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Recensions Religion

Faites le plongeon : Vivre le baptème et la confirmation

Broché: 336 pages
Editeur : Cerf (14 juin 2012)
Collection : EPIPHANIE
Langue : Français
ISBN-10: 2204097772
ISBN-13: 978-2204097772
Dimensions : 21,2 x 14,6 x 2,6 cm

 Faites le plongeon

Un livre signé Timothy Radcliffe est toujours un événement. C’est le cas ici. Parfois un peu confus mais toujours pétillant, Faites le plongeon délivre une bouffée d’optimisme bien revigorante par les temps qui courent. D’autant qu’il touche un sacrement essentiel, celui sans lequel les autres ne seraient pas : le baptême. « Le baptême, écrit l’ancien maître général des Dominicains, touche à ce qui se joue de plus profond dans la vie humaine : naître, grandir, tomber amoureux, oser se donner aux autres, être à la recherche de sens, devenir adulte, faire face à la souffrance et à l’échec et éventuellement à la mort. » (p.10)

Alors que les catholiques, à l’invitation du pape Benoît XVI, sont appelés à réfléchir leur foi, voilà que s’ouvre une belle occasion de relier celle-ci au baptême. L’enjeu est de taille. Les chrétiens n’ont-ils pas à se réapproprier le sens plénier de leur baptême afin d’être sel de la terre ? Il y a urgence, semble dire à sa façon l’auteur– une façon décontractée et rigolarde mais qui, sur le fond, n’évacue jamais les questions capitales -, de rapatrier le baptême dans l’acte de foi. Le sacrement de baptême n’est pas l’onction magique d’un seul moment, d’une unique célébration : c’est la porte ouverte à une vie offerte au Seigneur pour le salut du monde et le bonheur de l’humanité. A tout le moins, il devrait être considéré comme tel ; or, on sait bien que le challenge est extraordinairement difficile en ces temps de disette spirituelle. Si l’auteur invite à faire le plongeon, c’est pour montrer que le moment du baptême opère, au plan spirituel s’entend, de façon décisive. Il s’agit pour les chrétiens de montrer que leur Eglise n’est pas qu’un club de gens sympas, à l’écoute du monde, une sorte d’ONG attentive à la misère d’autrui. Donner pleine valeur à son baptême, c’est contribuer à faire grandir l’homme, à le rendre vivant.

Une recension rendra toujours imparfaitement compte d’un livre de T. Radcliffe. Mieux vaut lire Faites le plongeon que d’en parler car le ton décalé de l’auteur offre un rendu inimitable. Si le sujet est bien sûr sérieux, l’auteur le traite à la sa façon, cultivée, décontractée et pittoresque. Les nombreuses anecdotes donnent une touche finale bienvenue à un livre de théologie qui se lit comme un roman. Finalement, il y a dans ce livre tout ce que l’on aime dans le catholicisme anglais : historiquement minoritaire, il tient ferme le cap de la fidélité et aime à s’emparer de sujets sérieux qu’il traite d’une façon pas toujours sérieuse.

Timothy Radcliffe, Faites le plongeon, Le Cerf, 2012, 321 pages, 17 €

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Biographies Recensions

Jean Lartéguy – Le dernier centurion

Broché: 347 pages
Editeur : Editions Tallandier (10 mai 2013)
Collection : Biographies
Langue : Français
ISBN-13: 979-1021000599
ASIN: B0091QPX38
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 3 cm

