Catégories
Recensions Religion

Benoît XVI, un pontificat contrasté

Broché: 176 pages
Editeur : Cerf (17 mars 2013)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204100811
ISBN-13: 978-2204100816
Dimensions : 21,2 x 13,4 x 1,4 cm

 Benoît XVI, un pontificat contrasté

Habitué à l’histoire longue, le P. Paul Christophe, prêtre du diocèse de Lille, revient sur les huit années du pontificat du pape Benoît XVI. Composé avec un style dynamique, l’ouvrage se lit remarquablement bien. En quelque 150 pages, Paul Christophe insiste sur les lignes de force de ce pontificat. Manque peut-être un chapitre sur le voyage fait en France en 2007 avec, pour point d’orgue, le fameux discours aux Bernardins, discours concernant les rapports entre la foi et la raison.

Pour le reste on peut dire que tous les sujets sont passés en revue : les trois encycliques signées par Benoît XVI, la nouvelle évangélisation, l’année de la foi, les problèmes liés aux affaires de pédophilie qui ont secoué certaines Eglises, la tentative de dialogue avec la Fraternité Saint Pie X, etc. La qualité de l’information et l’impartialité de l’auteur ne l’empêchent pas de tomber dans un travers que l’on retrouve fréquemment, y compris chez les meilleures plumes. Vouloir publier rarement le gage d’une œuvre accomplie. Par exemple, lorsque Paul Christophe parle des difficultés qui ont entravé la bonne marche du dialogue interreligieux, il semble mettre toutes les religions dans le même sac, comme si elles partaient de la même ligne de départ. L’argument est spécieux ; plus, il ne rend pas compte de la simple justice. En effet, dans un certain nombre de domaines comme celui des relations entre l’Eglise et le judaïsme ou l’islam, l’écrasante majorité des initiatives vient de l’Eglise, souvent du pape lui-même.

Redisons-le. Benoît XVI, le pontificat contrasté constitue une intéressante synthèse du dernier pontificat. Livre de circonstance, il risque toutefois de ne pas passer à la postérité. En troquant son métier d’historien pour celui de journaliste, Paul Christophe a rendu une copie propre et honnête mais qui fait penser à ces livres que l’on publie sur la politique à la veille d’une importante échéance électorale : on les lit avec intérêt mais on les oublie vite. Néanmoins l’auteur a su saisir la pointe du pontificat de Benoît XVI : « remettre le Christ au centre de la foi et de la vie des chrétiens. »

Paul Christophe, Benoît XVI, un pontificat contrasté, Le Cerf, 2013, 170 pages, 15 €

 

Catégories
Littérature Recensions

François Mauriac – Correspondance intime 1898 – juillet 1970

Broché: 739 pages
Editeur : Robert Laffont (6 septembre 2012)
Collection : Bouquins
Langue : Français
ISBN-10: 2221116607
ISBN-13: 978-2221116609
Dimensions : 19,8 x 13,4 x 2,6 cm

 François Mauriac – Correspondance intime

Grâces soient rendues aux Editions Robert Laffont qui viennent d’éditer, dans la fameuse collection « Bouquins », la correspondance privée de François Mauriac. S’il fallait faire court, tournons-nous vers Jean-Luc Barré, le meilleure exégète de l’œuvre de Mauriac : « Indispensable complément du Bloc-notes et des Nouveaux mémoires intérieurs, cette correspondance reflète soixante années d’histoire, littéraire, politique, intellectuelle ».

