Dans les forêts de Sibérie
Avec ce nouvel opus, Sylvain Tesson nous offre un incroyable bol d’air glacial, un air sibérien, à proximité du Lac Baïkal. Las de cette vie moderne qui ne fait plus la place au silence et à l’intériorité, l’auteur a vécu, durant six mois, une vie d’ermite au bord du Baïkal, le plus grand lac du monde, en pleine Sibérie, là où faire des centaines de kilomètres sans rencontrer âme qui vive ressort de l’ordinaire. Dans sa cabane, l’ermite volontaire savoure le temps qui passe, il prend plaisir à ne rien faire, à contempler le rythme des jours et des saisons. Notre Robinson Crusoë n’est pas venu les mains vides. Il est arrivé avec des vivres, du matériel, une caisse de livres, de la vodka et… des icônes orthodoxes, histoire de s’immerger pleinement dans l’éternelle Russie. Ah ! Lire Hemingway ou Camus, seul dans sa cabane, alors que le voisin le plus proche habite à quatre heures de marche, quelle volupté ! Bien sûr, il y a un prix à payer à cette fuite du monde : on ne revient pas indemne de six mois de solitude ou, à l’exception de quelques rares visites, les seuls êtres animés rencontrés sont des animaux sauvages. Il n’en reste pas moins que l’auteur met le doigt sur une aspiration, un fantasme que probablement beaucoup partagent : une vie simple, loin du charivari engendré par la vie moderne.
Pour s’évader d’un quotidien qu’ils jugent morne et routinier, nombreux sont-ils à prendre la route ou l’avion pour… s’entasser sur une plage des Antilles ou de Thaïlande. Ce qui paraît pour beaucoup le comble de l’exotisme ne souffre pas la comparaison avec l’expérience vécue par l’auteur qui, après avoir lu la Vie de Rancé, consigne ces lignes : « L’exotisme, c’est de naviguer dans les intrigues politiques, les chinoiseries de la cour versaillaise, les haines mazarines et les brûlures jansénistes pendant que le vent agite doucement les cèdres sibériens. » (p. 171).
On connaissait les qualités d’écriture de Sylvain Tesson. Le Prix Médicis qui a été décerné à ce livre est amplement mérité. De superbes trouvailles stylistiques – comme ce bel oxymore : « On ne se sent jamais aussi vivant que mort au monde », d’une grande vérité – donnent encore plus de corps à une oeuvre envoûtante.
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2012, 267 pages, 17.90 €