  Jean Lartéguy – Le dernier centurion

Rien ne prédisposait Lucien Osty à devenir le grand écrivain français des guerres coloniales du milieu du XX° siècle. La proximité de son oncle chanoine, le fameux exégète Emile Osty, a-t-elle contribué à fixer chez Lucien un amour naissant pour la chose écrite ? Quoiqu’il en soit, arrivé à l’âge de 20 ans, sans qu’il entreprenne pour cela d’études littéraires, il est pris dans les rets jetés par le démon de l’écriture. Après quelques mois passés dans l’Armée durant la Guerre de Corée (il fait partie du millier d’hommes qui composent le bataillon français des forces des Nations-Unies), il s’oriente vers l’écriture. C’est journaliste qu’il sera ; un reporter façon Tintin pas un de ces ronds-de-cuir qui, à cent kilomètres de Paris, s’imagine déjà connaître l’aventure. Grand voyageur devant l’Eternel, Lucien Osty – qui a choisi d’écrire sous le pseudonyme de Jean Lartéguy, clin d’oeil à Raspéguy, héros des Centurions -, n’a que le choix du lieu. En ces temps où, en Amérique latine, en Asie et en Afrique, la planète connaît maintes convulsions consécutives à des décolonisations arrachées dans la douleur et le sang, c’est aux premières loges qu’il doit être. Ce baroudeur glanera sur le terrain, au milieu de l’action, ce qui fera le sel et la texture de ses grands romans qui ont pour toile de fond les guerres coloniales. Il vit heure par heure la chute de Dien Bien Phu, couvre pour Paris Match la Guerre du Vietnam. Il s’intéresse aussi aux mouvements de libération d’Amérique latine et ne dédaigne pas de se rendre en Israël au plus fort des Guerres des Six Jours et du Kippour. Proche des chefs et partageant la condition du soldat, Lartéguy « semble s’être maintenant fixé une mission à laquelle il va pleinement se consacrer : celle de chasseur de guerre » (p. 144) De sa proximité avec les soldats naîtra de grandes amitiés, dont celle du Général Bigeard.
On a volontiers fait de Jean Lartéguy une sorte de romantique, un nostalgique de l’Empire colonial. Au vrai, comme le souligne l’auteur, « Lartéguy ne pourfend pas la décolonisation, il ne la juge pas. Toutefois, les guerres d’indépendance constituent à ses yeux un véritable choc identitaire et culturel, un séisme. » La guerre ne constitue que le cadre de ses livres. Ce qui passionne Lartéguy, ce sont les hommes. Aussi bien le soldat européen, rêveur casqué, dernier paladin d’un monde qui s’écroule, que le paysan vietnamien ou algérien, heurté dans son mode de vie, sa culture et ses traditions ancestrales. Finalement, Lartéguy était avant tout un humaniste.

Hubert Le Roux, Jean Lartéguy, le dernier centurion, Tallandier, 2013, 347 pages, 23.50 e

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Recensions Religion

L’Eglise et l’Etat : La grande histoire de la laïcité

Broché: 300 pages
Editeur : Saint-Léger Editions (1 mai 2012)
Collection : A temps et contretemps
Langue : Français
ISBN-10: 2364520037
ISBN-13: 978-2364520035
Dimensions : 23,8 x 15,6 x 2,6 cm

 L’Eglise et l’Etat : La grande histoire de la laïcité

En écrivant cette « grande histoire de la laïcité », Jean Etèvenaux a souhaité réaliser un instrument de travail accessible. Trois cents pages pour décrire la complexité des relations qui a toujours existé entre le politique et le religieux, pour n’en rester qu’à l’Occident, c’est raisonnable. S’appuyant sur une vaste érudition, l’auteur n’a aucun mal à démêler l’écheveau de siècles d’antagonismes et de conflits. Il est nécessaire de savoir d’où l’on vient pour mieux comprendre le présent. En ce sens cette histoire des relations enchevêtrées entre l’Eglise et l’Etat fait œuvre utile. L’auteur retrace avec maestria vingt siècles d’histoire, une histoire dont la source est proprement chrétienne. N’est-ce pas, en effet, le « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » prononcé par le Christ qui annonce la première idée de la séparation – « distinction » dirait Alain de Benoist – du spirituel et du temporel ?

C’est cette singularité que Jean Etèvenaux est arrivé à mettre en relief, en faisant jaillir ce qu’il nomme le « nouvel équilibre français ». A côté de ces évidentes qualités, l’ouvrage encourt des reproches, dus pour l’essentiel à une vision trop historisante du phénomène laïque. Une histoire davantage tournée vers l’évolution d’un droit positif aurait peut-être permis à l’auteur de ne pas évacuer certains événements capitaux pour la compréhension des faits. Pratiquement ne rien dire du Parti des Politiques qui, durant les Guerres de Religions, fédère catholiques et protestants modérés en vue de dissocier le politique et le religieux, c’est ne pas voir que la laïcité tire sa source du refus de voir la religion instrumentalisée. L’auteur passe également avec une incroyable rapidité sur la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, débats préparatoires et textes législatifs inclus. De cette époque mouvementée il ne donne à voir que des aspects périphériques comme la naissance de la Fédération protestante. Au contraire, certains chapitres, comme celui ayant trait à l’Inquistion, pour intéressant qu’il soit, n’apportent qu’un intérêt médiocre à ce qui intéresse ici, à savoir « la grande histoire de la laïcité ». Tout en considérant avec attention l’ouvrage de J. Etèvenaux, le lecteur prendra soin de le compléter par d’autres lectures, à commencer par de plus juridiques, ce en quoi Emile Poulat excelle depuis plusieurs décennies.