En plus de ses romans, essais et articles divers, le Prix Nobel de littérature 1952 était un fameux épistolier. Commencées vers sa 20ème année, les lettres recensées dans ce volume couvrent toute la vie de l’auteur. Elles s’adressent aux correspondants les plus divers : familiers, écrivains comme Paul Claudel et Georges Duhamel, politiques comme le général De Gaulle et Pierre Mendes France. L’intérêt des lettres est bien sûr variable mais, au final, ce n’est pas cela qui compte. Cette Correspondance intime nous renvoie à une époque où écrire était un art. Loin de l’éphémère engendré par les mails, les tweets et le fourbi contemporain, écrire une lettre signifiait que l’on confiait à autrui ce qu’il y avait de plus cher et de plus secret dans sa vie. Une telle correspondance s’apparente au style du journal. La révélation d’une personnalité s’accompagne de considérations personnelles sur la politique, la religion, l’art, la littérature. L’amplitude des sujets évoqués rend le genre passionnant et contribue à l’inscrire dans la durée ; tout le contraire de la communication d’aujourd’hui qui, elle, se caractérise par son extrême fugacité. Aujourd’hui, l’outil est devenu une fin en soi, il a tendance à primer sur la teneur du message. Enfin, les lettres de Mauriac nous touchent parce que, précisément, elles s’inscrivent dans leur temps et, des décennies après, nous disent beaucoup, non seulement d’un homme, mais d’une époque. Si cette correspondance a autant d’épaisseur, cela est dû à deux raisons. La première, évidemment, tient au style de l’auteur du Nœud de vipère, un des plus grands littérateurs français du siècle dernier. La seconde découle d’une culture littéraire, politique et religieuse aussi vaste que l’était la curiosité de l’auteur. Pour qui aime l’œuvre de Mauriac, un livre nécessaire.

François Mauriac, Correspondance intime, Robert Laffont, 2012, 768 pages, 30 €

 

Catégories
Recensions Religion

Résurrection de Jésus et résurrection des morts : Foi, histoire et théologie

Broché: 243 pages
Editeur : Cerf (11 octobre 2012)
Collection : Epiphanie
Langue : Français
ISBN-10: 2204098159
ISBN-13: 978-2204098151
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 1,6 cm

 Résurrection de Jésus et résurrection des morts

Jean-Pierre Torrell o.p. est un théologien particulièrement prolixe. Après avoir travaillé l’œuvre de saint Thomas d’Aquin, voilà qu’il s’attaque à l’un des fondamentaux de la foi chrétienne : le dogme de la résurrection du Christ. Il le fait dans une perspective dans laquelle l’apologétique n’est pas tout à fait absente. Il a constaté en effet combien la croyance en la résurrection, celle de Jésus et celle des morts, était mise à mal par le scepticisme contemporain, scepticisme mâtiné d’une adhésion aux thèses prônées par les tenants de la réincarnation. Cela dit, qu’on soit croyant ou pas, la résurrection demeure pour nous un mystère et, écrit l’auteur, « un mystère ne se prouve pas : nous ne pouvons y adhérer que par et dans la foi. » (p. 14). L’auteur passe au crible la plupart des questions que les croyants se posent sur la question depuis les origines. Par exemple la résurrection prend-elle place à la fin des temps, lors de ce qu’on appelle le Jugement dernier ? La résurrection du Christ sera-t-elle précédée de la résurrection de tous les morts ? S’agira-t-il bien de tous les morts ? Certains théologiens, au contraire, postulent l’idée d’avancer la date de la résurrection au moment même de la mort de chacun.

Dans un évident souci pédagogique, le Fr. Torrell passe en revue la plupart des objections faites au dogme de la résurrection à partir d’un passage en revue des principaux textes de l’Ecriture qui en parlent. A la clarté de l’exposé s’associe la solide capacité de synthèse de l’érudit, au final désireux « de raviver les raisons que nous avons d’y croire. » (p. 148). Il insiste longuement sur ce qu’a de contraire à la foi chrétienne la réincarnation. . Vatican II parle à ce sujet de « notre vie terrestre unique » (Lumen Gentium, n°48). Quant à la crémation, l’auteur s’en méfie, voyant surgir avec elle des relents d’athéisme. Comme l’Eglise, sa préférence va nettement à l’inhumation. Au total, un livre tonifiant !

