Joseph Bonaparte (1768-1844), roi de Naples puis roi d’Espagne, a longtemps été représenté comme faible, pusillanime, pantin des factions gravitant autour de son trône, à la remorque des volontés de son empereur de frère. Avec maestria, Thierry Lentz révise cette image, fausse et mièvre, réhabilitant un personnage plus complexe que ce qu’en a dit l’historiographie traditionnelle. Joseph « semble subir l’histoire tandis que Napoléon paraît la dominer » (p. 12) mais cela ne signifie pas qu’il fût un médiocre. Fidèle à sa famille, soucieux des intérêts français comme du sort de ses sujets, il a tenté de mener sa barque avec habileté. A la chute de l’Empire, en homme d’affaires avisé, il s’installa aux États-Unis où il ne laissa que de bons souvenirs à ceux qui eurent la chance de l’approcher. Une fois de plus, Thierry Lentz atteste par ce livre que, s’agissant du Consulat et de l’Empire, il demeure l’une de nos toutes meilleures plumes.
Thierry Lentz, Joseph Bonaparte, Perrin, 2016, 719 pages, 27 €
L’extrait : « Mon intuition a toujours été qu’outre le fait que Joseph devait bien avoir des qualités – voire celles d’un homme d’Etat -, la fraternité et l’aînesse jouèrent un rôle central dans sa relation avec Napoléon, dont il fut le plus proche et peut-être l’unique ami. » (page 9)
Il se dit tellement de sottises sur l’Empereur qu’à un moment T. Lentz a dû se dire qu’il devait rejoindre dans l’arène ceux qui, avec leur inculture crasse et leur incapacité de saisir la complexité de l’histoire, ont péremptoirement décidé de ranger Napoléon dans le camp du mal. Cela nous vaut ces deux cents pages, passionnantes, mélange d’érudition et volonté de clouer le bec à ceux qui font de Napoléon un dictateur, quand ce n’est pas le précurseur d’Hitler. C’est avec délectation que l’on suit le spécialiste au fil des vingt chapitres qui s’égrène. Avec verve et érudition, l’auteur réhabilite l’héritage de Napoléon, replaçant dans leur contexte les grandes décisions de son règne, les plus intelligentes comme les plus contestables. Ah, ils sont beaux ces politichiens qui lui font un procès en dictature, eux dont la politique a conduit à l’impuissance de l’État, au séparatisme, à l’abaissement du bien public au profit des droits individuels…
Thierry Lentz, Pour Napoléon, Perrin, 217 pages, 2021, 15€
L’extrait : « Peu de pays au monde ont eu dans leur histoire un dirigeant d’un tel calibre. Cet « incomparable météore » (Jacques Bainville) n’a mis que quinze ans à accomplir son œuvre […] » (p. 11)
Tout dire sur Napoléon et l’Empire relève de la gageure. Mais telle n’était pas l’ambition de l’auteur, lequel se contente, si l’on peut dire, de raconter Napoléon en quelque 250 fiches, certaines ayant la longueur d’articles couvrant trois à quatre pages. Le choix opéré est des plus éclectiques. De copieux articles sont consacrés à des questions assez inattendues comme le théâtre et la musique. Le rôle des frères et sœurs de Napoléon, via les biographies de Jérôme et Lucien, est bien mis en perspective. Celui des militaires également, comme celui des administrateurs, des diplomates et ainsi de suite. Bref, l’Empire de Napoléon, c’est un monde, un monde riche et foisonnant qui a jeté ses feux jusque dans le domaine de la mode et du mobilier. Au passage, T. Lentz tord le cou aux mauvaises langues faisant de Napoléon un dictateur, voire le prédécesseur d’un certain Adolf Hitler. Il est bon qu’une voix aussi sûre que celle de T. Lentz laisse entendre que « le pouvoir napoléonien, sans être ni libéral ni représentatif (au sens actuel), n’était pas exercé arbitrairement, mais en fonction de normes édictées précédemment. » (p. 263)
Eminent spécialiste du Consulat et de l’Empire, Thierry Lentz a souhaité se pencher sur un sujet plus contemporain. Le diable sur la montagne n’est autre qu’Adolphe Hitler, attiré dès la fin des années 1920 par ce lieu paisible de haute altitude qu’est le plateau de l’Obersalzberg, à quelques encablures de la frontière avec l’Autriche. L’auteur parvient à recréer l’ambiance dans laquelle vivait le maître du III° Reich, une atmosphère généralement surréaliste : On sirotait tranquillement le thé en prenant des bains de soleil alors que le continent était plongé dans l’horreur. Thierry Lentz donne beaucoup d’anecdotes sur la vie des hiérarques nazis, un monde généralement grossier et inculte, empli de jalousie et de mesquinerie, dans lequel était engagée chaque matin la course pour être bien considéré par le maître des lieux. Si le récit est passionnant, on pourra toutefois regretter ses nombreuses concessions au politiquement correct. Il doit être possible d’écrire de l’histoire de façon plus neutre sans pour autant, faut-il le préciser, donner quitus à un régime aussi abject que le nazisme.
