C’est chose tendre que la vie
Tenter de résumer un livre aussi copieux est une gageure. Philosophe se définissant comme athée et fidèle (à la culture judéo-chrétienne), André Comte-Sponville est un de nos plus grands philosophes, en tout cas l’un des plus faciles à lire et à saisir. Contrairement à tant d’autres, voilà quelqu’un qui se refuse à jargonner et qui essaie de donner le goût de la réflexion et de la pensée. Dans ce livre d’entretiens menés par François L’Yvonnet, l’auteur de La sagesse des Modernes revient sur les sujets qui l’auront le plus marqué, en tout cas ceux qu’il aura travaillé avec autant de constance que de gourmandise : le bonheur, l’avenir des civilisations, l’art, la morale, l’éthique… On n’est pas obligé de suivre le philosophe en tout et, par exemple, il me semble qu’il prête à des valeurs très occidentales comme les droits de l’homme et la laïcité une aura qu’elles n’ont certainement pas sous d’autres cieux. Cela dit, comment ne pas être charmé par la culture et la mesure d’un intellectuel qui préfère Montaigne à Nietzsche et Pascal à Hegel. A maintes reprises Comte-Sponville dit son incroyance, mais il le dit à sa façon, belle, lucide et tendre. C’est qu’il demeure fidèle au terreau judéo-chrétien dans lequel il a grandi et mûri. Prêtant beaucoup de qualités aux sagesses orientales, A. Comte-Sponville insiste sur son attachement aux valeurs chrétiennes, non parce qu’elles seraient absolues, « mais parce qu’elles sont conformes à notre désir d’humanité, de justice, d’amour. » (p. 179) Avec modestie, il tente de tracer le chemin qui, grâce à la sagesse (surtout celle des Anciens), espère mener au bonheur, but de toute vie humaine. Alors, à quoi sert la philosophie ? A mieux vivre, répondent les philosophes et Comte-Sponville avec eux. Le but recherché, contrairement à ce que veut faire croire la doxa contemporaine, ne passe ni par la consommation ni par le divertissement. La sagesse, « c’est d’aimer la vie telle qu’elle est, telle qu’elle passe, heureuse ou malheureuse… » (p. 216). Pour avoir à ne pas se poser la question, le contemporain cherche l’oubli dans la futilité et le divertissement. C’est oublier que la vie est tragique : il y a trop de fragilité en nous et trop de dureté dans le monde. « Sagesse de Montaigne : ‘C’est chose tendre que la vie, et aisée à troubler… » Un superbe livre, plein de tendresse, d’ « humanité désolée et fraternelle ».
André Comte-Sponville, C’est chose tendre que la vie, Albin Michel, 2015, 538 pages, 24€