Faire bouger l’Eglise catholique
Symptôme de notre époque : il paraît qu’il faut sans cesse innover et bouger… Comme si, en lui-même, le mouvement était synonyme de progrès. Nous voilà donc embarqués dans une sempiternelle danse de saint Guy. D’aucuns voudraient que l’Eglise, symbole d’une permanence de vingt siècles, fût elle-même touchée par les trépidations qui agitent notre monde. On sait ce qu’un tel mouvement perpétuel a de néfaste pour la foi qui, elle, a besoin de temps pour mûrir et grandir. Alors, faire bouger l’Eglise… et puis, pour aller où ?
Bien sûr, on aurait tort de considérer avec dédain les propos du P. Moingt, un des plus solides théologiens français de notre temps, néanmoins son manque de nuance et sa systématique prise de distance par rapport à l’institution ecclésiale ne servent pas toujours son propos. Faire bouger l’Eglise catholique est un petit livre de circonstance qui contient principalement trois conférences faites à l’appel de chrétiens dits critiques. Si l’on peut entendre les réserves du jésuite à l’égard d’un certain conservatisme romain et épiscopal, il n’empêche que ses critiques sonnent parfois creux. A côté de réserves portant sur tel ou tel à-côté sourd de la lecture de ce petit livre un malentendu qui porte sur des points capitaux. Le P. Moingt laisse par exemple entendre que l’apport principal de Vatican II réside en un catalogue d’innovations (cf. page 17 par exemple). C’est vrai que le concile est porteur d’innovations, mais celles-ci sont loin de constituer le centre, l’épine dorsale de l’œuvre des Pères de Vatican II. C’est la foi qui est au cœur de la préoccupation des Pères. Or, la foi n’a pas changé d’un iota avec le concile ; ce qui a été dépoussiéré c’est son expression, la façon de l’annoncer. De même, laisser entendre que Jésus a apporté « rien d’autre qu’un humanisme nouveau » est très réducteur. Jésus est porteur d’un humanisme ; pour autant, est-ce là le centre de son message ? Avant d’apporter un humanisme, c’est Dieu qu’il révèle. Si la Parole de Dieu donne à voir un humanisme qui tranche avec la doxa propre aux paganismes antiques, on est loin du cœur de la foi au Christ. Ce qui caractérise le christianisme, c’est la Révélation d’un Dieu qui se fait proche de l’homme par son Incarnation, un Dieu vainqueur de la mort. Le discours chrétien est un discours radical, pas l’humanisme du vicaire savoyard cher à Rousseau. Perdre de vue cet essentiel, n’est-ce pas, au bout du compte, par glissements successifs, aboutir à la stupéfaction de la page 77 où le P. Moingt écrit : « Pour ma part, je n’ai rien contre la messe. » ? Ouf, on respire !
On a l’impression que, pour l’auteur, l’essentiel se résume à la question de l’autorité et du pouvoir. Faux, l’essentiel, c’est de lutter contre l’apostasie silencieuse de notre époque. Et cela, pas évident qu’une Eglise plus « démocratique » arrive à la contrecarrer.
Joseph Moingt, Faire bouger l’Eglise catholique, Desclée de Brouwer, 2012, 192 pages, 15 €