Parmi la production livresque hostile au transhumanisme, l’ouvrage d’Olivier Rey se situe en bonne place. Alors que beaucoup sont réticents à faire le saut dans une société où la technologie sera reine et étendra ses rets à l’ensemble des activités humaines, le transhumanisme a inventé des ruses de guerre lui permettant d’amortir les bouleversements qui viennent, par exemple en diffusant la fable selon laquelle il est inutile de lutter contre le progrès et que, les véritables changements étant devant nous, il n’y a pas à s’inquiéter des changements qui ont déjà lieu. Or, écrit O. Rey, ces mutations signent le déjà-là du transhumanisme. Pour le dire autrement, « même ceux à qui le transhumanisme répugne subissent ses effets », parce que l’énergie qu’ils mettent à le critiquer « est souvent autant d’énergie qu’ils ne mettent pas à s’opposer à ce qui s’accomplit à présent » (p. 49). On ne s’en pas compte mais, par bien des côtés, le transhumanisme signe le triomphe post-mortem des théories nazies les plus mortifères. La seule différence, c’est qu’on le fait au nom des droits de l’homme et de l’épanouissement dont tout un chacun a droit.
Olivier Rey, Leurre et malheur du transhumanisme, Desclée de Brouwer, 2018, 194 pages, 16.90€
L’extrait : « … prôner le développement technologique sans limite, tout en prétendant que la démocratie saura prévenir les dérives (…) est une plaisanterie sinistre. » (p. 123)
A travers le filtre de cette « philosophie de l’héroïsme et de la sainteté », l’auteur se demande ce que les saints et héros ont à dire à notre époque, la façon dont ils sont perçus et ainsi de suite. Autant dire que les figures du saint et du héros d’autrefois ne sont plus celles que notre époque honore. Il n’est même pas certain que les héros d’hier conservent quelque signification pour nos contemporains, blasés et lessivés qu’ils sont par un bourrage de crâne renversant toutes les valeurs. Sur le marché contemporain, le saint ne pèse pas lourd, bien moins en tout cas que le sportif ou le chanteur à succès. Chez les saints et les héros – mais aussi chez un colonel Beltrame -, ce qui domine ce sont des valeurs comme l’oubli de soi, la parole donnée, la fidélité, le sacrifice poussé à son paroxysme. Au bout du chemin, c’est la mort, parfois l’oubli, qui les attendent. Au terme d’une réflexion poussant ses pointes dans de multiples directions, l’auteur se demande si notre temps est capable d’engendrer une sainte Thérèse d’Avila ou un général de Gaulle, tant « l’intempestivité du héros et du saint semble plus grande que jamais » (p. 124) Notre monde secrète une haine du héros et du saint qui tient à la place prééminente du « moi despote de nos contemporains ».
Robert Redeker, Les Sentinelles d’humanité, Desclée de Brouwer, 2019, 287 pages, 19.90 €
L’extrait: « Le faux héros gagne, accumule, le héros et le saint se précipitent vers la perte. » (p. 99)
Véritable Prométhée, l’homme contemporain a-t-il déclaré la mort à la mort ? Oui, et de deux façons, la première se conjuguant pour l’instant au futur, la seconde étant de plus en plus ancrée dans nos mœurs. La fin de la mort est décrétée par le courant transhumaniste, lequel vise à transcender la finitude humaine, de façon à faire advenir un homme nouveau, un homme bionique, rafistolé grâce aux progrès d’une science toute puissante. Quant à l’autre fin de la mort, c’est tous les jours que nous la vivons, dans les journaux, dans les conversations… On ne meurt plus, on disparaît, on nous quitte, comme si le fait de ne plus dire le mot « mort » faisait disparaître la chose. Bien évidemment, la mort existe mais tout indique que l’on veut en finir avec elle, jusqu’à en faire disparaître les codes et la symbolique. Le philosophe Robert Redeker, toujours à l’affût des effets de mode susceptibles de mettre en danger les traditionnelles façons de faire société, remarque les effets délétères de cette mise à distance de la camarde. Outre les appréciations toujours bienvenues d’un auteur toujours prompt à dénoncer les travers de nos sociétés qui se livrent pieds et mains liés à la technique et à la consommation, on retiendra la façon subtile qu’il a de mettre à jour les doutes de l’homme contemporain, « tellement désarmé devant la mort qu’au lieu d’en être dérouté et décontenancé, il préfère la forclore » (p. 157). Ne croyant plus en grand-chose, nous avons pris congé avec ce qui apparaît comme le scandale absolu : le fait de ne plus être. Ayant largué nos traditions, démuni des armes intellectuelles et spirituelles qui autrefois permettaient d’accepter sa fin biologique, nous sommes dans l’incapacité de saisir ce que la mort peut avoir de bénéfique. Et si la mort avait des avantages, demande l’auteur. Après tout, n’est-ce pas elle qui nous fait homme ?
