et de demain.

D’une grande richesse et aisé à lire, ce 1715 constitue au final le tableau complet d’une époque charnière, comme si les sociétés traditionnelles étaient en train de briller de leurs derniers feux.

 

Thierry Sarmant, 1715, la France et le monde, Perrin, 2014, 461 pages, 24 €

Catégories
Histoire Recensions

La fin des terroirs

Broché: 736 pages
Editeur : Fayard/Pluriel (25 mai 2011)
Collection : Grand Pluriel
Langue : Français
ISBN-10 : 2818501296
ISBN-13 : 978-2818501290
Dimensions : 19,9 x 3,8 x 13,5 cm

  La fin des terroirs

Vivent les Editions Fayard/Pluriel qui ont eu l’excellente idée de rééditer le formidable classique qu’est devenu La fin des terroirs, de l’Américain Eugen Weber, ouvrage qui relate le passage de la France d’autrefois au pays moderne forgé par l’irruption rapide du progrès technique. A la lecture de cet ouvrage passionnant, on imagine sans peine la vitesse phénoménale avec laquelle notre pays est passé d’une civilisation à une autre : c’est seulement en quelques décennies qu’il a quitté la civilisation rurale et paroissiale d’autrefois pour entrer de plain-pied dans la modernité. La révolution industrielle, la Première Guerre mondiale, les progrès matériels et scientifiques sans fin ont bouleversé le mode de vie des Français. Naguère société de paysans et de ruraux, la France est devenue, en à peine un siècle, le premier pays d’Europe en matière d’établissements de grandes surfaces. Pas étonnant qu’une telle marche forcée continue à laisser des traces, la nostalgie des uns côtoyant le désir obsessionnel de consommation des autres. Le rythme stupéfiant de ce changement constitue sans doute la première cause d’atomisation de la nation. Si aujourd’hui les Français peinent à faire société, la raison est sans doute à chercher dans cette brusque rupture avec la culture et la vie d’autrefois.

A travers la trentaine de chapitres qu’égrène l’ouvrage, le lecteur est saisi par l’ampleur du changement. Eugen Weber multiplie les exemples attestant combien fut puissant le passage du monde rural, vivant à un rythme lent et fermé sur lui-même, à la société moderne.  Sait-on qu’avant 1900 beaucoup de Français ne parlent pas français, mais usent couramment du patois ? Que beaucoup de nos routes n’existent pas encore et que le moindre déplacement se fait à pied ou, au mieux, à cheval ? Que religion, coutumes et croyances magiques coexistent dans un monde qui n’a pas idée du désenchantement qui bientôt le frappera ? Ce monde – la France d’autrefois –, en même temps qu’il voit fleurir querelles de clochers et bagarres idéologiques sait se retrouver pour faire société, lors des fêtes de villages ou, comme en hiver, lors des veillées. Grâce à des sources diverses et nombreuses, Eugen Weber est parvenu au mieux à donner du relief à ce monde disparu.

Un travail de recherche et de synthèse extrêmement abouti… et très agréable à lire !

 

Eugen Weber, La fin des terroirs, Pluriel, 2010, 717 pages, 16.20 €

Catégories
Portraits Recensions

Von Manstein, le stratège du III° Reich

Broché: 258 pages
Editeur : PERRIN (1 mai 2013)
Collection : Maîtres de guerre
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040893
ISBN-13 : 978-2262040895
Dimensions : 21,2 x 2,2 x 16,3 cm

