Les Guerriers du froid
Pour l’Union Soviétique, le bilan du second conflit mondial est accablant : plus de vingt millions de morts dont plus de huit millions de militaires, un triste record dont le pays eut longtemps à souffrir. Pour se faire une plus juste idée de ce bilan, il faut savoir que, en un laps de temps à peu près identique, les Etats-Unis eurent à déplorer trois cent mille morts. Il existe donc, de ce point de vue, une singularité soviétique qui tient, pour une large part, au mépris globalement affiché par les officiers généraux pour la vie de leurs hommes. Une sorte d’atavisme, autre déclinaison du « malheur russe » si bien analysé par Hélène Carrère d’Encausse, a imposé une sorte de permanence dans la comptabilité de l’horreur. Le général russe d’avant la Révolution de 1917 est peu économe de la vie de ses soldats. Quant au général soviétique, surtout lors de la période stalinienne, il fait encore moins de cas du sang de ses hommes. C’est par régiments entiers, en 1941 et 1942 surtout, que les frontoviki (surnom donné au fantassin soviétique) fonçaient à perdre haleine en direction des mitrailleuses allemandes. Cette singularité inouïe valait bien un livre. Cette « vie et mort des soldats de l’Armée Rouge, 1939-1945 », éclaire de façon dramatique les horreurs qu’eurent à subir les soldats soviétiques dont un écrivain a dit qu’ils étaient faits pour mourir. A l’aide des souvenirs des quelques anciens soldats encore en vie, Catherine Merridale a écrit ce mémorial destiné au souvenir de l’héroïsme de ces millions d’inconnus qui firent tant alors que le nazisme était sur le point d’engloutir la totalité de l’Europe.
Les guerriers du froid est moins l’histoire vécue au quotidien par le soldat soviétique qu’une histoire de la Seconde Guerre Mondiale vue par celui-ci. On attendait davantage l’auteur sur ce qui faisait le quotidien du soldat en campagne : la nourriture, la faim et le froid, le courrier… bref, l’ensemble des menus détails qui donnent chair à l’Histoire. Les approximations lues ici et là – l’auteur repeint en vert olive l’uniforme brun d’Ivan, autre sobriquet donné au soldat de l’Armée Rouge – ne permettent pas d’atteindre l’éclairage que le titre promet. Le lecteur s’attend à une lecture au ras du sol, l’histoire quotidienne du paysan et de l’ouvrier anonymes enrôlés dans la Grande Guerre Patriotique. En lieu et place il doit se contenter d’une énième version de la guerre à l’Est. Un peu décevant.
Catherine Merridale, Les guerriers du froid, Fayard, 2012, 510 pages, 25.40 €