Robert Redeker, L’éclipse de la mort, Desclée de Brouwer, 2017, 216 pages, 18€
Tandis que beaucoup de citoyens s’alarment de l’état du monde qu’ils vont laisser à leurs enfant, d’autres demeurent dans la dénégation. En effet, souligne Michel Dubois dans la préface, « nombreux sont ceux qui préfèrent considérer que l’augmentation indéfinie de la production et de la consommation est nécessaire au développement de tous ». Le monde a changé et il continue à changer et, pourtant, certains continuent de décréter que cela n’est pas vrai. C’est la raison pour laquelle, de façon très paisible, l’auteur s’attache dans les premiers chapitres à décrire les dangers qui guettent l’espèce humaine. Comme l’écrit l’auteur, « le temps du monde fini a déjà commencé ». Tous les jours les médias alertent sur l’état pitoyable de notre planète : extinction de nombreuses espèces, fin programmée des ressources du sous-sol, pollution, rareté de l’eau douce, explosion démographique de certaines régions, etc. A l’aide d’exemples très concrets, Michel Dubois aide à comprendre l’urgence de la situation. Cela dit, il se refuse à tout catastrophisme, réfléchissant à ce qui peut être fait avant que le pire n’advienne. Si le temps nous est désormais compté, il n’est pas encore trop tard. Exemple : « Encore 50 % des réserves planétaires d’hydrocarbure restent accessibles à des coûts croissants. Pouvons-nous brûler ces réserves inconsidérément ? Nous avons encore besoin d’énergie fossile pour apprendre à nous en passer » (p. 101). Dans la seconde partie de son ouvrage, Michel Dubois donne des pistes en vue de ce qu’il appelle le temps de la transformation. Dans le cadre d’une volonté européenne digne de ce nom, il réclame un vaste débat, lequel ne serait plus l’apanage exclusif des hommes politiques. Parmi les questions mises sur le chantier : l’augmentation de la production d’énergies alternatives, l’arrêt du gaspillage, l’évolution de nos représentations collectives, le passage, en ce qui concerne le nucléaire, de la fission à la fusion… Un livre qui ouvre un débat aussi vaste que crucial.
Michel Dubois, Vivre dans un monde sans croissance, Desclée de Brouwer, 2016, 278 pages, 19€
L’énorme biographie qu’Etienne Fouilloux vient de consacrer au cardinal Tisserant nous fait souvenir, à nous Français, qu’il y a peu, des Français vivaient dans l’entourage du pape. Eugène Tisserant, prêtre du diocèse de Nancy, appelé à Rome en 1908, y demeurera jusqu’à sa mort, en 1972. Entre temps, il avait exercé plusieurs charges dont celles, éminentes, de responsable de la Bibliothèque vaticane puis de Préfet de la Congrégation des Eglises orientales.
Dès les premières pages, on est frappé par la précocité du jeune nancéen. Ordonné prêtre à 23 ans, Eugène Tisserant passe déjà pour un spécialiste des langues orientales anciennes. Il se construit une notoriété qui lui vaut, un an plus tard, de s’occuper des manuscrits orientaux à la Bibliothèque vaticane. A Rome, malgré certaines jalousies, il réussit à se tailler une belle carrière dont le point d’orgue sera la dignité de doyen du Sacré Collège.