 Von Manstein, le stratège du III° Reich

La collection « Maîtres de guerre » prend peu à peu de la consistance. Elle est consacrée, rappelons-le, aux stratèges et aux généraux les plus habiles de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’à ceux qui eurent le plus d’influence sur le déroulement du conflit. Après les volumes consacrés à Hitler, Staline et Patton, il était assez logique qu’un livre fût consacré à celui qui s’est révélé comme « un stratège audacieux et génial tacticien ». C’est von Manstein qui est à l’origine du célèbre coup de faux de mai 1940 qui condamna à mort les armées franco-britanniques aventurées en Belgique. En plus de deux cents pages à l’écriture fluide, agrémentées de photos rarement publiées et de cartes rendant compte des batailles les plus âpres auxquelles a participé von Manstein, le livre de Pierre Servent réussit l’essentiel : donner une vision correcte du meilleur général de la Wehrmacht à qui fut souvent demandé l’impossible. Sur le front de l’Est, alors que l’armée allemande, souvent épuisée, doit parer les coups d’une Armée rouge de plus en plus puissante et sûr de son art, Manstein est considéré comme le pompier de service : celui qui est chargé d’éteindre les incendies. En dépit de sa maestria coutumière, le génie tactique de Manstein dépent bien sûr de la qualité des troupes qu’il a sous la main. Ses victoires de 1942 et 1943, en Crimée et en Ukraine, tiennent à la conjonction de sa vista et de l’excellence de l’Ostwehr (la Wehrmacht sur le front russe). Mais que cette qualité s’effondre à cause des pertes irréparables et aussitôt la superbe de Manstein de s’éroder, ce qui fut le cas à Koursk. Dans son livre paru après la guerre, Victoires perdues, Manstein, comme du reste beaucoup d’officiers supérieurs allemands, attribuera les défaites au supposé amateurisme d’Hitler. C’était, pour une part, se défausser sur un mort et lui faire porter le chapeau pour un ensemble d’inconséquences dont il n’était pas toujours responsable.

Par rapport aux autres livres de la série, le Von Manstein de Pierre Servent se situe un cran en-dessous. Manquant de précision, pas assez fouillé, il ne satisfera pas le connaisseur. Quelques erreurs, par exemple au sujet de la bataille de Koursk, laissent à penser que le livre a été trop rapidement écrit. Enfin, le silence de Manstein face aux crimes de guerre nazis est à peine évoqué. Pour une approche plus complète du personnage, on préférera, chez le même éditeur, la biographie due à la plume affûtée de Benoît Lemay.

 

Pierre Servent, Von Manstein, le stratège du III° Reich, Perrin, 2013, 259 pages, 21 €

Catégories
Histoire Recensions

La dynastie rouge

Broché: 446 pages
Editeur : PERRIN (16 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040435
ISBN-13 : 978-2262040437
Dimensions : 21 x 3 x 14,1 cm

 La dynastie rouge

De 1945 à 2014, la Corée du Nord a offert le visage d’une dictature impitoyable, d’un pays fermé vivant dans le plus âpre totalitarisme. Avec la Corée de la dynastie Kim, nous ne sommes pas loin du 1984 d’Orwell : surveillance généralisée, déportation et exécutions des récalcitrants, culte de la personnalité, etc. Dans ce récit très documenté et bien enlevé, Pascal Dayez-Burgeon raconte autant l’histoire d’une dynastie que celle d’un pays. Il est vrai que les deux se confondent. Depuis l’avènement de Kim-il Sung – « le Glorieux Général descendu du ciel » (un des nombreux titres donnés à ce monarque rouge) -, la Corée du Nord se trouve corps et âme sous la coupe de la dynastie des Kim. Car c’est bien d’une dynastie qu’il s’agit, voire une monarchie. D’ailleurs, Kim-il Sung n’a jamais fait mystère de l’admiration qu’il éprouvait pour la monarchie britannique, gage de pérennité. Les oripeaux communistes ne cachent plus cette volonté d’un pouvoir désireux de se perpétuer. « Régie par une dynastie, explique l’auteur (p. 22), la République démocratique populaire de Corée est dorénavant une monarchie. » Dynastie ubuesque, pourrait-on ajouter, tant le culte de la personnalité, poussé au paroxysme, donne l’impression d’une grandiloquente guignolade. Guignolade hélas sanglante, n’ayant le plus souvent à offrir à ses compatriotes que répression et pénurie.

            La dynastie rouge relate d’abord la vie des personnages qui en tiennent les rênes. Corrompus et cruels, intelligents et cyniques, leur ressort ultime est de durer. C’est la raison pour laquelle, isolée sur la scène internationale, la Corée du Nord souffle alternativement le chaud et le froid, les Kim jouant habilement du chantage nucléaire. Si la dynastie tient, malgré les humiliations infligées au peuple et malgré une situation économique malheureuse, c’est aussi parce qu’elle a bénéficié d’une chance sans égale. Tout l’art des Kim a été et sera de jouer avec cette chance. A l’heure d’internet et du téléphone portable, il sera probablement de plus en plus difficile à cette « monarchie spectacle » de durer. Pour les dictateurs, il ne fait pas de doute que le meilleur moyen de conserver le pouvoir, c’est de demeurer implacable.