Jean-Pierre Torrell, Résurrection de Jésus et résurrection des morts, Le Cerf, 2012, 243 pages, 20 €

Catégories
Histoire Recensions

La bataille des trois empires : Lépante, 1571

Broché: 684 pages
Editeur : Flammarion (29 août 2012)
Collection : Au fil de l’histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2081229528
ISBN-13: 978-2081229525
Dimensions : 24,4 x 15,6 x 4,6 cm

 La bataille des trois empires

            Les grands historiens sont souvent d’exceptionnels conteurs. C’est le cas d’Alessandro Barbero, auteur de plusieurs ouvrages marquants, dont un retentissant Waterloo. Cette bataille des trois empires est l’histoire de la campagne militaire et diplomatique qui opposa des puissances chrétiennes à l’Empire ottoman et qui aboutit à la bataille de Lépante. Ce jour d’octobre 1571, la flotte combinée regroupant les galères espagnoles, pontificales, génoises et vénitiennes fut opposée, en un combat dantesque, à la flotte du sultan. Cette gigantesque bataille était loin de mettre un terme à la menace ottomane mais, après maints revers, les puissances occidentales parvenaient enfin à freiner l’irrésistible progression de l’islam turc. Dans le monde catholique l’événement fut fêté et magnifié. Dans maintes églises espagnoles et vénitiennes, des tableaux commémorent l’événement.

Le récit d’A. Barbero est suffisamment ample pour donner à penser que Lépante fut autre chose qu’une simple bataille entre empires et religions : christianisme contre islam. Il faut plutôt voir l’affrontement à grande échelle de deux impérialismes : le sultan Sélim contre Philippe II d’Espagne, allié au pape Pie V et au doge de Venise. Les frontières ne sont pas aussi étanches que l’on croit et A. Barbero, remettant les faits en perspective, relativise de nombreuses images d’Epinal. L’Empire turc n’est pas aussi puissant qu’on imagine : il est perpétuellement à cours d’hommes. Les puissances chrétiennes sont divisées : en lutte contre l’Empire (la Maison d’Autriche), la France, depuis François 1er, s’est faite une alliée de la Sublime Porte. Quant à l’Eglise d’orthodoxe et aux chrétiens d’Orient ils ne sont pas aussi favorables que cela aux chrétiens occidentaux. Il n’est pas rare pour eux de préférer la férule turque à la main de fer des seigneurs occidentaux. Comme quoi les mouvements de l’Histoire sont souvent compliqués dès lors qu’on gratte le vernis. Quant à la bataille elle-même, qui n’occupe qu’un chapitre, elle prouvait de façon décisive que les armées occidentales étaient en train de prendre une avance décisive sur leurs rivales orientales. Il y avait longtemps que les « économies monde », chères à Fernand Braudel, avaient glissé de l’Orient vers l’Occident.

Alessandro Barbero, La bataille des trois empires – Lépante, 1571, Flammarion, 2012, 684 pages, 29 €

Catégories
Actualités Recensions

Vers la guérison et le renouveau : les abus sexuels sur des mineurs

Broché: 314 pages
Editeur : Cerf (7 février 2013)
Collection : HISTOIRE A VIF
Langue : Français
ISBN-10: 2204098876
ISBN-13: 978-2204098878
Dimensions : 21,4 x 13,4 x 2,4 cm

  Vers la guérison et le renouveau: les abus sexuels sur des mineurs

Si le titre ne veut pas dire grand-chose en lui-même, il suffit de lui accoler le sous-titre pour voir immédiatement de quoi il en retourne : « Les abus sexuels sur des mineurs ». Ce livre tombe à pic car il montre, si besoin était, la voie prise par l’Eglise pour mettre un terme à un scandale qui a mené la vie dure à sa réputation. Alors que la renonciation à sa charge par le pape Benoît XVI n’en finit pas d’étonner le monde, comment ne pas évoquer le travail de purification opéré par l’Eglise sous l’égide du Souverain Pontife ? Des scandales nombreux et innommables, aux Etats-Unis, en Irlande, en Autriche, etc. ont terni la crédibilité de l’Eglise. Le manque de discernement et de courage a coûté cher à de nombreux diocèses.