Jean Etèvenaux, L’Eglise et l’Etat : La grande histoire de la laïcité, Saint-Léger Editions, 2012, 305 pages, 22 €

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Biographies Recensions

Ernest Renan

Broché: 616 pages
Editeur : Fayard (22 février 2012)
Collection : Biographies Historiques
Langue : Français
ISBN-10: 2213637385
ISBN-13: 978-2213637389
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 4 cm

 Ernest Renan

Le moins qu’on puisse dire c’est que, dans le monde croyant, chez les catholiques en particulier, Ernest Renan est l’objet d’une peu enviable réputation. N’est-il pas considéré, avec Auguste Comte ou Jules Ferry, comme un démolisseur, un de ceux qui, en portant la science au pinacle, ont déconsidéré la religion par un rationalisme obtus et systématique ?

Au XIX° siècle, si Renan jouit d’une enviable considération au sein du monde libre penseur, il est au contraire l’objet de rancœur, voire de haine, de la part de nombreux catholiques. Ce désamour profond et tenace, Jean-Pierre Van Deth ne le conteste pas. Sa vaste étude, parce qu’elle évalue la recherche de Renan au sein du contexte bien particulier qu’est le XIX° siècle, époque à laquelle la science est considérée comme toute puissante, cherche à donner de l’ancien séminariste de Tréguier l’image la moins infidèle possible. C’est que Renan, encore considéré comme un des hérauts de l’athéisme, fut séminariste et que l’ire qu’il souleva chez les catholiques vint en grande partie d’un parcours vécu comme une trahison. C’est très tôt que Renan a perdu la foi mais, comme il l’écrivit, « la foi a ceci de particulier que, disparue, elle agit encore ». La vie de l’auteur de L’avenir de la science a-t-elle été gouvernée par une foi qu’il n’avait plus ? C’est à le croire si l’on suit le biographe de Renan. La pensée religieuse de Renan a suivi un cours beaucoup plus subtil que la Libre Pensée ou qu’une apologétique catholique à la Veuillot a voulu le faire croire. Certes, Renan a perdu la foi et il n’hésitait pas à se montrer d’une extrême sévérité à l’égard de ce qu’était devenue, à ses yeux, l’Eglise catholique au cours de l’histoire, c’est-à-dire une Eglise devenue constantinienne, imbue de pouvoir et tyrannique. En même temps, il a toujours gardé une extrême considération pour le fils du charpentier de Nazareth. Le problème, du point de vue catholique, c’est que Renan voyait en lui certes « un homme incomparable », mais un homme ! Pas le Fils de Dieu ! Pas Dieu lui-même ! L’indéfectible attachement qu’il manifeste à l’égard de Jésus est détaché de toute perspective croyante. Renan est, a-t-il souvent proclamé, demeuré un chrétien. Contrairement à ce qu’affirment les cercles libres penseurs dont on se demande s’ils l’ont lu, il a sincèrement prêché un christianisme qu’il pensait proche de l’Evangile. Le problème, c’est que ce christianisme sans dogme, sans structure, risquait d’être si désincarné qu’au bout du compte il n’en resterait à peu près rien.

La belle biographie de Jean-Pierre van Deth donne à voir un homme attachant, curieux de tout. Tour à tout philologue, historien, théologien… Renan est sans conteste une des plus belles figures du monde scientifique au XIX° siècle. Il est regrettable que nombreux de ceux qui ont annexé sa pensée n’aient pas toujours compris qu’il fut essentiellement, comme il l’a dit lui-même, un chercheur de vérité.