Un livre passionnant !

 

Pascal Dayez-Burgeon, La dynastie rouge, Perrin, 2014, 446 pages, 24 €

Catégories
Portraits Recensions

Maurice Druon, le partisan

Broché: 258 pages
Editeur : CERF EDITIONS (2 octobre 2014)
Collection : BIB CERF
Langue : Français
ISBN-10 : 2204102679
ISBN-13 : 978-2204102674
Dimensions : 21,5 x 2,1 x 14 cm

 Maurice Druon, le partisan

De tous ceux qui, depuis quelques décennies, se sont succédé au Ministère de la Culture, Maurice Druon demeure l’un des plus connus. Parfois contestée car taxée de conservatisme, son action s’inscrit durablement dans le paysage culturel français car elle a su reposer sagement sur un classicisme de bon aloi qui, cependant, ne craignait pas la nouveauté. Hervé de Boisbaudry et le P. Philippe Verdin retracent avec verve la vie de l’auteur des Rois maudits, écrivain et serviteur de l’Etat. C’était au temps – les années 1970 – où les ministres de la Culture – les Malraux, Duhamel, Druon – lisaient encore des livres…

Résistant de la première heure, parti tôt rejoindre les rangs gaullistes à Londres, co-auteur avec son oncle Joseph Kessel du Chant des partisans, Maurice Druon se fait remarquer par son amour de la liberté et sa puissance de travail. Après la guerre, il donne libre cours, tel un nouvel Alexandre Dumas, à son imagination épique. En 1955 il publie une œuvre destinée à demeurer et qui, adaptée deux fois à la télévision, sera traduite dans de nombreuses langues : Les rois maudits. Historien, romancier, essayiste, sa force de travail semble, en ces décennies 1950-1960, inassouvie. Gaulliste, observateur de la société française, angoissé devant le désarroi de l’Occident, c’est dans l’idée qu’il se fait de la culture occidentale qu’il trouve des raisons d’espérer : le beau et le vrai ne peuvent mourir.

Comme le soulignent les auteurs, Maurice Druon pouvait paraître outrecuidant et vantard, amoureux des honneurs et infatué de lui-même. Il y a du vrai dans ce jugement. Toutefois, c’est oublier que, parti de peu, il s’était fait lui-même à force d’obstination et de travail. Après la gloire littéraire et son élection à l’Académie française – il en a été longtemps le secrétaire perpétuel -, après la politique, la fin de sa vie fut consacrée à la défense de la langue française. « Il récusait, soulignent les auteurs, l’alignement de la langue sur l’évolution des idées et des mœurs et surtout la certitude que l’usage finit toujours par l’emporter et moderniser de manière naturelle et non autoritaire la langue ».

 

Hervé du Boisbaudry & Philippe Verdin, Maurice Druon. Le partisan, Cerf, 2014, 258 pages, 15 €

Catégories
Recensions

Dictionnaire Victor Hugo

Broché : 483 pages
Editeur : PERRIN (4 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040923
ISBN-13 : 978-2262040925
Dimensions : 21 x 3,1 x 14 cm

 Dictionnaire Victor Hugo

Si Victor Hugo est certainement moins connu et célébré qu’il l’était il y a quelques décennies, il demeure un monument de la littérature française. Jean-Pierre Langellier a réalisé un travail de bénédictin qui consistait à lire ou à relire toute l’œuvre de l’immense poète et romancier qu’était Hugo et d’en tirer le meilleur. Bien sûr, tout Hugo est destiné à rester à la postérité ; il n’empêche que ce même tout ne se vaut pas. C’est donc des milliers de pages qu’a dû lire Jean-Pierre Langellier pour constituer ce dictionnaire. Quand on connaît la prolixité d’Hugo, on imagine sans peine le travail : lire, relire, annoter pour ne conserver que le meilleur. Hugo était un titan, un géant de l’écriture, le père prolifique qui a donné naissance à des dizaines de milliers de pages. Son ambition, sous ce rapport, était haute : « Voltaire, écrit Hugo à un ami, a résumé dans son œuvre le XVIII° siècle, je résumerai le XIX° . » Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, de le voir traiter les sujets les plus divers. S’intéressant à tout, au passé comme au présent, se démenant contre un Second Empire qu’il ne peut supporter, il apparaît ici dans toute sa démesure. Cette boulimie qui lui joue des tours et lui fait commettre des impairs, le rendant insupportable à certains, mais faisant d’Hugo l’un des grands hommes du XIX° siècle. Plus qu’écrivain, il est compositeur, disloquant ici l’alexandrin, dynamitant là les règles de la strophe.

