Raymond Barre
La belle biographie que Christiane Rimbaud vient de consacrer à l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing nous rappelle l’époque heureuse des années 1970, temps où l’on croyait le progrès inéluctable et le chômage un accident. En ce temps, finalement pas si lointain, le Premier ministre s’inquiétait d’un déficit de quelques centaines de millions de francs. Que dirait Raymond Barre s’il revenait parmi nous, apprenant que les caisses de l’Etat sont vides et que le déficit du pays avoisine les deux mille milliards d’euros ? Elève surdoué, professeur reconnu, c’est dans les années 1960, à Bruxelles, que Raymond Barre fait ses premiers pas dans le bain politique. Il se murmure, dans les couloirs des institutions européennes, qu’il est l’œil du général de Gaulle. Plus tard, alors que le pouvoir giscardien est en proie à ses premières difficultés, il est appelé pour conduire la politique du gouvernement. Pragmatique, adepte du maintien des grands équilibres, ennemi de l’idéologie et de la politique politicienne (le fameux « microcosme »), il se fait remarquer par son grand sens de l’Etat. Comme il le déclare en 1978 dans une émission de télévision, « il est aisé de gouverner un monde imaginaire, habité par des certitudes, mais quand le monde réel surgit, patratas… », une leçon qui, bien sûr, vaut pour aujourd’hui. Finalement, c’est lui, le professeur, le quasi-inconnu issu de la société civile, qui en remontre aux professionnels de la politique, lesquels, par leur politique de gribouille, ont abîmé l’Etat en le vendant sur l’autel de l’arrivisme et de l’ambition. Raymond Barre n’a cure de sa carrière, lui qui aurait tant aimé disposer de temps libre pour écouter davantage de musique classique et voir de bons westerns. Il est vrai que la politique l’ennuie. S’il se présente aux élections présidentielles de 1988 et se lance à la conquête de la mairie de Lyon au début des années 1990, c’est presque à contre-cœur. Comme le racontera un de ses proches : « Il lui manquait l’acharnement. Il avait trop de centres d’intérêt dans sa vie pour avoir la volonté farouche de gagner et de ne penser qu’à ça. » Au fond, ce qu’il faut d’abord retenir du travail de Christiane Rimbaud, c’est que la politique est une chose trop sérieuse pour n’être confiée qu’à des professionnels.
Christiane Rimbaud, Raymond Barre, Perrin, 2015, 585 pages, 25€