 

Jean-Pierre Van Deth, Ernest Renan, Fayard, 2012, 616 pages, 32 €

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Recensions Religion

Passion arabe : Journal, 2011-2013

Broché: 496 pages
Editeur : Gallimard (21 mars 2013)
Collection : Témoins
Langue : Français
ISBN-10: 2070140776
ISBN-13: 978-2070140770
Dimensions : 21,8 x 14,8 x 3 cm

 Passion arabe : Journal, 2011-2013

Durant deux ans l’orientaliste Gilles Kepel a sillonné les pays dans lesquels s’est déroulé le Printemps arabe : Egypte, Libye, Bahreïn, Tunisie… Parti pour réaliser un film il est revenu de ses divers périples avec un journal, sorte de livre de bord de la révolution qui a secoué plusieurs régimes arabes. De ce témoignage passionnant, écrit par un arabisant se situant toujours à bonne distance de son sujet, que retenir ?

Depuis que l’Occident a largué par-dessus bord l’essentiel de son patrimoine spirituel, il peine à comprendre la force du sentiment religieux. Ce n’est pas pour rien que le Proche-Orient a vu la naissance des trois grands monothéismes. La prégnance du religieux apparaît ici phénoménale, chez les juifs, chez les chrétiens et plus encore chez les musulmans, population que l’auteur a le plus rencontrée tout simplement parce que la plus nombreuse. Cette partie essentielle du monde musulman est toute imprégnée de Dieu, y compris dans les menus faits de la vie quotidienne. Autant dire que le chemin qui sépare les communautés musulmanes de la laïcité à la française est pavé d’embûches. Il ne peut y avoir de séparation des pouvoirs quand la religion occupe ainsi l’espace, public et privé. Pour la plupart des interlocuteurs que l’auteur a rencontrés, la laïcité est synonyme d’impiété. De quoi faire réfléchir les naïfs qui, en Occident, fantasment à l’idée de régimes arabes laïques, assurant comme ici le respect de la liberté de conscience. La lecture de cette Passion arabe en dit long, d’autre part, sur la fracture qui oppose sunnites et chiites. Pour les nombreux sunnites que Gilles Kepel a rencontrés, le chiite représente la figure de l’hérétique ; il est à l’origine de la fitna (division) qui fracture le monde musulman. L’univers arabo-musulman que nous présente l’auteur semble se trouver à la croisée des chemins : meurtri par les querelles confessionnelles et instable, on le sent tout de même riche de potentialités. Une inconnue demeure : le poids réel de la jeunesse bourgeoise attirée par les sirènes occidentales.
Un témoignage sur le vif, capital pour comprendre l’évolution du monde arabo-musulman contemporain.

Gilles Kepel, Passion arabe : Journal, 2011-2013, Gallimard, 2013, 476 pages, 23.50 €

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Actualités Recensions

Dictionnaire amoureux du crime

Broché: 940 pages
Editeur : Plon (21 février 2013)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 2259211216
ISBN-13: 978-2259211215
Dimensions : 20 x 13 x 5,4 cm

