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Mémoires Recensions

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

Broché : 272 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (27 août 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10 : 2226256881
ISBN-13 : 978-2226256881
Dimensions : 22,5 x 2 x 14,5 cm

 Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

A l’âge de 84 ans, il n’était pas étonnant que Paul Veyne, l’un de nos plus grands spécialistes de l’Antiquité romaine, songe à livrer ses mémoires. D’emblée, une petite déception. On pouvait en effet s’attendre à un livre plus exhaustif et plus bavard de la part d’un de nos plus grands historiens, qu’il racontât par exemple la genèse et le travail qui ont accompagné ses principales œuvres. Or, Paul Veyne a choisi de raconter l’homme qu’il était et qu’il demeure ; il a refusé de se révéler en historien prenant la pose à l’ombre d’une œuvre considérable tant par son ampleur que par son originalité (N’est-il pas l’un des premiers à avoir dépoussiérer l’image des gladiateurs, « des hommes libres, passionnés par leur métier et la violence » – page 70). La trame chronologique choisie par notre auteur s’efface peu à peu au profit de ses appétences et de ce qu’il juge ou jugeait « intéressant » : l’Italie, dont il est tombé amoureux fou du catalogue artistique (voir son Musée imaginaire paru chez Albin Michel), l’alpinisme, la Rome antique… Il s’attarde plus sur son adhésion au Parti communiste qu’à sa période de formation à Normale Sup. En fin de compte, Paul Veyne a été militant au PCF comme il était dans la vie : une sorte de grand adolescent voyant généralement les choses à distance, peu convaincu et pas du tout servile… La fin du livre se clôt sur les drames qui l’ont touché de près, comme le suicide de son fils. Mais, peut-être inspiré par les philosophes antiques, il évite regrets et remords pour mieux se souvenir des moments heureux.

La religion enfin. En disant son regret de ne pas être croyant, Paul Veyne fait cependant montre d’un certain sens religieux. Il dit par exemple son affection pour sainte Thérèse d’Avila, son attachement à l’Evangile de Jean, mais refuse d’adhérer au dogme et à l’éthique catholiques. Le rebutent divers articles du Catéchisme de l’Eglise catholique. Il y a du Lucien Jerphagnon chez Paul Veyne : l’attrait pour la philosophie antique païenne va de pair avec une inclination certaine pour le message du Christ et à une attention convaincue à l’égard de la religion chrétienne, vue comme une « ensorceleuse que n’égale aucune autre religion au monde ».

 

Paul Veyne, Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, Albin Michel, 2014, 260 pages, 19.50 €

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Actualités Recensions

Comment sommes-nous devenus si cons ?

Broché : 189 pages
Editeur : FIRST (11 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2754066896
ISBN-13 : 978-2754066891
Dimensions : 21 x 1,5 x 14 cm

 Comment sommes-nous devenus si cons ?

