Bien qu’il fût l’un des premiers compagnons d’Adolf Hitler, Rudolf Hess demeura largement un homme de l’ombre. S’il n’est pas tombé dans l’oubli, il le doit au voyage sans retour qu’il entreprit en mai 1941 pour opérer une tentative de médiation entre son pays et l’Angleterre en guerre. Ce voyage, Hess le conçut de sa propre initiative. Lorsqu’au soir du 10 mai 1941 Hess s’envole à bord de son Messerschmitt pour l’Ecosse, il croit en ses chances. Avec le recul, on peut considérer avec commisération sa tentative et trouver bien grande sa naïveté. Cependant, comme l’écrit Pierre Servent, « le geste du lieutenant du Führer n’était pas aussi fou que ce que l’on a pu dire par la suite. Avec un autre premier ministre que Winston Churchill, la face de la Seconde Guerre mondiale aurait pu être changée. » (p. 309) En 1946, Hess comparut sur le banc des accusés au procès de Nuremberg, au même titre qu’un Goering ou un Ribbentrop. En écrivant cette biographie, Pierre Servent porte un éclairage nouveau sur une page très singulière de la Seconde Guerre mondiale.
Pierre Servent, Rudolf Hess, Perrin, 2019, 495 pages, 25 €
L’extrait : « On peut donc clairement affirmer que « l’adjoint du Führer » est coresponsable au premier chef de la pluie d’ukazes qui va tomber sur l’Allemagne pour y établir un régime totalitaire, raciste et criminel […] » (p. 136)
La collection « Maîtres de guerre » prend peu à peu de la consistance. Elle est consacrée, rappelons-le, aux stratèges et aux généraux les plus habiles de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’à ceux qui eurent le plus d’influence sur le déroulement du conflit. Après les volumes consacrés à Hitler, Staline et Patton, il était assez logique qu’un livre fût consacré à celui qui s’est révélé comme « un stratège audacieux et génial tacticien ». C’est von Manstein qui est à l’origine du célèbre coup de faux de mai 1940 qui condamna à mort les armées franco-britanniques aventurées en Belgique. En plus de deux cents pages à l’écriture fluide, agrémentées de photos rarement publiées et de cartes rendant compte des batailles les plus âpres auxquelles a participé von Manstein, le livre de Pierre Servent réussit l’essentiel : donner une vision correcte du meilleur général de la Wehrmacht à qui fut souvent demandé l’impossible. Sur le front de l’Est, alors que l’armée allemande, souvent épuisée, doit parer les coups d’une Armée rouge de plus en plus puissante et sûr de son art, Manstein est considéré comme le pompier de service : celui qui est chargé d’éteindre les incendies. En dépit de sa maestria coutumière, le génie tactique de Manstein dépent bien sûr de la qualité des troupes qu’il a sous la main. Ses victoires de 1942 et 1943, en Crimée et en Ukraine, tiennent à la conjonction de sa vista et de l’excellence de l’Ostwehr (la Wehrmacht sur le front russe). Mais que cette qualité s’effondre à cause des pertes irréparables et aussitôt la superbe de Manstein de s’éroder, ce qui fut le cas à Koursk. Dans son livre paru après la guerre, Victoires perdues, Manstein, comme du reste beaucoup d’officiers supérieurs allemands, attribuera les défaites au supposé amateurisme d’Hitler. C’était, pour une part, se défausser sur un mort et lui faire porter le chapeau pour un ensemble d’inconséquences dont il n’était pas toujours responsable.
Par rapport aux autres livres de la série, le Von Manstein de Pierre Servent se situe un cran en-dessous. Manquant de précision, pas assez fouillé, il ne satisfera pas le connaisseur. Quelques erreurs, par exemple au sujet de la bataille de Koursk, laissent à penser que le livre a été trop rapidement écrit. Enfin, le silence de Manstein face aux crimes de guerre nazis est à peine évoqué. Pour une approche plus complète du personnage, on préférera, chez le même éditeur, la biographie due à la plume affûtée de Benoît Lemay.
Pierre Servent, Von Manstein, le stratège du III° Reich, Perrin, 2013, 259 pages, 21 €
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