L’extrait : « Il (Hitler) inspectait en connaisseur, discutait tout et, parfois, demandait des modifications qui compliquaient l’avancement du chantier. Quand on sait à quel point il s’occupa souvent superficiellement des affaires de l’Etat, on est surpris de le voir consentir dans ces circonstances une authentique application. » (p. 75-76)
Thierry Lentz, Le diable sur la montagne, Perrin, 2017, 316 pages, 23 €
Faute d’avoir commémoré à sa juste mesure l’éclatante victoire d’Auterlitz (1805 – 2005), peut-être la République cherchera-t-elle à « équilibrer la balance » en fêtant la défaite de Waterloo dont, en juin prochain, sera célébré le deuxième centenaire. Ainsi va la vie : nos dirigeants semblent préférer les raclées que se rappeler les triomphes de nos armées. D’ailleurs, si la délégation envoyée en Moravie en 2005 était des plus squelettiques, celle qui accompagnait les Britanniques se rappelant l’éclatant souvenir de Trafalgar était davantage étoffée. Curieuse nation qui préfère oublier ses victoires pour mieux se souvenir de celles de ses ennemis…
Thierry Lentz, l’actuel directeur de la Fondation Napoléon, a choisi de ne pas entrer dans cette polémique. Son livre figure parmi les premiers de la longue théorie des histoires de la bataille de Waterloo qui ne manquera pas de ponctuer l’année 2015. Nombreux sont les ouvrages de qualité à décrire par le menu les diverses phases de la batailles ; citons pour mémoire les Waterloo de Jacques Logie, Jean-Claude Damamme ou Alessandro Barbero, tous excellents. Habitué à des travaux de niveau universitaire et fort de connaissances encyclopédiques sur la période, Thierry Lentz a préféré écrire un livre pour Monsieur tout le monde. Facile à lire, doté d’une mise en page aérée, agrémenté d’illustrations de qualité, le livre de Thierry Lentz se place d’emblée parmi ces livres grand public qui, sans faire de bruit, en peu de pages, donnent l’essentiel. Phase après phase, c’est l’ensemble de la campagne de Belgique de ce mois de juin 1815 qui vaut l’objet de chapitres clairs et éclairants. Le lecteur averti n’attendra pas de révélations de ces pages ; peut-être même trouvera-t-il certaines phases de la bataille trop rapidement expédiées, cas, par exemple, de l’attaque mal montée du Ier Corps de Drouet d’Erlon. Mais l’intention de Thierry Lentz, l’un des meilleurs spécialistes de la période, n’était pas de raconter dans le détail ces jours funestes pour nos armes. Il s’agissait de donner un récit simple et circonstancié, compréhensible par tous et d’abord par les lecteurs peu au fait de la geste impériale. Dans ce cadre, le pari est pleinement réussi.