Abasourdi devant toutes les idioties déversées par la sphère médiatique, frappé devant l’inconsistance du savoir délivré par l’Ecole, le linguiste Alain Bentolila sonne la charge contre ce qu’il appelle le délitement de l’intelligence collective. Lorsque les médias accordent, sur le même sujet, plus de poids aux propos d’un joueur de football qu’à ceux d’un professeur au Collège de France, alors oui, il faut se faire du souci devant cette perte de la raison. D’emblée l’auteur pointe un danger majeur : l’extinction du goût de la découverte, de la volonté de questionnement, du désir de comprendre et d’apprendre : « Une telle perspective me terrifie, car elle marquerait la rupture avec l’aventure des hommes, engagés depuis toujours dans une quête obstinée du savoir » (p. 9). Alain Bentolila pointe d’un doigt accusateur la télévision, arme d’abrutissement massive, Internet, qui accorde plus d’importance à la forme qu’au fond, les politiques, qui n’ont de cesse de suivre les modes et qui imaginent que doter les élèves d’outils technologiques à haute dose remplacera avantageusement la mémorisation et l’intelligence critique. Comme vient de le rappeler fort justement le philosophe Michel Onfray, l’école est d’abord là pour apprendre à lire, écrire, compter et penser. Or, ces missions fondamentales sont en passe d’être liquidées au profit d’une modernité qui pousse à papillonner, à passer d’un sujet à l’autre, à ne jamais approfondir un objet d’études. Autre cible d’Alain Bentolila, ce qu’il nomme les « années d’errance éducative », à savoir ces réformes décrétées d’en-haut qui s’empilent sans qu’une véritable ligne directrice apparaisse, une recherche pédagogique aventureuse qui fait des enfants des cobayes et dont on voit chaque jour les effets destructeurs. Que penser également d’une politique qui vise à substituer pour partie l’école aux familles ? Devant l’impéritie éducative de beaucoup de famille, on a voulu donner à l’Education nationale un rôle qui la dépasse. Or, rappelle l’auteur, c’est aux familles d’éduquer et à l’école d’instruire. La défaite de la pensée et de l’esprit critique dont on constate tous les jours les effets pervers peuvent engendrer des risques gravissimes : en faisant de l’individu un usager et un consommateur à moitié lobotomisé, que deviendra la démocratie ? Ce cri de colère d’Alain Bentolila contre l’abêtissement généralisé, il devient urgent de l’entendre.

Alain Bentolila, Comment sommes-nous devenus si cons ?, First Editions, 2014, 190 pages, 14.95 €

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Histoire Recensions

Les derniers jours de Louis XIV

Broché : 308 pages
Editeur : PERRIN (18 septembre 2014)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2262043353
ISBN-13 : 978-2262043353
Dimensions : 20,9 x 2,7 x 14 cm

 Les derniers jours de Louis XIV

Grand roi, le Roi-Soleil fut à l’approche de la mort tel qu’il a été dans la vie : soucieux de sa dignité, s’élevant au-dessus des mesquineries du quotidien pour donner à sa fin toute la majesté souhaitée. Les derniers jours de Louis XIV sont ceux d’un grand chrétien. Certes, le roi avait la foi du charbonnier mais, après tout, cette foi, dont certains se gaussent, a ceci de particulier qu’elle est aussi bien l’apanage des puissants que des humbles. Louis XIV n’était pas un métaphysicien : il croyait comme beaucoup croyaient au XVII° siècle. Dieu était, voilà tout Humain, on se devait de l’honorer et de lui rendre grâce.

En de courts chapitres, Alexandre Maral raconte le dernier conseil, la dernière promenade, la dernière messe, le dernier adieu du roi… jusqu’aux funérailles. Chaque chapitre est l’occasion d’admirer la constance et le courage de Louis XIV face à la mort. Accablé par de nombreux deuils dans les dernières années de sa vie, le roi puise sa force dans sa foi. Devant le spectacle de son corps en putréfaction (la gangrène), c’est lui qui console familiers et courtisans. Alors, oui, même si l’on peut en vouloir au Roi-Soleil d’avoir trop aimé les bâtiments et la guerre, reproches que lui-même s’adressa, comment ne pas être admiratif devant une mort aussi digne ? Un roi aussi grand devait être grand dans la mort. Il laissait un pays fatigué, mais sublimé par une geste glorieuse, pour une part fondatrice de l’Etat moderne : « Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours », éclatante et élégante manière de quitter le monde : le roi est mort mais l’Etat lui survit – « Le roi est mort. Vive le roi ! » Frappante également est cette sorte de publicité qui est donnée à ces derniers jours. Alors qu’aujourd’hui tout est fait pour dissimuler la maladie grave d’un chef de l’Etat, il s’agit ici, avec les moyens dont on dispose, de ne rien cacher. Le roi doit être dans ses derniers jours tel qu’il a été dans la vie : on ne cache rien de celui qui, par la naissance, s’élevait au-dessus du commun des mortels.