 Dictionnaire amoureux du crime

Un dictionnaire amoureux du crime, il fallait oser ! C’est ce que vient de faire avec talent Alain Bauer, professeur de criminologie, dans la désormais célèbre collection des Dictionnaires amoureux éditée chez Plon. Il ne fallait pas moins de 900 pages pour espérer faire le tour d’un domaine aussi considérable. Car le crime n’est pas réductible à la violence physique. En effet, précise l’auteur dans sa préface, « l’escroquerie, le vol, les trafics, la contrefaçon composent autant d’éléments d’une partition criminelle dont la créativité semble sans limites. » Autant dire qu’un tel dictionnaire donne seulement à voir la partie émergée d’un gigantesque iceberg. Cet iceberg, c’est le crime sous toutes ses coutures qui donne lieu, en l’occurrence, à un vaste choix d’entrées, de « Antigang » (brigade) à « Zampa » (Gaëtan, dit Tany). Fiction et réalité se mélangent allègrement. Films, séries télévisées et personnages romanesques comme Maigret et Arsène Lupin ont donné une dimension supplémentaire à l’éternelle course-poursuite du gendarme et du voleur. A côté de ces personnages romanesques la réalité donne à voir des hommes et des femmes qui n’ont rien à envier à ce que les maîtres des romans les plus noirs n’ont pas toujours osé écrire. La plus fertile imagination aurait-elle conçu les horreurs perpétrées par un Jack l’Eventreur ou, plus proche de nous, par un Michel Fourniret ? La réalité a tôt fait de rattraper la fiction. En matière de férocité, certains serials killers ne le cèdent en rien à Hannibal Lecter, le célèbre psychopathe du Silence des agneaux. A côté de ces personnalités fascinantes et monstrueuses, il faut retenir du livre d’Alain Bauer le poids des grandes organisations criminelles. A côté des sociétés du crime les plus connues comme la Mafia, Cosa Nostra, les Triades chinoises et autres cartels sud-américains, voilà que sont apparues, depuis quelques années, de puissantes organisations tentaculaires. Le MS 13 salvadorien, qui s’est internationalisé, compterait à peu près 50 000 membres dans le monde. Avec la mondialisation, une nouvelle criminalité voit le jour qui va du gang de cité au cyber-terrorisme. Dans le match séculaire qui oppose le crime à la police, il est à craindre que le premier ait toujours un coup d’avance. De l’assassinat d’Abel par Caïn jusqu’au terrorisme d’aujourd’hui, le crime continue de révéler la face la plus sombre de l’âme humaine.

Alain Bauer, Dictionnaire amoureux du Crime, Plon, 2013, 941 pages, 24.50 €

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Actualités Recensions

Le bûcher des vaniteux 2

Broché: 336 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (13 mars 2013)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226245413
ISBN-13: 978-2226245410
Dimensions : 22,6 x 14,4 x 3,2 cm

 Le bûcher des vaniteux 2

Adeptes du politiquement correct, partisans d’un langage soporifique, incolore, inodore et sans saveur, tremblez ! Voici le mousquetaire Zemmour de retour avec le nouveau volume des rubriques qu’il distille deux fois par semaine sur les ondes d’une grande radio périphérique. Ce n’est peut-être pas de la grande littérature, mais c’est sacrément efficace. Il est vrai que faire passer des idées avec mordant requiert un style direct, un phrasé court… du punch quoi ! On ne fait pas de la grande radio avec un verbe ampoulé. Durant la Drôle de Guerre, Jean Giraudoux, écrivain de qualité s’il en est, s’y était cassé les dents : un bon littérateur peut être un piètre propagandiste ; on ne s’adresse pas au tout venant comme à une clique de gens cultivés et on ne fait pas passer des messages mordants quand on reste dans l’entre-soi. Eric Zemmour a bien compris la leçon. A chaque fois, un seul sujet et un sujet qui relève de l’actualité brûlante. Des phrases courtes, parfois sans verbe. Un style haché et tonique. Tout cela mis au service d’une pensée qui ne s’embarrasse pas du désir de faire plaisir à tout le monde. Rétif à la mondialisation, hostile à la technocratie européenne, consterné devant ce qu’il appelle la médiocrité du personnel politique, angoissé à l’idée de voir la France devenir un « agrégat de peuples désunis », hanté par le ravage du communautarisme, Zemmour frappe. Il cogne au grand plaisir des lecteurs. On sait aujourd’hui le résultat de ce travail de sape : Eric Zemmour est devenu un auteur réactionnaire en vue. S’il n’a pas le style empanaché de feu Léon Daudet, il n’en a pas non plus – Dieu merci ! – les outrances. Certains peuvent être agacés par le côté Cassandre du personnage, il n’empêche ! Alors que beaucoup de responsables politiques « ne voient le monde que par les lunettes de l’économique et du social », Zemmour considère le monde en exaltant le rôle de la politique, de la culture et de l’identité. « Serons-nous encore français demain ? » dénonce-t-il. Il vaut le coup, avec lui, de se poser la question.