A la fin mars 1814 Napoléon, pris de court par des Alliés qui n’ont pas joué le jeu dans lequel il pensait les enferrer, gagne le château de Fontainebleau. Il va y rester jusqu’au 20 avril, date de son départ pour l’Ile d’Elbe. Que s’est-il passé entre temps ? Spécialiste de l’Empire et digne successeur de Jean Tulard, Thierry Lentz fait revivre jour après jour ce qui ressemble à une descente aux enfers pour celui qui, il y a peu, était encore le maître de l’Europe. Le vrai, c’est que, pour la première fois, Napoléon ne commande plus à son destin, il est à la merci des Alliés désireux d’abattre l’Empire et de restaurer la royauté. Ces Vingt jours de Fontainebleau ressemblent à un drame joué d’avance. Claquemuré dans son palais, Napoléon se trouve, pour la première fois de sa vie, à la merci des autres, en l’occurrence des puissances alliées qui occupent Paris, mais aussi de chefs militaires qui, ayant peur de tout perdre à la veille de la clôture de la tragédie, n’entendent pas se laisser dicteur leur conduite. Les maréchaux français tiennent à montrer que, pour respectueux qu’ils demeurent vis-à-vis de celui à qui ils doivent quasiment tout, ne sont pas prêts à tout sacrifier. L’épopée ne saurait se terminer dans un bain de sang. Certains, comme le maréchal Marmont, iront jusqu’à trahir pour sauvegarder leurs intérêts et ainsi complaire au nouveau régime. En fin d’ouvrage, l’auteur se lance dans un parallèle qui est loin d’être anachronique. Faisant la comparaison entre la fin de l’Empire napoléonien et celle du III° Reich, il tient à dire combien la conduite de l’Empereur a été sage. Jamais celui-ci n’a voulu entraîner son pays dans une sorte de Götterdämmerung, un crépuscule des dieux empli de massacres et de ruines ; « Le contexte social et politique autant que la personnalité de Napoléon, conclut l’auteur (p. 20), n’étaient pas compatibles avec un suicide collectif. » Le livre, au final, dit beaucoup de la personnalité de Napoléon, son inspirateur principal. Servi par une science sûre, un rythme soutenu et l’utilisation des meilleures sources, l’ouvrage de Thierry Lentz fera certainement date et ce sera justice. Les pages de notes avec leur appareil critique sont d’ailleurs significatives de la valeur de l’ouvrage. Thierry Lentz, Les vingt jours de Fontainebleau, Perrin, 2014, 294 pages, 23 €
La mort de Napoléon : Mythes, légendes et mystères
Il arrive que la petite histoire pollue la grande. Il en va ainsi pour la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, laquelle a été l’objet de tellement de spéculations que, pour un peu, on en viendrait à douter de tout. Il est donc heureux que, dans une première partie, les auteurs, tous deux éminents spécialistes de la période, reviennent sur ce que l’on sait de l’agonie et du décès de l’Empereur le 5 mai 1821. Pour que le tableau soit complet, ils analysent l’état général de l’illustre prisonnier. Comme la plupart des hommes de son temps et d’abord des soldats en campagne, « toute la vie de Napoléon est marquée par la maladie » (p. 48) : dermatose, coups de froid, hémorroïdes, indigestions fréquentes… A cinquante ans, un homme de ce temps, qui a parcouru à pieds ou à cheval l’Europe dans tous les sens, par tous les temps, est un homme usé. En plus de ses maux divers, l’Empereur Napoléon souffre de façon chronique d’une douleur abdominale. Le mauvais temps et l’état dépressif qui accompagnèrent le séjour de Napoléon à Longwood, là où il résida de 1816 jusqu’à sa mort, ne firent qu’empirer un état général très médiocre. Il ne fait donc aucun doute, selon les médecins qui ont été convoqués par les historiens, que c’est un cancer gastrique qui a emporté Napoléon. Chacun connaît la suite : l’inhumation au Val du Géranium puis, en 1840, le transfert des cendres conduit par une délégation emmenée par le prince de Joinville. Après l’arrivée triomphale du corps de l’Empereur à Paris, le corps reste déposé à l’église des Invalides jusqu’en 1861, date à laquelle le tombeau creusé à la verticale du dôme des Invalides est enfin prêt à recevoir la dépouille d’un des plus grands capitaines de tous les temps. Nous aurions pu en rester là sans toutes les spéculations qui se sont ensuite grevées sur la mort de Napoléon – A-t-il été empoisonné et par qui ? – ainsi que sur la substitution du corps – A la suite d’une manigance anglaise, le corps de Napoléon reposerait à Londres, non à Paris -. A en croire un cercle d’historiens amateurs, la Belle-Poule aurait rapatrié en France le corps de Cipriani, valet de Napoléon décédé en 1818. Grâce à une démonstration impeccable, les auteurs font justice de ces calembredaines. Leur conclusion est sans appel : « Napoléon n’a pas été assassiné et c’est bien lui qui repose aux Invalides. » Comme le prouvent J. Macé et T. Lentz, les montages habiles, les suppositions invérifiables et autres convictions non maîtrisées n’ont rien à faire dans l’étude sérieuse de l’Histoire.
Thierry Lentz & Jacques Macé, La mort de Napoléon : Mythes, légendes et mystères, Tempus, 2012, 215 pages, 8.50 €
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