Si l’on peut regretter un certain manque de souffle dans le récit, il faut savoir gré à l’auteur de s’emparer d’un sujet plus actuel qu’il n’y paraît.

 

Alexandre Maral, Les derniers jours de Louis XIV, Perrin, 2014, 308 pages, 22.50 €

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Recensions Témoignages

Des nouvelles d’Agafia, ermite dans la Taïga

Broché : 220 pages
Editeur : Actes Sud Editions (31 août 2013)
Collection : Babel
Langue : Français
ISBN-10 : 2330022794
ISBN-13 : 978-2330022792
Dimensions : 17,6 x 1,5 x 11,1 cm

 Des nouvelles d’Agafia

Cet ouvrage fait suite au superbe récit, signé Vassili Peskov, paru en 1992 chez Actes Sud sous le titre Ermites dans la taïga. On se souvient de cette histoire d’une famille de vieux-croyants orthodoxes ayant fui le monde à la suite de la modernisation liturgique adoptée par le patriarche Tikhon au milieu du XVIII° siècle. Comme beaucoup d’autres croyants, ils – la famille Lykov – s’étaient encore un peu plus éloignés de la civilisation lorsque le communisme a pris pied en Russie : c’est qu’il ne faisait pas bon pratiquer une religion à l’époque des pères fondateurs de la patrie du communisme. Les Likov, parents et enfants, s’étaient réfugiés dans une vallée perdue de l’immensité sibérienne, vivant totalement en autarcie, n’ayant aucun lien avec ce qu’ils appelaient – et appellent encore – le « siècle », incarnation du mal car éloignant le croyant de l’essentiel, à savoir une relation intime et privilégiée avec Dieu. C’est en 1978, tout à fait par hasard, qu’un groupe de géologues, abasourdis, découvre l’existence de ces gens totalement coupés du monde, vivant des produits de la pêche, de la chasse, cueillette et petite agriculture. A l’été bref et intensif – quatre mois, guère plus, pour constituer les réserves de bois et de nourriture – succède le rude hiver sibérien, temps de latence qui permet au vieux-croyant de lire des livres de prières usés jusqu’à la moelle à la lueur d’une bougie. Coupés de tout, ignorant la marche du monde durant des décennies, la famille Lykov s’est forgée une philosophie où, face au dénuement, la moindre récolte ou la petite chasse fructueuses devient une bénédiction.

Salarié d’un journal soviétique, Vassili Peskov, dès 1992, s’est passionné pour le sort des Lykov. Lui, l’athée impénitent, s’est pris d’affection pour Agafia, la rescapée d’une famille tôt endeuillée. Chaque été, il s’est rendu en hélicoptère au domaine d’Agafia, mentionnant leur commune relation dans les courts chapitres qui constituent le présent livre. Racontée avec tendresse, cette histoire d’amitié, loin du barnum médiatique et de la surconsommation, est un vrai ballon d’oxygène. Un récit touchant.

 

Vassili Peskov, Des nouvelles d’Agafia, Actes Sud, 2009, 219 pages, 7,70€

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Histoire Recensions

Histoire de la guerre

Broché : 628 pages
Editeur : PERRIN (28 août 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 226203544X
ISBN-13 : 978-2262035440
Dimensions : 21,1 x 4 x 14,3 cm