Eric Zemmour, Le bûcher des vaniteux 2, Albin Michel, 2013, 357 pages, 20.90 €

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Recensions Témoignages

La route de la Kolyma

Broché: 240 pages
Editeur : BELIN LITTERATURE ET REVUES (11 octobre 2012)
Collection : BIBLIO BELIN SC
Langue : Français
ISBN-10: 2701164168
ISBN-13: 978-2701164168
Dimensions : 21,5 x 15 x 2,2 cm

La route de la Kolyma

Fils d’Alexander Werth, le célèbre auteur de La Russie en guerre (1941-1945), Nicolas Werth a passé l’essentiel de sa vie en Russie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques ayant pour cadre l’Union Soviétique et le communisme. S’il connaît bien le Goulag par l’étude, jamais il n’avait eu l’occasion de se rendre dans ces hauts lieux de la barbarie contemporaine. Accompagnés de militants du mouvement Mémorial, l’auteur et sa fille se sont rendus à Magadan, étape incontournable de l’enfer concentrationnaire soviétique, port où échouaient les déportés après de longs mois de périple. Ce voyage sur les traces du Goulag laisse, il faut bien le dire, un goût amer. Le spectacle d’une mémoire qui s’éteint, la vision d’un monde qui meurt ne peuvent que consterner celles et ceux qui tentent de conserver le souvenir vivant. Les rescapés du Goulag sont rares. Quant à la Kolyma, à 8 000 kilomètres de Moscou, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Avec la fin des camps une part de l’activité économique s’en est allée. Les jeunes s’étant enfuis à l’appel des sirènes de la consommation, ne reste que les vieillards. Nicolas Werth et ses compagnons ont peiné à trouver la trace de camps qui, il y a cinquante ans, accueillaient plusieurs milliers de détenus. Les hommes ayant fui ces paysages aussi grandioses et inhospitaliers, la nature a eu tôt fait de reprendre ses droits. Seuls se souviennent ceux qui ont eu à subir dans leur chair l’horreur de la déportation : l’éloignement du foyer familial, les coups, le froid cauchemardesque, le travail épuisant… Les quelques jeunes qui demeurent dans ces immensités perdues n’ont aucune considération pour les souffrances infligées aux centaines de milliers d’innocents qui perdirent ici jeunesse et illusions. L’appel de la consommation à tout berzingue a relégué aux oubliettes cette immense tragédie, signe tangible de ce qu’Hélène Carrère d’Encausse nomme « le malheur russe ». En visitant ces lieux de mémoire : croix signalant une fosse commune, baraques dont il ne reste que les fondations, installations à l’abandon… l’auteur restitue une mémoire qui s’enfuit et s’enfouit. Avec délicatesse et respect, c’est une civilisation disparue qu’exhume Nicolas Werth. Comment ne pas l’en remercier ?

Nicolas Werth, La route de la Kolyma, Belin, 2013, 196 pages, 20 €

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Recensions Religion

Jésus : Approche historique

Broché: 542 pages
Editeur : Cerf (30 novembre 2012)
Collection : Lire la bible
Langue : Français
ISBN-10: 2204096849
ISBN-13: 978-2204096843
Dimensions : 23 x 15,4 x 3 cm

 Jésus : Approche historique

Le théologien espagnol José Antonio Pagola a tenté et réussi un pari audacieux : une approche simple et complète, basée sur un accès rationnel des textes, de la figure de Jésus de Nazareth. Approche simple car le vocabulaire est rigoureusement limité aux mots les plus courants ; complète car l’auteur possède une connaissance approfondie des travaux des exégètes contemporains. Avant même de parler du Christ, José A. Pagola dresse le cadre historique : Qu’est-ce que la Galilée de l’époque ? Comment vivent les juifs ? Quelle est leur religion ? Comme le veut le titre, l’historicité étant essentielle, l’auteur donne un tableau très réaliste du milieu dans lequel grandit et vit Jésus. Le reste suit un schéma chronologique, du baptême par Jean-Baptiste à la résurrection. Chapitre après chapitre, par touches successives, l’auteur cerne la personnalité du Fils de Dieu, prophète, défenseur des exclus, maître de vie… Un peu à la manière de Max Gallo, sans toutefois en adopter le style direct, il tâche d’insuffler au récit une vivacité de bon aloi. Tout est dans le sens du détail, la limpidité de l’écriture et l’effet visuel que cherche à produire l’auteur. Pourquoi, par exemple, est-il facile d’entendre et d’approcher Jésus ? Parce que, répond l’auteur, « il parle presque toujours en plein air. Souvent sur les bords du lac de Galilée, en utilisant les espaces proches des petits embarcadères, là où les pêcheurs viennent chercher le poisson. » On s’y croirait !