Beaucoup de prêtres et de religieux ont trahi leur vocation et l’exigence du Christ à respecter l’enfance et l’innocence. Sous l’accusation des victimes, des diocèses paient encore pour cette politique d’aveuglement Des prêtres ont été condamnés à de nombreuses années de prison. Pour mettre fin à ce scandale, le pape Benoît XVI a su frapper fort, de façon à purger l’Eglise de tous ces péchés contre la chair et l’esprit. Mais cela ne suffit pas. Comment prévenir de nouveaux scandales, éviter la récidive, aider les victimes et protéger d’eux-mêmes les coupables ? Le symposium qui s’est tenu à Rome il y a un an, à l’Université pontificale grégorienne, a réuni de nombreux représentants d’instances ecclésiales. Les objectifs étaient clairs : « donner la parole aux victimes, favoriser une culture de l’écoute des personnes, faire connaître ce qu’il est possible de faire pour protéger les personnes les plus vulnérables. » Les contributions collectées dans ce volume reprennent les interventions les plus marquantes de la rencontre romaine. Les questions abordées sont très diverses. Signalons, entre autre, la recherche de la vérité dans les cas d’abus sexuels (Mgr Scicluna), Internet et la pornographie (G. McGlone) ou le véritable coût de la crise (M. Bemi). Chacun des textes montre une liberté de ton dont on n’était pas toujours habitué. Une crise d’une telle gravité ne peut se régler dans les faux-semblants et les demi-mesures ; tout doit être dit, et franchement ! La liberté de ton dont usent les intervenants atteste que chacun a bien pris conscience que tout devait être fait afin de régler le problème en son cœur. Une opération salutaire.

Collectif, Vers la guérison et le renouveau : les abus sexuels sur des mineurs, Le Cerf, 2013, 320 pages, 20 €

Catégories
Histoire Recensions

L’héritage de Vichy

Relié: 256 pages
Editeur : Armand Colin (3 octobre 2012)
Collection : Hors collection
Langue : Français
ISBN-10: 2200275129
ISBN-13: 978-2200275129
Dimensions : 22,8 x 17,4 x 2,4 cm

 L’héritage de Vichy

Déjà auteur de Sous l’œil de l’occupant, album photographique relatant la façon dont les Allemands voyaient les Français entre 1940 et 1944, Cécile Desprairies poursuit son exploration de l’Occupation. Elle le fait par un biais original. Si les signes et symboles les plus voyants de l’Etat français ont été niés et effacés – plus d’Hôtel du Parc, siège de l’Etat français, à Vichy ! -, un certain nombre de mesures existent encore, dont les Français profitent et qui, horresco referens !, ont été prises par le gouvernement de Vichy. Beaucoup connaissent la plus universelle, la Fête des Mères, mais il en reste quantité d’autre qui n’ont pas été abrogées par les républiques.

Tout n’était pas mauvais, loin s’en faut, dans les 16 786 lois et décrets promulgués par Vichy. Comme l’écrivait Marc-Olivier Baruch, « tout n’était pas à rejeter dans la production administrative de ces quatre années, qui seraient pourtant quelque temps plus tard décrites comme ‘à rayer de notre histoire’ ». Que ce soit la vie quotidienne, l’éducation, l’alimentation, la culture ou le sport, pas un de ces domaines qui n’ait été épargné par la production législative de l’Etat français. Certaines de ces mesures n’ont au départ d’autre but que la surveillance de la population, comme la carte d’identité. D’autres sont le fruit de la pression de l’occupant comme le délit de non-assistance à personne en danger (loi du 25 octobre 1941), incitation faite à la population française de collaborer. Il en est qui proviennent des restrictions imposées par la dureté des temps comme l’obligation, au restaurant, du menu à prix fixe. Pour le reste, la recension de Cécile Desprairies compte moult mesures qui font partie du patrimoine génétique des Français et ne comptent pas pour rien dans l’identité de la France. De cet inventaire à la Prévert, retenons, entre autres, l’accouchement sous X, l’heure d’été et l’heure d’hiver, la nouvelle place de l’apéritif, l’extension des vins AOC, la Réunion des musées nationaux, le film en couleur et le film d’animation, l’enseignement du dessin, les comités d’entreprise, l’INSEE, la retraite des vieux, le hand-ball, le carnet de santé, le code de la route, les autoroutes, etc. Très instructif.