 Histoire de la guerre

Décédé il y a deux ans, l’historien britannique John Keegan s’est illustré à la fin du siècle dernier comme l’un des meilleurs spécialistes mondiaux d’histoire militaire. On se souvient de son Anatomie de la bataille et de sa façon très originale de considérer l’affrontement d’une journée entre deux armées : une vue au raz du sol, celle du combattant noyé dans la masse, aveuglé par la fumée, assommé par un bruit assourdissant. Avec John Keegan, la narration des batailles d’Azincourt (1415), de Waterloo (1815) et de la Somme (1916) prend un aspect saisissant et particulièrement concret. Avec l’Histoire de la guerre, Keegan répète en grand la leçon tirée de l’Anatomie de la bataille. Une bataille, ce sont des hommes qui souffrent, éprouvent des sentiments confus et parfois contradictoires dans un climat de violence poussé au paroxysme. Si une certaine historiographie – par exemple celle liée à l’Ecole des Annales – a eu tendance à minimiser le rôle de la guerre dans l’histoire, Keegan replace cette dernière au centre. Comme le pensait Clauzewitz et d’autres après lui (Raymond Aron), la guerre accouche de l’histoire ; la meilleure preuve en est que la plupart des grandes civilisations sont nées de la guerre. Mais plutôt que de se livrer à une histoire chronologique, Keegan a choisi de faire reposer son récit sur les principales forces sur lesquelles repose l’art de la guerre : les fortifications, la logistique, l’invention du fer, l’utilisation de la poudre… Une connaissance encyclopédique du sujet était nécessaire pour aboutir à une pareille maîtrise. Une telle histoire ne donne lieu à aucune généralisation, la guerre s’inscrivant dans l’histoire humaine au même titre que l’économie ou les arts. Une conclusion s’impose : la guerre est liée à la culture, elle révèle les grandes tendances culturelles d’un peuple ou d’une civilisation, ce qu’a par exemple bien montré Victor D. Hanson avec son remarquable Carnage et culture. A noter que, contrairement à beaucoup d’historiens militaires anglais, John Keegan propose une histoire très universelle, pas du tout « britanno-centrée ». Preuve en sont les exemples qu’il tire de l’histoire des Hittites ou des Maoris… Rien n’est plus universel que la guerre.

John Keegan, Histoire de la guerre, Perrin, 2014, 628 pages, 26 €

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Histoire Recensions

Lettres de la Wehrmacht

Broché: 340 pages
Editeur : PERRIN (18 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262043396
ISBN-13: 978-2262043391
Dimensions : 21,1 x 2,7 x 14 cm

 Lettres de la Wehrmacht

Le soldat en guerre écrit beaucoup. Ce fut le cas des soldats allemands durant la Seconde Guerre Mondiale. Il n’est pas inutile ici de rappeler que, dans ce domaine, les Allemands en ont remontré aux autres nations belligérantes. En effet, malgré les défaites et la débâcle des derniers mois de la guerre, le service postal s’est toujours poursuivi : il en allait du maintien moral du soldat, élément capital dans tout conflit.

C’est à Berlin qu’une jeune chercheuse française, Marie Moutier, a exhumé, parmi 16 000 lettres, la centaine de lettres présentée dans ce volume.

Contrairement aux Lettres de Stalingrad écrites par les condamnés à mort qu’étaient les landser pris au piège par l’Armée Rouge – et qui ne peuvent se lire sans une certaine émotion -, celles qui nous sont données à lire ici reflètent les situations les plus diverses. Beaucoup, par exemple, sont écrites par des soldats heureux d’être, dans les premières années du conflit, membres d’une armée ayant acquis une telle puissance. Présentées chronologiquement, des années heureuses (1939-1942) à l’effondrement final (1943-1945), ces lettres racontent la plupart des situations dans lesquelles se trouvait le soldat allemand : au repos à Paris, dans l’attente d’une offensive russe, à l’arrivée en Cyrénaïque avec Rommel, etc. Une fois l’ouvrage refermé, deux impressions dominent. D’une part, comme l’écrit l’historien britannique Timothy Snyder en préface, « ce recueil nous incite à penser cette guerre en des termes plus universels qu’il ne nous plairait ». De fait, le soldat allemand, qu’il soit vainqueur ou défait, ressemble à la plupart des soldats des autres nations engagées dans ce titanesque conflit. Mais, sans fard, cet ouvrage montre également la morgue et l’orgueil de soldats plus souvent contaminés qu’on ne le pense par le virus nazi. Les lettres écrites dans la France de juin et juillet 1940 sont l’occasion pour le feldgrau de traiter les Français de pleutres, membres d’une nation dégénérée. Polonais et Soviétiques sont traités de sous-hommes, peuples bons pour l’esclavage. Beaucoup de lettres donnent à penser que, loin de se désolidariser des crimes commis par la SS ou la Gestapo, beaucoup d’anonymes ne voyaient aucun mal à traiter les peuples conquis de l’Est par le fer et le feu. Ces Lettres de la Wehrmacht éclairent le conflit sous un angle original.