Les dernières pages font le point de la recherche théologique consacrée à Jésus : les principaux courants, les sources littéraires, les critères d’historicité… Des pages susceptibles d’éclairer les néophytes tout en rafraîchissant la mémoire des spécialistes. Telle est la force du livre : un style simple mis au service de la connaissance d’un personnage dont les sciences bibliques n’ont pas fini de faire le tour.

Ce récit enlevé de la vie de Jésus ne manque pas d’attraits, au contraire ! Voici l’exemple type d’un livre abouti, probablement le résultat d’une vie de labeur passée à mettre à jour, le plus finement possible, la figure du Christ. Ces qualités remarquables sont toutefois grevées par l’insistance que met l’auteur à magnifier la figure humaine de Jésus, un peu au détriment de son essence divine. Jésus, « homme incomparable » certes, comme aurait dit Renan, mais surtout fils de Dieu, Dieu lui-même comme le proclame le Credo.

José Antonio Pagola, Jésus : Approche historique, Le Cerf, 2012, 544 pages, 39 €

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Histoire Recensions

La mort de Napoléon : Mythes, légendes et mystères

Poche: 228 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (3 mai 2012)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262039941
ISBN-13: 978-2262039943
Dimensions : 17,6 x 10,8 x 1,6 cm

  La mort de Napoléon : Mythes, légendes et mystères

Il arrive que la petite histoire pollue la grande. Il en va ainsi pour la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, laquelle a été l’objet de tellement de spéculations que, pour un peu, on en viendrait à douter de tout. Il est donc heureux que, dans une première partie, les auteurs, tous deux éminents spécialistes de la période, reviennent sur ce que l’on sait de l’agonie et du décès de l’Empereur le 5 mai 1821. Pour que le tableau soit complet, ils analysent l’état général de l’illustre prisonnier. Comme la plupart des hommes de son temps et d’abord des soldats en campagne, « toute la vie de Napoléon est marquée par la maladie » (p. 48) : dermatose, coups de froid, hémorroïdes, indigestions fréquentes… A cinquante ans, un homme de ce temps, qui a parcouru à pieds ou à cheval l’Europe dans tous les sens, par tous les temps, est un homme usé. En plus de ses maux divers, l’Empereur Napoléon souffre de façon chronique d’une douleur abdominale. Le mauvais temps et l’état dépressif qui accompagnèrent le séjour de Napoléon à Longwood, là où il résida de 1816 jusqu’à sa mort, ne firent qu’empirer un état général très médiocre. Il ne fait donc aucun doute, selon les médecins qui ont été convoqués par les historiens, que c’est un cancer gastrique qui a emporté Napoléon. Chacun connaît la suite : l’inhumation au Val du Géranium puis, en 1840, le transfert des cendres conduit par une délégation emmenée par le prince de Joinville. Après l’arrivée triomphale du corps de l’Empereur à Paris, le corps reste déposé à l’église des Invalides jusqu’en 1861, date à laquelle le tombeau creusé à la verticale du dôme des Invalides est enfin prêt à recevoir la dépouille d’un des plus grands capitaines de tous les temps. Nous aurions pu en rester là sans toutes les spéculations qui se sont ensuite grevées sur la mort de Napoléon – A-t-il été empoisonné et par qui ? – ainsi que sur la substitution du corps – A la suite d’une manigance anglaise, le corps de Napoléon reposerait à Londres, non à Paris -. A en croire un cercle d’historiens amateurs, la Belle-Poule aurait rapatrié en France le corps de Cipriani, valet de Napoléon décédé en 1818. Grâce à une démonstration impeccable, les auteurs font justice de ces calembredaines. Leur conclusion est sans appel : « Napoléon n’a pas été assassiné et c’est bien lui qui repose aux Invalides. » Comme le prouvent J. Macé et T. Lentz, les montages habiles, les suppositions invérifiables et autres convictions non maîtrisées n’ont rien à faire dans l’étude sérieuse de l’Histoire.

Thierry Lentz & Jacques Macé, La mort de Napoléon : Mythes, légendes et mystères, Tempus, 2012, 215 pages, 8.50 €