Cécile Desprairies, L’héritage de Vichy, Armand Colin, 2012, 237 pages, 27.50 €

Catégories
Histoire Recensions

Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812

Broché: 528 pages
Editeur : Fayard (26 septembre 2012)
Collection : Divers Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2213670765
ISBN-13: 978-2213670768
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 4 cm

 Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812

En France, on ne compte plus les mauvais apôtres qui se sont faits une spécialité de la détestation de l’histoire nationale. Ils n’ont de cesse de dézinguer toutes nos vieilles gloires : Richelieu, Turenne, Louis XIV, Napoléon… Pas un de ces grands personnages qui ait leurs faveurs. C’est que la doxa, œuvre de la pensée unique, a parlé : tout, y compris le passé le plus lointain, doit être jugé à l’aune des droits de l’homme. Cela nous vaut un manichéisme insupportable où tout apparaît en noir ou blanc alors que, comme le disait Romain Gary, dans la vie, et donc dans l’histoire, c’est le gris qui domine. Or, tandis que certains d’entre nous se repaissent de cette haine pour ce qu’a de singulier et parfois de formidable l’histoire de notre pays, des étrangers prennent des voies contraires. C’est le cas d’Oleg Sokolov, professeur de civilisation française à Saint-Pétersbourg, un joyeux timbré de l’époque napoléonienne. Son livre, Le combat de deux empires, est un joli pied de nez à ceux qui, indistinctement, vilipendent Napoléon et l’histoire de France. Livre à thèse, solidement étayé, toujours agréable à lire, Le combat de deux empires est une œuvre à charge contre Alexandre 1er, l’ennemi juré de Napoléon. Qu’entend démontrer Sokolov ? Que le jeune tsar de toutes les Russies n’a eu de cesse d’éliminer du trône l’Empereur des Français, qu’il voulait mettre fin au règne d’un homme qui, même génial, n’en était pas moins un parvenu. « Le tsar, écrivait le prince Czartoryski, ne recherchait absolument pas une solution pacifique au conflit : il ne recherchait que la guerre, l’anéantissement de l’Empire napoléonien et, plus que tout, le renversement de Napoléon. » (p. 301) On ne festoie pas impunément avec les têtes couronnées héréditaires. Durant dix bonnes années, Alexandre est financé, soutenu par l’or et le déshonneur britanniques. Face à cet homme qui sait si bien camoufler ses sentiments, Napoléon se comporte en gentleman. Pour éviter de tirer l’épée, il se livre à de nombreuses compromissions, cherchant toujours à exonérer le tsar.
La thèse de l’historien russe est si solidement charpentée qu’elle semble difficile à mettre en doute. Elle a le mérite de rendre Napoléon plus sympathique : ici, il n’est pas le va-t-en-guerre, le monstre, « l’Ogre », qu’une certaine propagande s’est plue à décrire.

Oleg Sokolov, Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812, Fayard, 2012, 522 pages, 25 €

Catégories
Recensions Religion

Allah cet inconnu : Confession d’un ancien doyen de faculté théologique islamique en Egypte

Broché: 240 pages
Editeur : Editions Qabel (22 août 2012)
ISBN-10: 2953874437
ISBN-13: 978-2953874433
Dimensions : 25 x 15 x 2 cm

 Allah cet inconnu : Confession d’un ancien doyen de faculté théologique islamique en Egypte