Les entrées choisies par Jean-Pierre Langellier sont classées en deux parts égales : les noms communs suivis des noms propres, le tout par ordre alphabétique. Dans la multitude des sujets qui l’ont passionnée, la religion revient souvent. Si Hugo est anticlérical, il déclare croire en Dieu à de nombreuses reprises. Sa foi n’est pas toujours orthodoxe et pauvre demeure sa théologie de l’incarnation. Reste quand même l’essentiel : « Une foi, écrit-il dans Les Misérables, c’est là pour l’homme le nécessaire. Malheur à qui ne croit rien ! »

 

Jean-Pierre Langellier, Dictionnaire Victor Hugo, Perrin, 2014, 496 pages, 24 €

Catégories
Biographies Recensions

Himmler

Broché : 920 pages
Editeur : Editions Héloïse d’Ormesson (28 octobre 2010)
Langue : Français
ISBN-10 : 2350871371
ISBN-13 : 978-2350871370
Dimensions : 24 x 4,7 x 15,5 cm

 Himmler

Ce gros pavé signé de l’historien allemand Peter Longerich porte un sous-titre qui en dit long : « L’éclosion quotidienne d’un monstre ordinaire ». Monstre ordinaire ! Nous pourrions plutôt dire « extraordinaire », Himmler étant sans conteste l’un des plus grands assassins du siècle dernier, ayant à son actif direct le meurtre rationnellement programmé de plusieurs millions de juifs européens, sans compter les tsiganes, homosexuels, opposants politiques, résistants… Chef tout-puissant de la Gestapo et de la SS, Himmler portait un titre unique, celui de Reichführer, en tout état de cause successeur putatif d’Adolf Hitler.

L’ouvrage de Peter Longerich est moins un portrait psychologique d’Himmler que la description de la mécanique qui allait noyer dans le sang une partie notable de l’Europe. On peut regretter qu’une aussi copieuse biographie ne se penche pas suffisamment sur l’évolution personnelle d’un homme falot en criminel omnipotent. Cette réserve faite, comment ne pas applaudir le monumental travail réalisé par l’auteur ?

Au fond, la vie d’Himmler ressemble à la plupart de celle des chefs nazis : ce sont les circonstances qui, pour l’essentiel, expliquent la venue au pouvoir de ces hommes généralement médiocres. Ce sont également les circonstances qui poussent Himmler à la mégalomanie et à ses délires raciaux. Comment lui, catholique pieux à la fin de l’adolescence, glissa peu à peu dans des délires racistes ? Bien plus que son mentor, c’est Himmler qui alla le plus loin dans la volonté d’édifier un homme nouveau, en s’appuyant sur l’antique mythologie nordique et la folle nécessité de la pureté du sang. C’est à Himmler et à ses affidés qu’on doit l’idée folle, inventée peu à peu, de créer une race de seigneurs soumettant à l’esclavage les peuples d’Europe. « Ce qui se dessine en 1942, c’est une utopie d’une brutalité, d’une inhumanité inégalées, où tout est dorénavant possible au nom du pouvoir. Une utopie qui porte la marque très personnelle d’Himmler… » (p. 555).

Agrémentée de quelques photos rarement publiées, enrichie de notes d’une exceptionnelle densité, la biographie écrite par P. Longerich porte la marque des grands livres. Sur ce sujet, il sera dorénavant très difficile d’aller aussi loin que lui.