 

Présentées par Marie Moutier, Lettres de la Wehrmacht, Perrin, 2014, 338 pages, 22 €

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Actualités Recensions

Le Nord c’est l’Est

Broché: 224 pages
Editeur : PHEBUS EDITIONS (14 février 2013)
Collection : Littérature française
Langue : Français
ISBN-10: 275290875X
ISBN-13: 978-2752908759
Dimensions : 14 x 1,5 x 20,5 cm

  Le Nord c’est l’Est

Si vous aimez les espaces confinés, le bruit incessant, les foules compactes, l’invasion technologique, fuyez ce livre. Si, en revanche, les espaces vides vous fascinent, si vous êtes porté à la contemplation de la nature – véritable Jean-Henri Fabre des temps modernes !- et si vous préférez les températures du Septentrion aux canicules tropicales, n’hésitez pas car vous êtes en possession d’une petite pépite.

Ayant passé des années à sillonner l’Extrême-Orient russe et une grande partie de la Sibérie, Cédric Gras livre un carnet de voyages passionnant. D’abord un mot sur le titre, qui a de quoi surprendre. En effet, par un caprice de la géographie aisément explicable, plus le voyageur gagne l’Est de la Russie, plus il trouve des températures n’ayant rien à envier à celles de l’Extrême-Nord. Les coefficients de nordicité les plus élevés se trouvent tout au bout de la Sibérie, pas forcément dans les régions les plus au nord. En choisissant la région de la Kolyma comme lieu de détention des déportés du Goulag, le régime communiste ne s’était pas trompé. Comment faire pour s’évader d’un camp situé au milieu de nulle part, quand la température est de – 30 à – 40° C l’hiver et le bourg le plus proche – c’est-à-dire quelques baraques misérables – à 100 ou 200 kilomètres ? Les paysages et les villages visités par Cédric Gras n’ont pas changé, ni depuis la colonisation entreprise au temps des tsars ni durant l’époque maximale d’exploitation du Goulag. Rien, même pas la beauté de la nature, ne saurait retenir des populations éloignées de tout, vivant chichement, se battant huit mois sur douze contre les éléments. Les jeunes s’en vont sur le continent, c’est-à-dire en Russie occidentale, laissant là les vieux et ceux qui ne veulent plus rien avoir affaire avec la société. Cédric Gras raconte avec humanité l’existence misérable de populations désespérées (ravages de l’alcoolisme) et sans avenir. Fascinante Sibérie ! Des hommes perdus dans un vide géographique, les derniers résistants d’un monde qui tire sa révérence. Des hommes qui, hélas, n’ont rien à faire avec notre univers rationaliste et technicien, créateur d’un homme empiffré de divertissement et de consommation. Un magnifique récit. « Si c’est une île ici, c’est une île de bonté, protégée des vices de l’égoïsme contemporain par les immensités qui les contraignent à la solidarité ». (p. 53)

 

Cédric Gras, Le Nord c’est l’Est, Phébus, 2013, 214 pages, 18 €

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Recensions Témoignages

Une affaire de famille

Broché: 136 pages
Editeur : Cerf (10 avril 2014)
Collection : HISTOIRE A VIF
Langue : Français
ISBN-10: 2204102091
ISBN-13: 978-2204102094
Dimensions : 21 x 1 x 13,5 cm

 Une affaire de famille

Qui des relations entre juifs et chrétiens au XX° siècle ? Le dernier livre d’Alexandre Adler s’y intéresse de près.