Etienne Fouilloux a bâti son ouvrage à partir des milliers de lettres qu’en soixante ans de vie très active Eugène Tisserant expédia à travers le monde, en France notamment. Quoique résidant à Rome, il restait en effet très attaché à sa terre lorraine et conservait beaucoup d’attachement à l’égard de ses maîtres et amis prêtres qu’il avait côtoyés dans sa jeunesse. S’il n’a pas publié les ouvrages que le public était en droit d’attendre de la part de ce fort en langues, le cardinal Tisserant était un homme de l’ancienne école : il passait beaucoup de temps à sa correspondance. Grâce à cette dernière nous en savons désormais plus de la personnalité de celui qui, lors du concile Vatican II, passait pour un conservateur notoire, un obstiné défenseur des prérogatives de la Curie. Le beau travail d’E. Fouilloux permet de dresser un portait fidèle du cardinal Tisserant, loin du réactionnaire buté que certaines relations se sont imaginées à susciter. Bourreau de travail, soucieux du niveau spirituel, moral et intellectuel du clergé, négociateur chevronné, Tisserant se dévoua corps et âme à la primauté et au prestige du Saint-Siège. Ce dévouement était loin d’être aveugle. Tisserant fut enfin un pasteur exemplaire, attentif aux besoins du diocèse suburbicaire dont Pie XII lui avait confié la charge. Partisan des nouvelles méthodes exégétiques, il percevait bien le renouveau dont l’Eglise avait besoin au milieu du siècle ; c’est à tort qu’une certaine critique en a fait un adversaire du renouveau conciliaire. Sa vive intelligence et son amour de l’Eglise le poussaient, quand il le fallait, à contrecarrer l’immobilisme des milieux romains. E. Fouilloux ne nous épargne pas les dernières années du cardinal, poussé vers la sortie alors que sa santé demeurait bonne. Son éviction de la Congrégation pour les Eglises orientales, sa mise à la retraite comme évêque du diocèse de Porto et Santa Rufina assombrirent les dernières années de ce grand serviteur de l’Eglise.
Le Tisserant d’Etienne Fouilloux est véritablement un modèle de biographie.
Etienne Fouilloux, Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972. Une biographie, Desclée de Brouwer, 2012, 712 pages, 39 €
Symptôme de notre époque : il paraît qu’il faut sans cesse innover et bouger… Comme si, en lui-même, le mouvement était synonyme de progrès. Nous voilà donc embarqués dans une sempiternelle danse de saint Guy. D’aucuns voudraient que l’Eglise, symbole d’une permanence de vingt siècles, fût elle-même touchée par les trépidations qui agitent notre monde. On sait ce qu’un tel mouvement perpétuel a de néfaste pour la foi qui, elle, a besoin de temps pour mûrir et grandir. Alors, faire bouger l’Eglise… et puis, pour aller où ?
Bien sûr, on aurait tort de considérer avec dédain les propos du P. Moingt, un des plus solides théologiens français de notre temps, néanmoins son manque de nuance et sa systématique prise de distance par rapport à l’institution ecclésiale ne servent pas toujours son propos. Faire bouger l’Eglise catholique est un petit livre de circonstance qui contient principalement trois conférences faites à l’appel de chrétiens dits critiques. Si l’on peut entendre les réserves du jésuite à l’égard d’un certain conservatisme romain et épiscopal, il n’empêche que ses critiques sonnent parfois creux. A côté de réserves portant sur tel ou tel à-côté sourd de la lecture de ce petit livre un malentendu qui porte sur des points capitaux. Le P. Moingt laisse par exemple entendre que l’apport principal de Vatican II réside en un catalogue d’innovations (cf. page 17 par exemple). C’est vrai que le concile est porteur d’innovations, mais celles-ci sont loin de constituer le centre, l’épine dorsale de l’œuvre des Pères de Vatican II. C’est la foi qui est au cœur de la préoccupation des Pères. Or, la foi n’a pas changé d’un iota avec le concile ; ce qui a été dépoussiéré c’est son expression, la façon de l’annoncer. De même, laisser entendre que Jésus a apporté « rien d’autre qu’un humanisme nouveau » est très réducteur. Jésus est porteur d’un humanisme ; pour autant, est-ce là le centre de son message ? Avant d’apporter un humanisme, c’est Dieu qu’il révèle. Si la Parole de Dieu donne à voir un humanisme qui tranche avec la doxa propre aux paganismes antiques, on est loin du cœur de la foi au Christ. Ce qui caractérise le christianisme, c’est la Révélation d’un Dieu qui se fait proche de l’homme par son Incarnation, un Dieu vainqueur de la mort. Le discours chrétien est un discours radical, pas l’humanisme du vicaire savoyard cher à Rousseau. Perdre de vue cet essentiel, n’est-ce pas, au bout du compte, par glissements successifs, aboutir à la stupéfaction de la page 77 où le P. Moingt écrit : « Pour ma part, je n’ai rien contre la messe. » ?Ouf, on respire !