Ce livre est le récit d’une conversion. Il doit être, en un temps où l’on évoque souvent les conversions d’Occidentaux à l’islam, pris très au sérieux. Sait-on le nombre de musulmans qui, à l’instar de Mohamed Rahouma, quittent les eaux tumultueuses de l’islam pour une autre religion, le christianisme en particulier ? On ne le saura jamais. En effet, la charia stipulant la mort pour l’apostat, mieux vaut pour ce dernier tenir sa langue. Mohamed Rahouma n’a pas de ses préventions, lui qui a largué les amarres de la religion de son enfance pour se faire baptiser. Né en Egypte, longtemps doyen d’une faculté d’études islamiques, il avait tout pour jouir tranquillement de sa position sociale. Son questionnement religieux a mis en péril la gloire et les honneurs auxquels sa position professionnelle le plaçait. Passé l’âge de la jeunesse, il s’est beaucoup interrogé sur les fondements de l’islam et les comportements de ses coreligionnaires. Les trois ans qu’il a passés en Arabie Saoudite l’ont détourné pour de bon de la religion de ses ancêtres. Tout ne lui apparaît qu’hypocrisie, mensonge et fausseté. Allah cet inconnu est le récit d’un itinéraire, un chemin qui fait alternativement passer un homme par le doute, le rejet puis l’amour du Dieu de Jésus-Christ. Son départ pour l’Amérique et sa rencontre avec des couples chrétiens l’amènent à rejeter définitivement l’islam.

L’itinéraire de M. Rahouma est loin de se borner à un simple questionnement. Son rejet de l’islam est absolu. « Un Dieu, écrit-il, qui ordonne le meurtre et incite aux invasions, à la guerre, au jihad et à l’effusion de sang, ne peut absolument jamais être un vrai Dieu. » (p. 205). Estimant avoir perdu beaucoup de temps, il se fait volontiers prosélyte, estimant qu’il ne peut garder pour lui le trésor et la grâce dont il bénéficie. Il a créé une association appelée « Jésus m’a libéré » destinée à l’accueil de musulmans désirant le baptême. Façon pour lui de donner corps au chemin de lumière qu’il dit emprunter depuis sa nouvelle naissance : « J’ai découvert en moi-même une capacité étonnante d’aimer. » Comment ne pas saluer le courage lié à un tel témoignage ?

Mohamed Rahouma, Allah cet inconnu : Confession d’un ancien doyen de faculté théologique islamique en Egypte, Editions Qabel, 2012, 239 pages, 17 €

Catégories
Histoire Recensions

La victoire taboue

Broché: 192 pages
Editeur : Editions Toucan (14 mars 2012)
Collection : TOUC.ENQUETES
Langue : Français
ISBN-10: 2810004722
ISBN-13: 978-2810004720
Dimensions : 22,2 x 14 x 3,2 cm

 La victoire taboue

A l’occasion de ce que l’on appelle pudiquement les « événements », les historiens n’ont pas lésiné : nombreux sont les livres à traiter de la guerre d’Algérie (1954-1962). C’est en tant que spécialiste de l’Armée française que Christophe Dutrône se met de la partie. « La victoire taboue », c’est une victoire dont on n’ose pas ou peu parler. « Victoire », elle l’est assurément tant l’Armée française fut supérieure à l’ALN, l’Armée de Libération Nationale, bras armé du Front de Libération National algérien. « Taboue », elle l’est aussi car l’esprit de repentance a obscurci la faculté de jugement. On en est au point où la République n’ose plus fêter nos plus grandes victoires. En 2005, la délégation qui se rendit en Moravie fêter le triomphe d’Austerlitz fut des plus squelettiques. En ces temps où l’on a presque honte d’être soi-même, certains préfèrent raser les murs. Que l’on pense ici au mot d’Emmanuel Berl : « Nous nous reprochons d’avoir bâti Casablanca alors que les Romains étaient tout fiers d’avoir détruit Carthage ».
C. Dutrône livre une histoire limpide et très honnête de la guerre d’Algérie, une synthèse quasi parfaite. On peut toutefois trouver à redire à propos d’un titre qui induit en erreur. « La victoire tactique de l’Armée française », sous-titre de l’ouvrage, n’apparaît guère et les événements politiques y ont une part très importante. C’est donner à penser que l’outil militaire fut tout juste à la hauteur des ambitions des états-majors. Or, les deux divisions de parachutistes et la Légion, présentes en Algérie, ont montré de façon décisive que les leçons de la guerre d’Indochine avaient été intelligemment tirées. Un historien suédois a écrit récemment que l’Armée française disposait à l’époque de professionnels sans équivalent dans les autres armées. On aurait aimé que C. Dutrône mît davantage en avant cette supériorité.
L’auteur conclut comme il le fallait. Si l’attitude du Général de Gaulle a justement suscité l’incompréhension, voire l’indignation, il avait raison au regard de l’histoire. Que serait devenu notre pays si l’intégration avait l’emporté ? Comment aurions-nous résisté au déferlement de ces nouveaux Français, étrangers à notre culture et à la démographie galopante ? Fallait-il conserver l’Algérie ? « L’évidence, tout comme le bon sens, amenèrent Charles de Gaulle à répondre par la négative » (p. 188).