 

            Nous avons eu l’occasion de souligner dans nos colonnes tout le bien qu’il fallait penser du dernier livre d’Alexandre Adler. Intellectuel juif, spécialistes des relations internationales, il y montre un talent qu’on ne lui connaissait pas. Non content de montrer beaucoup d’empathie à l’égard de l’Eglise, il démontre avec brio que les ressorts des institutions chrétiennes ne lui sont pas inconnus. Par exemple la rencontre qui, en 1964, réunit le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras n’a pour lui aucun secret. De même il se meut avec aisance dans les arcanes de l’Eglise anglicane, distinguant bien ce qui sépare la High Church (Haute Eglise) de la Low Church (Basse Eglise). Sa proximité de filiation avec le monde juif ne l’empêche donc pas de connaître à la perfection des religions éloignées de son appartenance confessionnelle. La sympathie qu’il éprouve à l’égard du pape Jean XXIII l’égare-t-elle lorsque, contrairement à certains historiens, il semble exonérer ses prédécesseurs de toute inclination envers les totalitarismes bruns. Alexandre Adler juge par exemple « insoutenable » la thèse de Rolf Hochhuth reprochant au pape Pie XII ses silences. Pour lui, « Pacelli devenu Pie XII est un adversaire aussi déterminé de Hitler que l’était Pie XI » (p. 81). Il va même plus loin dans la défense de Pie XII : « Pie XI ne mérite pas tant d’éloges et Pie XII ne mérite pas tant d’opprobre. » Il entrevoit même un grand dessein chez Pie XII, qui n’est rien moins que le renversement du nazisme « au profit d’une dictature conservatrice » (p. 85).

Tout entier à la louange du « bon pape Jean » – « Je n’avais que huit ans lorsque Angelo Roncalli, le futur Jean XXIII, entra dans ma vie et que j’appris à le connaître selon un mouvement d’affection qui ne devait plus se démentir » (p. 9) – l’auteur évoque la figure de celui qui va être porté ce week-end sur les autels. Non content de mettre en avant « la sainteté de l’homme, avérée, indiscutable », Alexandre Adler évoque sa théologie et sa foi, acte d’abandon et non de volonté. Cette précision permet de souligner, s’il en était encore besoin, la remarquable connaissance de l’auteur pour la « sœur cadette » qu’est l’Eglise catholique.

 

Alexandre Adler, Une affaire de famille, Le Cerf, 2014, 144 pages, 15 €

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Biographies Recensions

Lawrence d’Arabie

Broché: 492 pages
Editeur : PERRIN (27 mars 2014)
Collection : Biographies
Langue : Français
ISBN-10: 2262040486
ISBN-13: 978-2262040482
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,8 cm

 Lawrence d’Arabie

Il est assez normal qu’un personnage de légende comme Thomas Lawrence – alias Lawrence d’Arabie – soit régulièrement un objet d’étude. Celle que lui consacre Christian Destremau vaut la peine qu’on s’y arrête car elle constitue, à coup sûr, une référence en matière de biographie.

Ce qui frappe à travers la vie de ce paladin des temps modernes, c’est moins ses hauts faits d’armes sur un front somme toute secondaire qu’une vie pleine et vite consumée. Ce qui surprend, c’est moins l’aide qu’apporte Lawrence aux tribus arabes désireuses de s’affranchir de l’occupation turque que sa personnalité hors normes. Voyageur impénitent attiré par l’Orient et la civilisation arabe, c’est presque par hasard que Lawrence se retrouve à la tête de la rébellion arabe. Alors qu’il n’a pas encore trente ans, il se lance à corps perdu dans cette lutte colossale. Guerre aux effectifs modestes et qui n’aura qu’un impact limité sur le cours général du conflit, mais conflit titanesque pour ce jeune Irlandais devant, au milieu de guerriers arabes tantôt inconstants tantôt irascibles, faire preuve d’un réel talent de diplomate. C’est là, au milieu de guerriers pour qui il éprouve de l’admiration mais vis-à-vis desquels il conserve une certaine distance, que se forge la légende du grand Lawrence d’Arabie. Christian Destremau ne cache pas les coups de blues de Lawrence, la besogne à toujours recommencer, la difficulté d’entretenir des relations avec des bédouins jaloux et rancuniers, la chaleur accablante du désert, les voyages à dos de dromadaire… Et puis, comme tous les grands hommes, Lawrence a ses faiblesses et ses petitesses, mais elles n’affectent en rien l’admiration que le lecteur peut avoir à l’égard du météore qu’il fut.

