Isaac Babel
La littérature russe ne s’est pas éteinte avec la révolution de 1917. Gorki, Mandelstam, Pasternak et Soljenitsyne figurent au panthéon des grands écrivains russes dont les œuvres les plus fortes ont paru à l’époque de la tyrannie stalinienne ou lors de la glaciation brejnévienne. Parmi ces auteurs, Isaac Babel occupe une place singulière. Moins, au départ, pour son œuvre écrite que pour sa carrière. Ayant adopté les idées révolutionnaires en rétorsion des pogroms auxquels se livraient régulièrement les autorités tsaristes, Babel rejoint le camp de la révolution dès 1917. A l’instar de nombreux juifs, il se prend de sympathie pour une révolution qui, il l’espère, rendra la vie moins rude à ses compatriotes et à ses coreligionnaires. En 1920, il accompagne l’armée de cavalerie qui doit s’emparer de Varsovie, lors de la guerre entre la Pologne et le jeune Etat soviétique. De cette chevauchée, il en tirera une œuvre mondialement connue : L’armée de cavalerie, œuvre par la suite plus connue sous le titre de Cavalerie rouge. L’œuvre montre toute l’ambivalence qui est celle de nombreux intellectuels ayant embrassé la cause communiste : une sorte de sympathie critique, une ligne de crête sur laquelle, le régime se durcissant, il devient de plus en plus difficile de se tenir debout. Sur le plan littéraire, Cavalerie rouge dévoilait un style puissant. Sur le plan idéologique, la cause semblait plus difficile à entendre et à défendre. En effet, avec Cavalerie rouge, dit l’auteur, « Babel fait preuve d’un insolent aplomb en baptisant de la sorte une brassée de récits où le lecteur ne trouvera ni l’histoire de cette armée, ni la description de ses régiments, ni un catalogue de ses prouesses. » (p. 106) Chose étonnante, une grande partie de la vie de l’écrivain se déroula entre Moscou et Paris. Babel entretint des liens étroits avec les deux André, Gide et Malraux. Lors des Grandes Purges (1937-1938), le couperet ne tarda pas à s’abattre sur l’auteur de Cavalerie rouge. Son œuvre était jugée « d’une valeur artistique indéniable, mais sans rien de prolétarien » (p. 114). Gorki mort, il n’y avait plus personne pour défendre un romancier qui avait souvent flirté avec la liberté de pensée car, s’il épousait la plupart des convictions communistes, Babel tenait à garder son esprit critique. Cette liberté de ton ne devait pas tarder à être payée comptant : Babel fut fusillé en 1940.
Adrien Le Bihan, Isaac Babel, Perrin, 2015, 343 pages, 22€