Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812
En France, on ne compte plus les mauvais apôtres qui se sont faits une spécialité de la détestation de l’histoire nationale. Ils n’ont de cesse de dézinguer toutes nos vieilles gloires : Richelieu, Turenne, Louis XIV, Napoléon… Pas un de ces grands personnages qui ait leurs faveurs. C’est que la doxa, œuvre de la pensée unique, a parlé : tout, y compris le passé le plus lointain, doit être jugé à l’aune des droits de l’homme. Cela nous vaut un manichéisme insupportable où tout apparaît en noir ou blanc alors que, comme le disait Romain Gary, dans la vie, et donc dans l’histoire, c’est le gris qui domine. Or, tandis que certains d’entre nous se repaissent de cette haine pour ce qu’a de singulier et parfois de formidable l’histoire de notre pays, des étrangers prennent des voies contraires. C’est le cas d’Oleg Sokolov, professeur de civilisation française à Saint-Pétersbourg, un joyeux timbré de l’époque napoléonienne. Son livre, Le combat de deux empires, est un joli pied de nez à ceux qui, indistinctement, vilipendent Napoléon et l’histoire de France. Livre à thèse, solidement étayé, toujours agréable à lire, Le combat de deux empires est une œuvre à charge contre Alexandre 1er, l’ennemi juré de Napoléon. Qu’entend démontrer Sokolov ? Que le jeune tsar de toutes les Russies n’a eu de cesse d’éliminer du trône l’Empereur des Français, qu’il voulait mettre fin au règne d’un homme qui, même génial, n’en était pas moins un parvenu. « Le tsar, écrivait le prince Czartoryski, ne recherchait absolument pas une solution pacifique au conflit : il ne recherchait que la guerre, l’anéantissement de l’Empire napoléonien et, plus que tout, le renversement de Napoléon. » (p. 301) On ne festoie pas impunément avec les têtes couronnées héréditaires. Durant dix bonnes années, Alexandre est financé, soutenu par l’or et le déshonneur britanniques. Face à cet homme qui sait si bien camoufler ses sentiments, Napoléon se comporte en gentleman. Pour éviter de tirer l’épée, il se livre à de nombreuses compromissions, cherchant toujours à exonérer le tsar.
La thèse de l’historien russe est si solidement charpentée qu’elle semble difficile à mettre en doute. Elle a le mérite de rendre Napoléon plus sympathique : ici, il n’est pas le va-t-en-guerre, le monstre, « l’Ogre », qu’une certaine propagande s’est plue à décrire.
Oleg Sokolov, Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812, Fayard, 2012, 522 pages, 25 €