Lawrence a mal vécu la fin de la guerre, estimant les Arabes trahis par les traités de paix des années 1919 et 1920. Il tente de sauver les meubles, de sauvegarder la libre fierté de ceux qui ont répondu à son appel. Après l’écriture de ses monumentales mémoires, Les sept piliers de la sagesse, un des sommets de la littérature mondiale, Lawrence s’engage dans la RAF. Souvent déprimé, il voulait vivre dans l’anonymat et échapper aux feux de la rampe.

L’auteur de ce beau Lawrence ne cache rien de la part d’ombre qui habite la vie d’un homme qui n’a pas eu toujours les mains propres. Ce souci d’honnêteté n’entrave en rien le sentiment d’admiration que l’on éprouve à l’égard d’une trajectoire aussi brillante que fulgurante.

 

Christian Destremau, Lawrence d’Arabie, Perrin, 2014, 492 pages, 24.50 €

 

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Biographies Recensions

Montgomery, l’artiste des batailles

Broché: 395 pages
Editeur : PERRIN (7 mai 2014)
Collection : Maîtres de Guerre
Langue : Français
ISBN-10: 2262040842
ISBN-13: 978-2262040840
Dimensions du produit: 21 x 15,8 x 3,4 cm

 Montgomery, l’artiste des batailles

Une très belle collection vient de voir le jour chez Perrin. Evidemment, pour l’apprécier à sa juste valeur, mieux vaut être entiché de l’histoire militaire. Après des volumes consacrés à Hitler, Staline, Patton et Von Manstein, la collection « Les maîtres de guerre » a confié à Antoine Capet, professeur de civilisation britannique à l’université de Rouen, la tâche de rédiger un ouvrage sur Montgomery, le célèbre maréchal britannique qui battit Rommel en Afrique du Nord et contribua à délivrer l’Europe de l’Ouest des griffes nazies. Autant dire que l’auteur réussit pleinement son pari. Il y est aidé par une superbe mise en page accompagnée de photos souvent inédites. Le texte d’Antoine Capet, toujours très vivant, introduit le lecteur au cœur de la stratégie mise en place pour mettre l’armée allemande à genou. L’auteur réussit à éviter l’écueil de la technicité pour mieux mettre en avant le talent et les fautes du maréchal britannique. Au rang de ses talents, la maîtrise de l’événement, la minutie, le souci des pertes humaines et la patience : « Il prépare minutieusement ses batailles, ne connaît pas la panique et ne perd jamais de vue sa stratégie d’ensemble […] ; il s’adapte facilement aux initiatives de l’ennemi et peut changer de tactique avec une rapidité déconcertante… » (p.271) Le talent de Monty ne l’empêche pas de connaître déconvenues et échecs, le plus notoire étant Arnhem, « le pont trop loin », en septembre 1944. Emporté par les succès précédents, Montgomery avait mal apprécié la surprenante capacité de l’armée allemande à se remettre de la défaite de Normandie. Comme beaucoup de grands hommes de cette époque, les défauts de Monty sont au moins aussi égaux que ses capacités : beaucoup d’orgueil, le sentiment d’avoir raison contre tout le monde, la difficulté à reconnaître ses torts… Les grands hommes ont souvent un caractère malcommode : Montgomery ne fait pas exception.

Ce Montgomery est donc un livre passionnant, un petit joyau au sein d’une collection prometteuse.

 

Antoine Capet, Montgomery, l’artiste des batailles, Perrin, 2014, 395 pages, 23 €