 

Peter Longerich, Himmler, Editions Héloïse d’Ormesson, 2010, 917 pages, 30 € (disponible en Poche, 12€)

Catégories
Histoire Recensions

1916

Broché : 376 pages
Editeur : PERRIN (23 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262030367
ISBN-13 : 978-2262030360
Dimensions : 21 x 2,9 x 14 cm

 1916

La plume vive et aiguisée de Jean-Yves Le Naour donne l’occasion de revisiter la Première Guerre Mondiale année par année. Ce 1916 est bien sûr le troisième volume d’une série qui, d’évidence, devrait en comporter cinq, à moins que l’historien ne décide de porter plus loin son regard, c’est-à-dire sur l’année 1919, celle des traités de paix, époque d’une importance capitale pour la compréhension du XX° siècle.

Facile et plaisant à lire, 1916 – L’enfer relate l’essentiel d’une année qui marque un certain statu quo, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Jean-Yves Le Naour s’intéresse peu à la périphérie ; tout juste a-t-il quelques mots un peu dédaigneux à l’égard de l’épopée de Lawrence d’Arabie, lequel commence alors à rassembler une partie des tribus arabes pour chasser l’envahisseur turc. L’essentiel se passe à l’Ouest, l’année 1916 étant celle de Verdun et de la Somme, deux batailles gigantesques, une attaque allemande et la seconde alliée, qui n’auront d’autre résultat que de faire tuer un nombre considérable de soldats. En effet, malgré les pilonnages d’artillerie, il suffit de quelques hommes autour d’une mitrailleuse pour stopper les offensives les mieux préparées. Comme le rappellent les militaires les plus lucides : le feu tue. C’est la raison pour laquelle un Pétain se refuse à ces offensives aussi coûteuses qu’inutiles. Seule l’arrivée des Américains et des chars permettra d’opérer la guerre de mouvement, seule possibilité d’en finir avec l’enfer des tranchées.

Je l’ai dit, cette synthèse se lit plaisamment. Pourtant, elle ne réussit pas à éviter certains écueils. Pourquoi, par exemple, aussi peu de place à la bataille du Jutland, de loin la plus grande confrontation navale de la guerre ? Pourquoi peu de choses sur l’enfer, dans ce qu’il y a de plus concret, de plus terre à terre, vécu par le simple soldat, dans l’univers sordide et impitoyable des tranchées ? Il nous semble que l’auteur accorde trop d’importance aux manœuvres des coulisses, celles qui opposent entre eux des généraux jaloux et divisent les politiciens. S’il est vrai que l’Union Sacrée ne fut pas un long fleuve tranquille, il n’en reste pas moins qu’elle réussit à cimenter une nation qui, peu de temps avant 1914, ressemblait plus à un agrégat qu’à un corps uni.


Jean-Yves Le Naour, 1916. L’enfer, Perrin, 2014, 374 pages, 23 €

Catégories
Recensions Religion

A quoi sert un chrétien ?

Broché : 273 pages
Editeur : Cerf (30 octobre 2014)
Collection : EPIPHANIE
Langue : Français
ISBN-10 : 2204102954
ISBN-13 : 978-2204102957
Dimensions : 21 x 2,2 x 13,5 cm

 A quoi sert un chrétien ?

Il y avait longtemps qu’un ouvrage comme celui-ci n’avait pas vu le jour, je veux dire un livre s’interrogeant sur la santé actuelle de l’Eglise catholique et les réponses qu’elle peut apporter à son déclin en Occident. Jean-Guilhem Xerri a su relever le défi, mettant en avant ce que révélait de positif la crise actuelle et en donnant des raisons d’espérer.

Dans les premiers chapitres, faisant l’état des lieux de l’Eglise en Occident, il ne mâche pas ses mots, relevant ici les attaques dont la foi chrétienne est régulièrement l’objet, déplorant là le fait que de nombreux catholiques ne sont plus véritablement chrétiens. L’exculturation du catholicisme, relevé naguère par Danièle Hervieu-Léger, n’est pas une vue de l’esprit : le programme est en partie réalisé car, explique l’auteur, « plus la modernité se développe, plus la religion se rétracte » (p. 39). Cela dit, c’est à la fin d’un christianisme que nous assistons, non à la fin du christianisme. Un christianisme de compagnonnage peut se substituer à un christianisme d’autorité. Pour ce faire, Jean-Guilhem Xerri pointe trois préalables : ne pas se laisser absorber par la peur du déclin, considérer que l’effondrement de la culture et de la morale chrétiennes oblige à se proposer le cœur de la Révélation – la mort et la résurrection du Christ – et comprendre que la transmission peut se faire autrement que dans le seul rapport à la verticalité. Une vraie vie chrétienne doit reposer sur ces deux piliers que sont une vie intérieure de qualité, en relation étroite avec le Christ, et un esprit de charité qui donne envie. Donner envie ! Dans une époque ravagée par la perte de sens, n’est-ce pas ce à quoi tout chrétien est appelé ? Cette envie, c’est dans une alliance permanente entre prière et charité qu’il faut la chercher.