On a l’impression que, pour l’auteur, l’essentiel se résume à la question de l’autorité et du pouvoir. Faux, l’essentiel, c’est de lutter contre l’apostasie silencieuse de notre époque. Et cela, pas évident qu’une Eglise plus « démocratique » arrive à la contrecarrer.
Joseph Moingt, Faire bouger l’Eglise catholique, Desclée de Brouwer, 2012, 192 pages, 15 €
Il ne faut pas se payer de mots : la France a un problème avec l’islam. Pas avec les musulmans dont beaucoup apprécient de vivre dans un pays de liberté qui est devenu le leur à part entière. Le problème se situe au niveau des rapports assurant la coexistence du fait laïque et d’une religion totalisante, méconnaissant la séparation des pouvoirs. Ce heurt de deux mondes que beaucoup oppose, l’Etat le gère de façon curieuse. C’est vrai qu’il marche sur des œufs, mais mettre comme il le fait toutes les religions dans le même panier et faire accroire que, vis-à-vis de la laïcité, toutes partent du même pied, n’est pas exact. Pour ne pas donner l’impression de stigmatiser une population en particulier, on en vient à jeter la suspicion sur des réalités différentes. Il n’est qu’à voir les conférences départementales sur la laïcité : elles donnent une fâcheuse idée de cet égalitarisme de commande. Comme si toutes les religions présentes sur le territoire national connaissaient, vis-à-vis de leur présence dans l’espace public, les mêmes problématiques. Or, du fait de leur histoire, de leur structure et de leur théologie, on ne peut mettre sur un même plan le catholicisme et l’islam, encore moins le protestantisme et l’islam. La gestion des horaires de piscine dans certaines villes ou des repas halal dans les cantines scolaires constitue par exemple une manifestation aiguë de ces difficultés nouvelles. Et c’est justement parce que l’islam de France connaît un vrai problème de représentativité et de présence dans l’espace public que Stéphane Lathion et Olivier Bobineau ont écrit ce petit livre. Fragmenté et divisé, l’islam de France a de plus en plus de mal à se reconnaître dans cette réalité institutionnelle qu’est le Conseil National du Culte Musulman (CNCM), cet islam d’en-haut n’étant plus jugé crédible par la plupart de ses coreligionnaires. L’islam de France, dont Nicolas Sarkozy s’était voulu le plus ardent défenseur, est en train d’échouer, miné par ses divisions.
Les auteurs reviennent ensuite sur la laïcité, exception bien française. Après un regard porté sur la gestion des rapports entre religions et Etats dans certains pays francophones (Belgique, Suisse…), S. Lathion et O. Bobineau se demandent comment les musulmans peuvent mieux s’intégrer dans la société française. Les auteurs se veulent ici résolument optimistes. Trop peut-être… Une meilleure intégration des populations musulmanes peut difficilement passer par un affranchissement « aux références littérales du passé ». Pour l’immense majorité des musulmans, ce sont précisément ces références qui constituent l’armature de leur foi. Les abandonner, voire les minorer, pour mieux intégrer le cadre laïque correspond à un fantasme d’occidental. En d’autres termes – c’est une des impressions qui sourd de ce livre -, le problème est moins l’islam en tant que tel que notre surprise de voir des populations manifester aussi fortement un sentiment religieux. Dans son dernier livre, Considérations inactuelles, Denis Tillinac met le doigt sur le nœud du problème : « Ce n’est pas l’Islam qui menace l’Occident mais l’apathie de son scepticisme face à des minorités qui croient au paradis et à l’enfer comme nos ancêtres aux plus hautes époques de la foi. »
Olivier Bobineau, Stéphane Lathion, Les musulmans, une menace pour la République ?, Desclée de Brouwer, 2012, 213 pages, 14 €
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