L’Oural en plein cœur
En septembre, chacun se fait plaisir en racontant à ses collègues de travail le ou les voyages qu’il a effectués durant la période estivale : « J’ai fait l’Italie », dit l’un ; « moi le Maroc » répond son voisin, et ainsi de suite. Ce genre d’activités de masse, planifié et encadré, ces soi-disant voyages sont-ils encore du voyage ? Ils en ont l’apparence, mais ne sont au final que des ersatz mal fagotés. Astrid Wendlandt fait partie des vrais voyageurs, aventuriers prêts à plaquer le confort quotidien pour se risquer à l’imprévu et au dépaysement total et soudain. Journaliste « globe-trotteuse », amoureuse d’un Russe qui l’avait jadis éconduite, elle a décidé de risquer le tout pour le tout et de le rejoindre. Problème : ce Russe n’habite pas à Moscou ou Saint-Péterbourg, villes cosmopolites qui font maintenant partie des lieux habituels de visite, mais dans l’Oural, à quelques encablures de la capitale, ce qui, à l’échelle de ce pays-continent, représente tout de même un bon millier de kilomètres. L’Oural, le dernier balcon avant l’immensité sibérienne, un des derniers refuges vierges où des milliers de kilomètres carrés n’ont jamais vu présence humaine. Avec L’Oural en plein cœur, on est certes loin du dépaysement décrit par le marquis de Custine avec sa Russie en 1839 ou de la truculence de Sylvain Tesson, auteur d’un superbe récit : Dans les forêts de Sibérie. Il n’empêche ! Avec une sorte de fausse candeur, Astrid Wendlandt nous gratifie d’un beau carnet de voyage dans une région aussi sauvage qu’attachante, à mi-chemin entre la modernité moscovite et le dénuement des immensités désolées de la Sibérie. Dans ces vastes contrées aux contours improbables, l’auteur raconte de bien étonnantes rencontres, comme celle d’une communauté ayant rompu avec la civilisation. A Alexandrovka se sont réunis celles et ceux qui « ont fait un pied de nez à la civilisation pour s’en créer une nouvelle. » Comment, à travers les rencontres et les liens noués, dans la description des paysages, le lecteur ne se sentirait-il pas happé par ce sentiment propre à la Russie : la démesure… ? Démesure des habitants et des lieux, c’est cela l’Oural et la Russie en plein cœur !
Astrid Wendlandt, L’Oural en plein cœur, Albin Michel, 2014, 216 pages, 19.50 €