Ne nous leurrons pas : A quoi sert un chrétien ? n’est pas un livre de recettes. Il appelle simplement à se mettre dans des dispositions favorables, pour recevoir la Parole et comprendre le cœur de la foi, pour accueillir l’autre dans une relation de service et de fraternité. Cela n’a rien à voir avec un quelconque christianisme triomphant ou une volonté de revanche de la sécularisation.

 

Jean-Guilhem Xerri, A quoi sert un chrétien ?, Cerf, 2014, 274 pages, 20 €

Catégories
Histoire Recensions

Considérations sur Hitler

Broché: 214 pages
Editeur : PERRIN (2 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262043817
ISBN-13: 978-2262043810
Dimensions : 21 x 1,8 x 14 cm

 Considérations sur Hitler

Les Editions Perrin ont eu l’excellente idée de publier ces Considérations sur Hitler, éditées la première fois en Allemagne en 1978. Militant antinazi, Sebastian Haffner a quitté le III° Reich pour se réfugier en Grande-Bretagne. C’est bien plus tard qu’il s’est décidé à écrire ces Considérations, un livre assez étrange en vérité car très éloigné des codes de la biographie classique. C’est un peu comme si l’auteur réfléchissait devant le lecteur à voix haute. Cela suppose de sa part une mise à distance appropriée ; par exemple, aucun désir de dresser un portrait psychologique du dictateur, labeur que l’auteur laisse aux historiens.

En sept chapitres (Vie – Réalisations – Succès – Erreurs – Fautes – Crimes – Trahison) écrits avec une grande liberté de ton, S. Haffner évoque les hauts et les bas, les réussites, les forfaits et les horreurs du régime enfanté par celui qui, au sortir de l’adolescence, était davantage promis à la carrière d’un médiocre peintre qu’à celle de dictateur. Haffner montre avec conviction les talents d’Hitler. On aurait tort de faire de ce dernier un médiocre si l’on considère que, parti de rien, il devient en quelques années le maître omnipotent du plus puissant pays d’Europe. Beaucoup ont sous-estimé Hitler et s’en sont mordus les doigts. Une fois au pouvoir, tout a semblé lui réussir. Comment ne pas être impressionné par le redressement économique qui, grâce à ses intuitions, parce qu’il savait s’entourer de gens compétents, a fait du III° Reich le géant de l’Europe ? Le problème, insiste Haffner, c’est qu’Hitler ne pouvait rester dans ce statu quo. Deux questions hantaient le personnage, deux questions qui devenaient chez lui de véritables obsessions : l’extermination des juifs et la domination de l’Est de l’Europe, la Russie en particulier. Ces points de fixation ont entraîné la chute de l’Allemagne. Pire, soutient Haffner, voyant lui échapper la domination sur l’Europe dès la fin 1942, Hitler se concentra sur le second but : la liquidation du peuple juif.

Au fond, insiste l’auteur dans sa conclusion – tel est l’objet du chapitre intitulé « Trahison » -, Hitler a eu du mépris pour le peuple allemand qu’il a tiré vers le gouffre. Il a été déçu par un peuple qui, à ses yeux, n’était pas prêt aux sacrifices colossaux que sa pensée mégalomaniaque imposait. Au cours des dix dernières années de sa vie, Hitler a méprisé ses compatriotes, « n’en recherchant plus le contact, devenant de plus en plus indifférent à leur sort et finalement retournant même contre eux sa volonté destructrice » (p.187). Une étude originale et éclairante.

 

Sebastian Haffner, Considérations sur Hitler, Perrin, 2014, 214 pages, 17.90 €