Christophe Dutrône, La victoire taboue, Editions du Toucan, 2012, 188 pages, 16,15 €

Catégories
Recensions Témoignages

La dernière frontière

Broché: 368 pages
Editeur : Souffles (26 novembre 2009)
Collection : Arbres de chair
Langue : Français
ISBN-10: 2876580802
ISBN-13: 978-2876580800
Dimensions : 18,8 x 14,2 x 2,6 cm

 La dernière frontière

Le public français connaît bien Jack London, un peu moins James Oliver Curwood, pas du tout Grey Owl (« Hibou gris »). Pour une grande part, ce désintérêt est de la faute de ce dernier. Après tout, ne l’a-t-il pas cherché lui qui, longtemps, s’est fait passer pour ce qu’il n’était pas ? Lorsqu’il se fait connaître au monde en publiant ses premiers livres, dans les années 1920 – 1930, tout le monde croit qu’il s’agit d’un Indien possédant des lettres. S’il possède le physique de l’Indien, Grey Owl n’est autre qu’Archibald Belaney, né en 1888, un Anglais fasciné depuis sa tendre enfance par les étendues vierges. A 17 ans, A. Belaney quitte l’Europe pour le Grand Nord canadien.

Tour à tour trappeur, guide et garde forestier, il devient un amoureux fou du grand désert blanc. Converti à l’écologie, frappé par les déprédations qu’opère la civilisation sur ces espaces préservés, angoissé devant l’avenir de tribus indiennes happées par la civilisation moderne, Grey Owl destine la dernière partie de sa vie à une croisade en faveur de la préservation des solitudes glacées. Que ce soit dans La dernière frontière ou Les récits de la cabane abandonnée, il y a toujours cet amour passionné des grands espaces, le respect dû aux Indiens, la sauvegarde de la faune et de la flore.  La dernière frontière constitue le récit sobre, autobiographique, d’une vie consacrée à un mode de vie, celui des Indiens et des premiers trappeurs, des gens qui, lors des périodes de chasse, ne prélevaient que ce qui était nécessaire. Grey Owl n’a pas de mots assez durs à l’égard de ceux qu’il appelle les sportmen, citadins faisant de ces grandes étendues un immense terrain de jeu et de chasse et qui prélèvent sur la faune plus que leur comptant. Pareil pour ceux qui arrivent attirés par le seul appât du gain : « Le progrès laisse ici, partout où il passe, des ruines », s’insurge G. Owl. S’il n’a pas le style puissant de J. London, Grey Owl est néanmoins un superbe écrivain. L’amour de la nature vierge a fait de lui un poète. Certaines pages de La dernière frontière laissent une impression ineffable. A l’heure où les grands équilibres environnementaux sont plus que jamais en péril, il faut lire Grey Owl : les leçons de vie qu’il procure sont à méditer. Puissions-nous, alors que tant d’espèces animales sont menacées, être pris du sentiment qui le saisit lorsque, lors d’une chasse, il se retient de tirer sur un castor : « Il me sembla que toute la nature me respectait d’avoir respecté son sanctuaire, de n’avoir pas profané cette heure bénie et parfaite » (p. 219).

Grey Owl, La dernière frontière, Souffles, 2009, 366 pages, 22 €